Alice Douard. L’importance des représentations

À l’occasion de la 49ème cérémonie des César, Alice Douard a remporté le César du meilleur court-métrage de fiction pour son film L’Attente. Mettant en scène Clothilde Hesme et Laetitia Dosch, il déploie l’histoire de Céline qui attend l’arrivée de son premier enfant à la maternité. C’est Jeanne, sa compagne, qui va le mettre au monde. La nuit, dans le hall de l’hôpital, elle fait la connaissance d’hommes qui, comme elle, attendent.

Marie Boitard (Les Films de June), Alice Douard © Caroline Dubois

Format Court : D’abord, félicitations pour le César. Qu’est-ce que ça fait de recevoir un tel prix, on ressent plus de pression ou d’excitation ?

Alice Douard : On ressent un mélange des deux. Avoir un César, ça fout un peu la pression c’est sûr, on a l’impression de devoir remplir une certaine attente mais ça aide aussi beaucoup, notamment pour les financements.

Justement, comment s’est passé le financement de L’Attente ?

A.D : C’est le film pour lequel j’ai eu le plus de financements. En règle générale, je n’ai que le financement d’une région pour faire mes films, j’ai toujours dû composer avec un budget assez serré. Mais cette fois-ci, on a eu la chance d’avoir une aide du CNC et de la région où s’est fait le tournage. Ça nous a permis de déployer plus de moyens de mise en scène.

La forme du huis clos, sur laquelle L’Attente est construite, découle-t-elle de ce budget serré ?

A.D : Non pas tellement. Le huis clos permet de créer une bulle temporelle où le temps s’est arrêté, et plus rien ne compte mis à part l’attente. L’hôpital est filmé en lumière artificielle très travaillée, on perd la notion du temps et le rapport au monde extérieur. D’une manière générale, je n’écris pas en fonction du budget, en revanche il est évident que l’on doit s’adapter aux imprévus sur le plan de la mise en scène. Par exemple, je tenais à filmer un vrai hôpital en activité qui grouillait de monde, mais le tournage s’est fait en plein Covid donc c’était impossible. On a alors trouvé un bâtiment désaffecté tout en bois, alors qu’il n’y a pas du tout de bois dans un hôpital, et on s’en est servi pour construire un décor très travaillé, assez irréel, désert, un peu hors du temps.

Pourquoi avoir choisi de centrer l’histoire autour de Céline ? On aurait attendu que l’histoire soit dirigée vers Jeanne qui est enceinte, là où l’action principale de l’accouchement se passe.

A.D : Oui, c’est vrai. C’est un peu inspiré de ce que j’ai vécu quand ma compagne a accouché de notre fille, de six ans maintenant. J’ai eu envie de raconter mon expérience en tant que maman qui attend la venue d’un enfant qu’elle ne porte pas. J’avais l’impression que cette représentation n’existait pas vraiment. Cette histoire de rapport au temps m’avait vraiment frappée, c’était une expérience si unique que j’ai eu envie de la faire vivre aux spectateurs.

La place de Céline dans la salle d’attente la fait côtoyer des hommes, parce que ce sont eux qui attendent normalement. Est-ce que c’est un film qui questionne le genre et les places assignées ?

A.D : Oui totalement. Il y a une vraie dimension universelle dans le film. Céline est une femme qui se retrouve du côté des hommes et bien qu’ils soient évidemment différents, ils se retrouvent à avoir une place et des préoccupations communes. Pour moi, c’était aussi le moyen de faire parler les hommes sur leurs doutes à ce moment-là. Je voulais que le film soit fédérateur, pas du tout excluant pour les hommes. D’ailleurs, en festival, j’ai eu beaucoup de retours d’hommes qui se retrouvaient dans les personnages.

C’est en cela que les représentations doivent faire avancer les choses ? Faire que le moins normal se normalise ?

A.D : Tout à fait. Les représentations sont super importantes. On s’est tous identifié.e à un personnage féminin ou masculin dans un film. Mon but n’était pas de faire un film agressif ou revendicateur, mais un film qui inspire surtout la joie de ce moment particulier. L’universalité sert à ce que des hommes puissent s’identifier aux personnages féminins et se dire : « Ah tiens, c’est pareil en fait ! ». C’est une forme de militantisme pas discursif mais plus incarné, disons.

*Spoiler alerte*. À la fin, on ne voit pas l’accouchement, pourtant l’élément clef de l’histoire, pourquoi ?

A.D : Justement parce que ça n’est pas l’élément clef (rires) ! Je voulais représenter le temps de « l’avant ». C’est un temps qui m’intéresse beaucoup, ce moment de projection de quelque chose qui n’est pas encore là. Par exemple, j’ai trouvé plus fort le moment où nous attendions de savoir si nous avions le César que l’instant où on l’a reçu. Parce que c’était le temps de tous les possibles. De même pour un rendez-vous amoureux, le moment le plus délicieux est celui du chemin pour y aller, quand on imagine la personne, et puis, une fois qu’on la voit en vrai, c’est toujours un peu décevant parce que ce n’est pas comme on l’a imaginé.

On a l’impression dans le film que la culpabilité de ne pas être la personne qui porte l’enfant est d’autant plus grande quand on est une femme. C’est quelque chose que vous avez vécu ?

A.D : Une culpabilité, oui. On me demandait toujours pourquoi ça n’était pas moi qui portait l’enfant, pourquoi je n’avais pas voulu le faire moi etc.. Il y avait un peu de la culpabilisation générale des femmes qui décident de ne pas avoir d’enfant, comme s’il y avait un manque de courage. Mais il y a aussi une question de place à trouver. La femme enceinte a des inconvénients mais aussi un certain orgueil de porter la vie, qui est normal, et l’homme a un orgueil masculin de devenir père, mais la femme qui devient mère sans être enceinte, elle, doit un peu trouver sa place dans tout ça.

Vos actrices et acteurs sont super dans le film. Comment les choisissez-vous ?

A.D : Premièrement, j’aime mélanger acteurs professionnels et amateurs. Dans le film, il y a des gens qui sont de vrais soignants. Je fonctionne souvent par coups de coeur aussi. Parfois, en casting, je ne vais pas forcément prendre la personne qui joue le mieux mais celui ou celle qui me tapera dans l’oeil, qui me fera dire : « C’est cette personne, c’est le personnage ! ». Et je fais le pari de pouvoir l’amener où je veux. Jusqu’ici ça a marché (rires) ! À côté de ça, il y a Clotilde Hesme et Laetitia Dosch qui sont toutes deux de super actrices chevronnées. J’avais d’ailleurs un peu peur qu’elles s’annulent l’une l’autre tant elles ont de fortes personnalités de jeu. Mais en fait pas du tout, elles ont réussi à se compléter et ça donne des personnages avec des caractères bien marqués.

Jusqu’ici, vous avez principalement réalisé des courts-métrages, pourquoi le format court vous intéresse-t-il ?

A.D : Tout dépend de l’histoire qu’on raconte. Ce qui a été déployé sur les films précédents étaient des histoires assez courtes, rien ne sert d’étirer le récit inutilement. Les courts-métrages sont aussi une façon de faire ses armes et comme j’ai aussi un métier de scénariste à côté, je n’avais pas l’urgence de faire des longs. Je pense qu’il faut trouver le sujet qui nous porte vraiment. Ce n’est pas mon but de faire un long-métrage pour le principe de l’avoir fait. Il n’empêche que j’en prépare un justement en ce moment (rires) !

Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda

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