Agnès Jaoui : « Peut-être que voir les défauts des gens me rassure sur les miens ! »

Lors de la 45ème édition du Festival de Films de Femmes, tenu à Créteil, l’invitée d’honneur Agnès Jaoui, scénariste, actrice et réalisatrice, a donné une masterclass devant un public enjoué. À cette occasion, l’artiste récompensée est revenue sur son parcours et a évoqué la création dans l’industrie cinématographique en tant que femme.

© Oxana Semenova

Format Court : Est-ce la première fois que vous venez au Festival de Film de Femmes ? Que pensez vous d’un dispositif dédié au cinéma fait par des femmes ?

Agnès Jaoui : Non, ce n’est pas la première fois, j’étais déjà venue il y a quelques années pour présenter Aurore (de Blandine Lenoir, 2016). Je pense que ce genre de dispositif est nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, mais je crois que dans l’idéal, ce festival, aussi bien soit-il, aura vocation à disparaitre. C’est parce que le cinéma féminin est invisibilisé qu’il est nécessaire aujourd’hui de prendre ce genre de mesure. Vous savez, je n’étais pas pour ce genre d’initiatives en premier lieu, mais en voyant que les choses ne changeaient pas, j’ai compris que c’était nécessaire.

Pensez-vous qu’il y a un problème de représentation dans l’industrie ?

A.J. : Oui, c’est sûr. Les chiffres sont parfois affligeants. Il y a des festivals où le jury est entièrement masculin et ce n’est qu’une fois qu’on le fait remarquer que les organisateurs s’en rendent compte. Mais évidemment c’est le principe du privilège : ne pas savoir qu’on en a. Sauf quand on nous l’enlève (rires) ! Par exemple, j’ai été frappée par la liste de noms des réalisateurs qui ont marqué le septième art qu’on projette à l’ouverture du Festival de Cannes. Il n’y avait qu’un ou deux noms de femmes sur des dizaines d’hommes cités. Je me suis alors rendue compte de l’invisibilisation des réalisatrices, qui sont pourtant là. Il y a plein de grands films fait s par des femmes mais dont on ne parle pas ou peu.

Pensez-vous qu’il existe un cinéma féminin ?

A.J. : Non, je n’aime pas beaucoup cette dénomination. Je crois que c’est assez enfermant de croire que toutes les femmes font la même chose ou qu’il y a des sujets réservés. Premièrement, un.e bon(ne) réalisateur.ice arrive toujours à donner une dimension universelle à ce qu’il/ elle raconte. Et puis je crois que c’est trop simplifié de considérer que si c’est une femme qui fait le film, il sera forcément progressiste. Il y a des hommes qui écrivent magnifiquement bien leurs personnages féminins et il y a des femmes misogynes qui auront complètement intégré les codes patriarcaux.

« Le Goût des autres »

Avez-vous rencontré des difficultés à faire produire vos films, en tant que réalisatrice ?

A.J. : Pas vraiment en tant que femme non. J’ai eu la chance, que je ne comprends toujours pas d’ailleurs, d’avoir eu énormément d’argent pour mon premier film (Le Goût des autres) mais je ressens qu’il y en a moins d’année en année. Il n’y a presque plus de fonds pour les films d’auteurs. Bien sûr, c’est dû à l’émergence des nouvelles plateformes. Les gens ne se rendent peut être pas compte, d’un point de vue extérieur, parce qu’il y a de super séries qui sont faites mais l’industrie est vraiment menacée.

Vous êtes metteuse en scène, scénariste, réalisatrice, actrice et chanteuse. Pourquoi avoir autant de casquettes ?

A.J. : À mon sens c’est parce que j’ai eu très tôt le besoin de m’exprimer, par tous les moyens. J’ai vite compris que notre passage sur terre était court, même très bref, et j’ai cherché à laisser une trace d’une manière ou d’une autre. Quand j’étais petite, je tenais un journal, j’avais été très marquée par la visite de la maison d’Anne Frank voyez-vous, et je me disais que si je ne faisais rien de ma vie qui soit remarquable, il y aurait toujours ce journal pour garantir ma postérité (rires) !

Quels sont les thèmes récurrents de vos films, les sujets qui vous obsèdent ?

A.J. : Je crois que presque tous nos films (avec Jean-Pierre Bacri) étaient sur le changement, la capacité ou l’incapacité à changer. J’aime aussi parler de la famille, d’une manière générale, je m’intéresse aux gens. Je me suis beaucoup analysé et c’est en partant de ça que je me suis intéressé aux gens, peut-être que voir leurs défauts me rassure sur les miens (rires) !

Vous vous intéressez à l’importance du rythme dans le jeu à propos de la comédie. Pensez-vous que cette nécessité est restreinte à ce genre là ?

A.J. : Non, pas du tout. Tout est une question de rythme. Il y a des comédies dans lesquelles on se fait chier au bout de 10 minutes et des films sérieux très longs dans lesquels il ne se passe pas grand-chose et pourtant, on ne voit pas le temps passer. Je me rends compte que la musique et la pratique du chant m’ont permis de développer un sens du rythme et une vraie attention aux sons. Il y a des sons qui relèvent du détail dans une mise en scène mais qui peuvent beaucoup me perturber. Par exemple, il y avait une sonnette sur un tournage qui devait tenir lieu de sonnette de maison et le son qui en sortait me semblait complètement artificiel, pas du tout réaliste, et je n’arrêtais pas de le faire remarquer mais personne ne semblait voir de problème (rires) !

Comment s’est passée la réalisation de votre premier film Le Goût des autres (2000) ?

A.J. : Le premier tournage en tant que réalisatrice a été très intense. Premièrement, le processus est très fatiguant, et puis je me suis trouvée un peu dépassée car le film avait une certaine ampleur, il y avait beaucoup d’argent en jeu. Mais tout s’est bien passé parce que j’avais bien choisi mon équipe. Je m’étais entourée de personnes avec qui je m’entendais bien, ce qui a facilité mon travail de direction.

Avez-vous l’impression que votre pratique du jeu vous fait diriger autrement les acteurs ?

A.J: Oui je pense que ça change beaucoup de choses. On est forcément plus compréhensifs et attentifs aux acteurs.ices. Je crois même que tous les réalisateurs.ices devraient avoir expérimenté un peu de tous les corps de métiers auxquels ils sont confrontés sur un plateau. Il faudrait que chacun expérimente ce que fait l’autre ne serait-ce qu’une journée, à mon sens c’est vraiment nécessaire.

Le fait que vous soyez passé à la réalisation après avoir commencé le jeu très tôt, est-ce que cela traduit une envie de contrôle ? Une envie de se donner le rôle qu’on nous a pas écrit, par exemple ?

A.J. : Oui, tout à fait. Comme je l’ai dit, j’avais besoin de m’exprimer par tous les moyens donc multiplier les supports m’a paru naturel. Mais il est vrai que du point de vue des rôles donnés aux femmes au cinéma, on est encore surpris de voir le nombre de films qui ne passent pas le test de Bechdel. Il y a peu de rôles féminins approfondis et qui ne tournent pas autour de la séduction. L’impératif de la séduction est quelque chose que j’ai ressenti au théâtre aussi. On demandait aux actrices de prendre des voix caressantes par exemple. J’ai le sentiment d’avoir un peu échappé à tous les rôles très sexualisants dans lesquels certaines de mes amies ont été enfermées. Peut-être que je n’avais pas le je-ne-sais-quoi qu’il fallait, mais cela m’a permis d’être autre chose.

Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda

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