Marraine des équipes de courts de fiction en lice aux César 2026, Louise Courvoisier revient pour Format Court sur l’endurance apprise avec son film de fin d’études, Mano a mano (1er prix à la Cinéfondation en 2019) et poursuivie avec son premier long, Vingt Dieux. À l’occasion de cet échange, elle évoque également son travail à l’instinct, son souhait de rester elle-même, en dépit de la pression et du succès, sa ferme dans le Jura (une toute autre gestion qu’un plateau) et sa curiosité pour le cinéma documentaire.

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Format Court : À part Mano a mano, quelle expérience as-tu eue en court-métrage ?
Louise Courvoisier : J’ai fait assez peu de courts-métrages, je n’ai fait que des courts-métrages d’école. Et après, je suis passée directement au long. De temps en temps, j’ai travaillé sur d’autres courts-métrages. Je faisais de la mise en scène, de la régie, j’étais premier assistante, je collaborais au scénario.
Depuis tes études à la Cinéfabrique, l’école s’est beaucoup développée. Quel regard portes-tu sur cette formation ?
L.C. : Ce qui est pas mal avec cette école, c’est qu’on est très protégé du milieu de l’industrie du cinéma. C’est vraiment quelque chose que j’ai découvert après, en sortant de l’école. Cela nous a permis aussi d’être un peu plus audacieux, parfois, dans certaines propositions. Je pense que sans cette école, je n’aurais peut-être pas été aussi courageuse dans mes choix de faire des films. Après, en sortant, forcément, une fois qu’on se confronte un peu à l’industrie, il faut un peu réapprendre aussi : utiliser le réseau humain, tous les collègues de la Cinéfabrique que j’ai embarqué avec moi aussi sur mon projet et en même temps, s’ouvrir à ce qui existe déjà. J’avais l’impression d’être un peu un bébé en sortant, mais c’est parce que je faisais partie de la première promotion de l’école. On n’avait pas d’exemple de comparaison avec ce que ça aurait pu être avant. On était à Lyon, toute l’industrie était à Paris. Je n’avais aucun contact, je ne connaissais personne. Ca a été un peu un saut dans le vide et en même temps, ça m’a permis, je pense, de garder ma singularité et de ne pas essayer de me conditionner pour ressembler aux autres. Je ne savais même pas ce qu’on attendait de moi.
Dans quelle mesure as-tu appris à parler de ton travail, à défendre tes choix de réalisation, tes envies, à te confronter à la presse ? C’est une chose de faire un film, c’en est une autre d’en parler.
L.C. : C’est une très bonne question. C’est vrai qu’on ne parle pas de ça et ça fait vraiment partie du métier. Moi, je l’ai découvert vraiment sur le tas. Je n’avais déjà pas idée que ça existait. Surtout, je n’avais jamais appris à faire ça. Mais au fur et à mesure, à force de suivre mon film, de l’accompagner, que ce soit en avant-première ou en interview, ça m’a permis de mettre des mots sur des choses qui n’étaient parfois même pas forcément conscientes. Il y a plein de décisions que j’ai prises instinctivement, et qu’ensuite, j’ai dû défendre et analyser.
Avec Vingt Dieux, on a beaucoup parlé de ton lien avec la nature. Mano a Mano explore un autre de tes intérêts, le monde du cirque. Quels ont été tes défis pour aller au bout de ce projet ?
L.C. : Ça a été une très bonne préparation pour moi pour Vingt Dieux. J’avais une équipe déjà très familiale, j’ai travaillé avec ma sœur en déco et avec des acteurs qui n’étaient pas des acteurs mais des circassiens. J’ai écrit pour eux, j’ai tourné dans le Jura. C’était déjà une espèce de démarche qui préfigurait la suite. Je pense qu’on trouve son identité de réalisatrice bien plus dans la fabrication que dans le sujet. On m’a beaucoup demandé, après Mano a Mano, de refaire la même chose en long.

« Mano a Mano »
C’est-à-dire ? Le même projet autour du cirque mais en format long ?
L.C. : C’est un peu rassurant avec un court qui a bien marché de faire la version longue pour que le grand public la voit, parce qu’il y a des chances que ça marche si ça a pris en court. Mais ça ne m’intéressait pas de refaire deux fois le même film, c’était un film qui appartenait justement au format du court-métrage, et pas à un long-métrage. J’ai pris un peu un virage dans le sujet, mais finalement dans la démarche et la manière de faire, j’ai tout appris avec Mano a Mano, c’est ça qui m’a donné les clés pour la suite. Mais c’est sûr que ça demande une endurance. Je me rappelle que quand je tournais Mano a Mano, je ne voyais même pas comment on pouvait faire un long, tellement ça me paraissait déjà interminable. Ça m’a vraiment appris l’endurance, et après, sur Vingt Dieux, c’était une toute autre échelle encore.
Dès ton court, tu as été exposée à la visibilité, au prix à Cannes, puis, il y a eu la suite avec Vingt Dieux. Parfois, on ressent de la nostalgie par rapport à ses débuts. Face à la relève, aux équipes en lice aux César qui ont envie de passer au long-métrage, repenses-tu à la liberté qu’on associe souvent au court ?
L.C. : C’est une bonne question. C’est difficile de garder cette fraîcheur-là. Je pense qu’il ne faut jamais perdre de vue que tout est là, dès le début, dans les premières idées, dans les premières envies de cinéma, parce que ça ne va jamais nous lâcher. Par contre, tout ce qu’on apprend après de l’industrie, de son fonctionnement, des codes, peut venir un peu contrecarrer cette liberté-là. Moi, je lutte avec ça de plus en plus, j’ai de moins en moins cette fraîcheur-là. Je suis très protégée du fait que j’habite dans le Jura, que j’ai aussi d’autres activités que le cinéma, j’ai une ferme avec mes frères et sœurs, j’ai aussi une activité agricole, et ça me permet aussi d’avoir les pieds sur terre à un autre endroit.
Est-ce que gérer une ferme, c’est plus compliqué que gérer un tournage ?
L.C. : Ça dépend sur quel point. Humainement, le tournage est beaucoup plus difficile, mais avec la ferme, ce qui est dur c’est le quotidien, il n’y a pas un jour où on s’arrête de travailler, alors que les tournages c’est assez ponctuel, donc c’est dur, c’est très éprouvant pendant un temps, mais c’est aussi très joyeux. À un moment donné, ça s’arrête et on peut revenir à autre chose, alors que la ferme ça ne s’arrête jamais, c’est encore plus d’endurance.
Même en étant à distance du système, qu’est-ce que le César du meilleur premier film t’a apporté en termes de confiance ?
L.C. : Je pense que ça apporte en effet de la confiance, mais aussi une forme de pression. Mon ressenti est mitigé, mais le César est forcément une très belle récompense, parce que c’est très long comme processus. Le plus important, pour moi, c’est que le film soit vu. Le fait qu’il ait été beaucoup vu, c’est très valorisant, parce qu’on se dit qu’on fait un film et qu’après, on peut vraiment le partager avec d’autres. Ce rapport au prix n’intervient presque pas sur le moment. En tout cas, c’est comme ça que je l’ai vécu. Après coup, on se rend compte : « Waouh, il a eu un César ». Mais sur le moment, on est dans une continuité de ce rouleau compresseur dans lequel on est, c’est encore une étape importante du film, ça fait partie de la fabrication du film. Une fois que tout ça est fini, on peut se rendre compte de ce qui s’est passé, de la manière dont il a été vu et apprécié.
Pour un autre projet, pourrais-tu revenir au court-métrage ?
L.C. : En tout cas, je ne me l’interdirais jamais. Pour l’instant, je commence à écrire un long-métrage, mais je prends mon temps. Il faut que je puisse me sortir de l’expérience de Vingt Dieux pour être fraîche sur un nouveau sujet, et me reconcentrer sur ma vie aussi. Pour l’instant, je suis dans l’écriture d’un long, mais je suis ouverte. C’est possible que je fasse un jour du documentaire.

« Vingt Dieux »
Qu’est-ce qui te plaît dans le documentaire ?
L.C. : Ce que j’aime, c’est le dispositif, le fait de travailler en petite équipe. On met beaucoup de fiction dans le documentaire et beaucoup de documentaire dans la fiction. Je fonctionne comme ça. Dans Vingt Dieux, il y a des vraies scènes de fiction et d’autres qui ont été tournées comme du documentaire. La démarche est la même, mais ce n’est pas exactement le même dispositif.
Qu’est-ce qui t’a donné à la base envie de faire du cinéma, de t’inscrire dans une école de cinéma ?
L.C. : Je n’ai jamais eu un déclic particulier, j’ai juste fait un lycée avec une option cinéma. Ça m’a donné le goût de regarder des films. Par la suite, je me suis retrouvée par hasard sur des projets et je me suis rendue compte que j’aimais ça, que je me sentais bien de réaliser, de diriger une équipe et des comédiens. Du coup, j’ai tenté ma chance en me disant que je ne savais pas où ça pourrait me mener. Ca s’est fait comme ça, avec pas mal de hasards, mais ma vie aurait pu complètement prendre une autre tournure.
Tu n’avais pas une idée de ce que ça aurait pu être ?
L.C. : Aucune idée, c’est comme si je ne projetais rien. Mais j’ai toujours eu un plan B, ça a toujours été important pour moi de ne pas tout miser là-dessus, et et de ne pas faire le film pour plaire. Si on veut que percer, on essaie de plaire. Dans ce cas-là, je trouve qu’on perd quelque chose de très important, une forme de sincérité dans l’histoire qu’on veut raconter.
Ce n’est pas toujours facile de maintenir cette sincérité, de rester soi. Il y a des gens qui t’ont donné des conseils pour te préserver ?
L.C. : C’est très dur de rester soi. J’ai eu la chance d’avoir une productrice, Muriel Meynard, de chez Agat Films, qui m’a très bien comprise et qui m’accompagne très bien, donc je n’ai pas besoin de tricher. Je sais qu’elle m’accepte comme je suis.
Propos recueillis par Katia Bayer

