Nicolas Engel : l’intrigue et le dialogue chanté

Il arrive en vélib’ (vélo en libre-service), s’excuse d’avoir du retard (quatre minutes), laisse ses cheveux (châtains) devant ses yeux (noisette), et est content de ne pas être résumé à sa bio (officielle). Interview-café, avec Nicolas Engel, le réalisateur des « Voiliers du Luxembourg », d’ « Un premier amour », et de « La Copie de Coralie ».

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D’où vient ton intérêt pour le cinéma ?

Je ne sais pas. J’ai toujours aimé le cinéma, je n’ai pas le souvenir d’un déclic. Mes parents ne sont pas dans ce milieu-là, je me rappelle seulement avoir été marqué, très jeune, par certains moments de cinéma. Il y eut l’empreinte de « Vertigo » d’Hitchcock. Enfant, je l’ai vu chez mes grands-parents, et j’ai eu très peur. Ils m’ont obligé à aller me coucher cinq minutes avant la fin, au moment où James Stewart emmène de force Kim Novak en haut du clocher. Cette image m’est longtemps restée en tête.  « Blanche Neige » de Walt Disney a provoqué le même effet : mon père m’a fait sortir de la salle, juste après que la reine se soit transformée en sorcière. En revoyant le film, il y a quelques années, je me suis rendu compte à quel point cette comédie musicale était incroyablement bien écrite.

Très tôt, tu t’es donc intéressé au cinéma chanté ?

Depuis l’enfance, j’ai toujours apprécié les moments où les personnages se mettaient à chanter dans les films. Assez rapidement, mon père a remarqué que j’aimais écrire des histoires en chanson, et que j’interprétais tout le temps des pièces de théâtre avec ma soeur. Il a commencé à nous filmer en train de jouer et de chanter, mais c’est moi qui lui disais : “tu mets ta caméra là, et tu fais ça”. J’avais une idée claire de ce que je voulais, mais je n’étais pas conscient que j’étais en train de faire de la réalisation.

Saut dans le temps. Tu as étudié le cinéma, notamment à la Sorbonne…

J’ai toujours su que je voulais étudier le cinéma. Après, j’aurais peut-être plus imaginé aller à la Fémis qu’à la Sorbonne. J’ai tenté le concours en scénario tout de suite après le bac. J’étais beaucoup trop jeune, je n’avais rien préparé, je me suis fait recaler. Ensuite, après mes études à la fac, j’ai tenté le concours en montage, parce que tout le monde me disait que c’était impossible de l’avoir en réalisation. Le jury m’a dit que je ne voulais pas faire de montage, et que j’allais être un monteur frustré (rires)! Je leur avais dit que je voulais monter des comédies musicales, et ils m’ont répondu : “mais vous savez, jeune homme, il n’y en a pas beaucoup, des comédies musicales en France ! (rires) ”.

La Sorbonne propose une formation très théorique. Vous n’avez pas la possibilité de faire de films de fin d’études.

Non. Après, chacun se débrouille pour rencontrer des gens et monter des projets. Les gens que j’ai rencontrés là-bas sont souvent dans la théorie. Ils ont des idées, mais quand il s’agit de passer à la réalisation, ils rencontrent des problèmes, parce qu’on ne les a pas poussés à faire des films, et parce qu’on ne leur a pas appris la pratique. À la Sorbonne, on nous enseigne plutôt l’histoire du cinéma, la critique, l’esthétique des images, etc. C’est une formation théorique très éloignée de la réalité d’un tournage et d’un film.

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Comment en es-tu alors arrivé à faire ton premier film, en sortant de l’école ?

Après la Sorbonne, j’ai travaillé dans une agence, comme monteur. J’y faisais des bandes-annonces pour le cinéma et la télévision. J’avais très peu de temps libre, mais en parallèle, j’écrivais « Les Voiliers du Luxembourg » avec Pierre Gascouin, le compositeur du film. Les films que j’avais faits jusque là, avec une caméra DV au poing, ne ressemblaient à rien, et je n’avais aucune idée de la manière dont un projet cinéma se montait. Du coup, le film s’est fait dans une inconscience totale : on ne s’est pas posé de questions, et on ne s’est pas demandé si notre projet était réalisable.

Ce film a été ton premier court métrage chanté. Au fil du temps, tu as “gagné” une étiquette : celle de réalisateur de comédies musicales.

Je ne l’avais pas à l’époque. Ça étonne toujours les gens que je continue à rester dans ce thème, alors que ce qui me plaît, c’est de travailler un genre, et de voir tout ce que je peux expérimenter dessus. Pour moi, le fait de chanter, et de poser ses mots sur une musique accompagnant une intrigue, peut renforcer l’émotion et la justesse contenues dans le film.

Quand tu abordes un film, penses-tu à sa musique avant son histoire ?

Cela dépend du film. Le projet « Les Voiliers » est né de l’image des petits bateaux du bassin du Luxembourg qui se croisent d’une manière très musicale, et des musiques hyper jazz que Pierre avait imaginées pour coller à ces mouvements. Le point de départ du deuxième film, « La Copie de Coralie », a été d’introduire des personnages dans un magasin de reprographie, avant tout parce que le son de photocopieuses m’intéressait pour construire les dialogues et une intrigue. Sur ce film-là, on ne partait donc pas de la musique, mais du son, tout comme dans « Un premier amour », le film que j’ai tourné avec un téléphone portable. Pour moi, le son de ces deux films est proche, et intervient dans la narration : il sert à évoquer le souvenir.

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Dans ton travail, la mémoire s’imprime aussi sur les murs.

Les murs ont un sens légèrement différent dans chacun de mes films. J’aime bien les considérer comme des traces de ce qui est passé, comme des surfaces sur lesquelles le souvenir s’est inscrit. Quand j’écrivais « Les Voiliers », j’ai été inspiré par les peintures de Némo. Celui-ci revient souvent sur les murs qu’il a déjà peints, et peint par dessus, mais un peu différemment. Il joue beaucoup de la ville, de la récurrence, et des différences. Du coup, la mémoire travaille, parce qu’on ne sait plus, et qu’on est perdu. Sur « Les Voiliers », je voulais filmer les murs de Némo, parce que je voyais un parallèle entre sa démarche et la mienne. Ce qu’il cherche à faire, c’est créer un petit moment d’évasion du monde réel, à travers la peinture d’un mur triste et sale. C’est ce que j’imaginais faire sur mon premier film : proposer une autre façon de regarder le réel.

À l’époque des « Voiliers », tu mentionnais que le film devait “être naïf sans être niais”. Comment as-tu évité de tomber dans le ridicule ?

J’ai essayé d’être dans la sincérité, et non dans une fausse naïveté, parce que sinon, je me serais approché du ridicule. « Les Voiliers » ont représenté un défi, car je tenais vraiment à filmer cette naïveté de manière sincère. Le projet partait de ces petits bateaux et de la simplicité de ce jeu qui étonne toujours les touristes américains qui ne comprennent pas pourquoi les enfants s’amusent à pousser des bateaux avec un bâton, et qui se demandent toujours où sont cachées les télécommandes. Voilà, moi, je tenais à ce que mon film ait la simplicité de ce jeu-là.

Il est difficile de situer ce film dans le temps. Pourquoi avoir choisi de travailler sur l’idée d’intemporalité ?

Ce qui me paraît incroyable par rapport à ce bassin de petits bateaux, c’est que cela fait plus d’un siècle qu’il est là, qu’il n’a pas bougé, qu’un travail est fait pour l’entretenir, et qu’on ne voit pas le temps passer à cet endroit-là. J’y ai rencontré de nombreuses personnes âgées qui venaient se promener là parce que le lieu, lié à leur enfance, était resté intact, et chargé de souvenirs. Je voulais vraiment garder ce lieu comme lieu de mémoire, du coup, j’ai eu envie de raconter une histoire intemporelle. C’est pour cela qu’on s’est montré très attentif à ce qu’aucun élément ne permette de situer l’histoire.

On sent l’empreinte de Demy sur ce film…

Effectivement, le clin d’oeil était vraiment très appuyé. Il y avait tellement de choses dès le départ (la musique de Pierre, les petits bateaux, comme dans « Les Demoiselles de Rochefort »,…) qui faisaient penser à Jacques Demy qu’on a décidé à un moment de l’assumer à fond, et de construire le film en hommage au cinéaste.

Il y a une tentation ces dernières années de faire tourner des chanteurs, comme on voit des comédiens se mettre à chanter. Pour « La Copie », comment as-tu dirigé Serge Riaboukine et Juliette Laurent ?

Avec Juliette Laurent, sur « Coralie », ça a été très simple, parce qu’on se connaît depuis longtemps, et qu’elle savait ce que je voulais. Il y a eu une belle rencontre avec Philippe Poirier, dont la musique n’est pas réellement chantée. Avec lui, il ne s’agit pas de porter la voix, mais plus de poser les mots sur un rythme. Entre Juliette et Philippe, ça a été très simple. Ils ont répété trois fois la chanson, et c’était parti. Avant d’appeler Serge Riaboukine, j’ai revu « La Leçon de guitare » [Martin Rit], dans lequel il chante du Gainsbourg. Son parlé-chanté était parfait pour « La Copie ». En le rencontrant, j’ai appris qu’il avait chanté en play-back, or, mon film, je voulais le faire en son direct. On lui a donc mis la musique en oreillette, et il a su, petit à petit, se réapproprier la mélodie de Philippe, et poser ses mots sur le rythme.

La même année que « La Copie de Coralie », tu as réalisé un film mobile, « Un premier amour »,  dans le cadre de la collection “Caméra de Poche” lancée par ARTE. Comment as-tu envisagé l’idée de filmer avec un téléphone plutôt qu’avec une caméra ?

Depuis « La Copie de Coralie », je travaille avec Hélène Vayssières [chargée des courts et moyens métrages au sein de l’Unité Cinéma d’Arte France]. Pendant le montage de « La Copie », elle m’a proposé de faire un film avec un téléphone, et je dois bien admettre que je n’étais pas convaincu par l’idée, sur le coup. Sur le moment, je ne savais pas trop quoi faire, et puis, quand j’ai reçu le téléphone, je me suis soudainement rendu compte que je pouvais l’utiliser dans l’autre sens, et ne pas filmer en 16/9, mais en format portrait. Tout d’un coup, ça, ça m’a paru super excitant d’être dans la verticalité des corps, et de filmer un champ contrechamp de cette manière. Ensuite, comme tout ce que je fais aborde le thème de la communication et de la non communication, cela semblait finalement assez ironique d’utiliser ce moyen de technologie, censé favoriser le contact. Après, au moment du tournage ça a été plutôt ridicule de se pointer dans le métro, et de bloquer un wagon, avec les comédiens, la perche, la lumière, et comme seul outil dans les mains, un petit téléphone (rires)! Surtout que le petit téléphone émettait un petit bruit vraiment grotesque quand on appuyait dessus !

T’es-tu senti plus libre avec ce nouveau médium ?

Le film de poche s’est vraiment fait sur une courte période, et si il avait une base scénaristique, il s’est construit, pour moitié, au montage. Ce qui m’a plu, c’est de pouvoir être surpris. Ça ne m’était pas arrivé sur les autres films, parce qu’ils étaient tellement écrits avant le tournage que je savais vraiment où j’allais. En faisant « Un premier amour », je savais que j’avais une sécurité : si le montage ne donnait rien, on pouvait toujours aller tourner une scène supplémentaire. Tout le contraire d’un court métrage tourné en pellicule : en général, c’est inimaginable de repartir tourner un jour ou deux, pour des questions de budget et de planning.

Où en es-tu dans tes prochains projets, le court (« Les lignes de Sam Un »), et le long (« De quelque part ») ?

Le court va se tourner au Havre. Il se déroule dans une librairie dans laquelle un personnage joue constamment au piano, et il traite du conflit entre ce qui se passe à l’intérieur, et à l’extérieur. En ce moment, je travaille sur la musique avec un groupe du Havre, “Your Happy End”. En ce qui concerne le long métrage (qui portera un autre nom), je suis en pleine écriture. Il s’agit en quelque sorte d’une version longue de « La Copie de Coralie ». A priori, je pense retravailler avec Philippe Poirier, qui avait signé la musique de « Coralie ».

Question carte blanche. Qu’est-ce qui t’intéresse dans le court métrage ?

Initialement, j’ai toujours eu un désir de cinéma, mais aucune formation valable pour me prétendre réalisateur. Du coup, le court métrage m’a vraiment permis de tout apprendre, puisque je ne savais rien de la manière dont se déroulait un tournage. Sur « Les Voiliers », j’ai mis quelques jours à comprendre que c’était moi, le chef du navire, et que je risquais de perdre une partie de l’équipe en route. Ce que j’aime dans le court métrage ? Sa faculté de proposer des petits moments d’évasion, en posant un regard différent sur le réel.

Propos recueillis par Katia Bayer

Consulter les fiches techniques suivantes : « La Copie de Coralie », « Les Voiliers du Luxembourg »

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