Manque de preuves de Kwon Hayoun

Rare occurrence de l’animation au sein du festival Courtisane, « Manque de preuves » interpelle à plus d’un titre. Fascinée par la reconstruction de la mémoire, sa réalisatrice Kwon Hayoun, élève de l’école Le Fresnoy, livre un documentaire prenant sur les péripéties d’un exilé nigérien en France.

Victime d’une persécution et de tentatives parricides à cause du fait qu’il est né jumeau (phénomène soit vénéré soit condamné dans le pays qui ironiquement affiche le taux le plus élevé de la gémellité), Oscar a fui le Nigeria pour le sol français, où sa demande d’asile est restée sans réponse pour manque de preuves tangibles. En s’intéressant à cette histoire personnelle, la réalisatrice, elle même immigrée coréenne, pose la question fondamentale liée au genre documentaire, celle de la distinction entre la vérité historique et la vérité narrative, entre le fait réel et la discours rapporté.

Sincère à sa volonté de traduire fidèlement mais non pas littéralement ce récit apocryphe, la réalisatrice opte pour une narration brumeuse. Partant des deux seules épreuves judiciaires, le témoignage oral déposé par Oscar et l’esquisse retraçant sa fuite, Hayoun récrée les événements périlleux vécus par le rescapé. Elle opte pour une technique d’animation transparente qui consiste à mettre à nu le squelette de son dessin en 3D. L’image rappelle à tout moment le procédé de reconstitution par un refus catégorique d’une représentation matérielle associée à la live action. Celle-ci fait toutefois son apparition à deux reprises. Premièrement, lorsque Hayoun opère un éloquent trompe l’œil en dessinant, à l’aide de papier collant dans une salle blanche, un bureau vide sur lequel est posé de croquis d’Oscar, symbolisant l’inertie à laquelle la demande d’asile d’Oscar est confrontée. Deuxièmement, le plan final montre dans un flou la silhouette d’un homme qu’on associe inéluctablement au protagoniste. Ce faisant, elle introduit avec justesse l’élément humain qui manque rudement et sciemment à un récit presque entièrement conduit par le virtuel. Loin d’être un simple exercice stylistique, « Manque de preuves » interroge les systèmes de justice déshumanisés qui nous entourent, ici et ailleurs, guidés par la superstition ou par la raison empirique.

Adi Chesson

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