Ne circulez pas, il y a tout à voir

Parfois, l’une ou l’autre information tombe sombrement. Une dizaine de personnes périssent en tentant de rejoindre les côtes italiennes, une famille chinoise se fait expulser du sol français malgré plusieurs recours en justice, des sans papiers roumains se font exploiter et remplacer à tout va, … Parfois, l’une ou l’autre de ces informations réveille, décile le regard, creuse une ride et nous fait prendre conscience que la vie n’est pas aussi « pink » que le chantait Édith.

L’engagement est un atout qui se traduit dans toutes les langues. Sans liens apparents, cette année, huit films en compétition à Clermont-Ferrand ont choisi de traiter des difficultés causées par l’immigration clandestine, les problèmes d’intégration et l’isolement des personnes en situation irrégulière. Qu’ils viennent de France, d’Espagne, du Mexique, du Canada, ou du Royaume-Uni, ces sujets forts et percutants privilégient la dénonciation à la passivité, la parole au silence, et le portrait à l’anonymat.

Côté sud-américain, deux films s’inscrivent dans ces thématiques réalistes. « Metropolis Ferry » de l’Espagnol Juan Gautier illustre la rencontre fictive entre un homme obnubilé par sa relation amoureuse et un jeune marocain, débusqué par la police des frontières. A neuf reprises, le clandestin a cherché à s’infiltrer en Espagne, à neuf reprises, il a échoué. La peur, il ne se souvient plus de son apparence. Son illusion tient en six lettres (E.U.R.O.P.E.) et demeure indélébile malgré les injustices, les passages à tabac, et les discours dissuasifs tenus sur des bancs de commissariats de police.

Chez les Mexicains, c’est le documentaire « La Patrona » qui aborde le sujet de l’immigration. Lizzette Argüello pose sa caméra aux abords des voies ferrées pour filmer des liens très éphémères : des femmes distribuent des sourires, de la nourriture, et des encouragements à des mains tendues depuis des wagons de marchandises. Traversant le pays pour gagner le Nord dans l’espoir d’une vie meilleure, les migrants n’ont que quelques secondes pour attraper un soutien moral et des vivres, et pour tenir tout le long de leur interminable voyage ferroviaire.

Prise de position

Moins lointains, six autres courts se baladent, eux aussi, entre clandestinité, exclusion, et indifférence. Porté par un joli titre et la voix d’un de ses protagonistes, « La neige cache l’ombre des figuiers », de Samer Najari est une fiction ludique encerclant le quotidien d’une poignée d’immigrants aux origines diverses exploités par un patron refusant obstinément de rester calme. Distribuant des tracts publicitaires pour gagner leur vie, ils parlent de rien et de tout. De la neige glaciale, des russes à dos de cheval, des culottes volantes, et de la meilleure manière de passer incognito avec un bonhomme de neige en plastique.

Pour rester dans le décalé, autant faire un lien avec le truculent « Adieu Général » de Luis Briceno, qui capture en format et caméra de poche les années quatre-vingts, les souvenirs personnels de l’époque Pinochet/Darkvador, et l’animation d’objets multiples. En voix-off, le réalisateur de « Mr Moth » et « Des Oiseaux en cage ne peuvent pas voler » revient sur le Chili de son enfance, sa perception de la révolution et de l’homme nouveau, tout en rendant un hommage drolatique et tendre à son pays, à ses parents, mais aussi à la reine d’Angleterre et au vieux général.

Plus sérieux, plus français, « L’Aide au retour », de Mohamed Latrèche, s’insère dans les problèmes de couple de deux immigrés yougoslaves sommés de quitter le territoire hexagonal, moyennant une contrepartie financière, pour démarrer une nouvelle vie au Kosovo, pays qu’ils ont fui il y a bien longtemps et qui ne les renvoie qu’à des mauvais souvenirs. Egalement repéré en compétition nationale, le très beau « Dounouia » d’Olivier Broudeur et Anthony Quéré, arrête son cadre sur le quotidien d’un jeune Malien morcelé entre sa culture d’origine et ses difficultés à s’intégrer parmi les jeunes de son âge et de sa cité. Arrivé en France pour des raisons de regroupement familial, il n’arrive pas à concilier ces deux extrêmes jusqu’au jour où il se met à danser avec une jeune fille de son quartier, Nadira.

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Cliquer sur l’image pour visionner le film

Difficile de parler d’immigration sans évoquer deux films ayant un lien direct avec un réel qui fait mal et qui ne triche pas. Il s’agit de deux documentaires, l’un en compétition internationale, l’autre en sélection nationale, qui s’engagent au service de deux histoires individuelles, fortes et terribles. « On the Run with Abdul » de Kristian Hove, James Newton, et David Lalé se construit autour du portrait d’un jeune réfugié afghan de seize ans, en proie à des difficultés pour rejoindre l’Angleterre depuis Calais. Malgré son jeune âge, ce sujet-témoin a une grande expérience de l’exil et ses forces et ses faiblesses parlent au nom de tous ses camarades d’infortune. Outre son sujet, ce film d’espoirs et de désillusions aborde aussi la question de la distance entre filmeur et filmé, récurrente dans le genre documentaire, tant les interventions de ses auteurs sont fréquentes.

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Last but not least. « Seydou » de deux sœurs, Delphine et Muriel Coulin, sélectionné en compétition nationale, s’intéresse quant à lui, à la place des ‘’déchets’’ inutiles dans la société contemporaine, à travers le portrait intime d’un immigré malien employé dans une société de recyclage. Clandestin illégal, Seydou n’apparaît pas à l’image, et seules ses mains et son dos sont filmés, en guise d’illustration à son discours mi-clairvoyant mi-percutant sur la liste officielle des professions donnant accès au Super Sésame, un titre de séjour.

Si l’engagement se traduit dans toutes les langues, les longs discours se révèlent parfois inutiles pour faire entendre un cri et une amertume. Une lettre filmée adressée à un jeune afghan croisé au hasard d’un tournage ou un documentaire de trois minutes sur un trieur de déchets/clandestin déchet peuvent tout simplement suffire.

Katia Bayer

Article paru dans le Quotidien du Festival

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