(Bio)diversité et féminisme à la Berlinale

La 73ème édition de la Berlinale vient d’ouvrir ses portes, accueillant une grande diversité de courts, dans le fond comme dans la forme. Dans la catégorie Berlinale Shorts des courts en compétition, il y a du bizarre, du macabre, du surprenant, et aussi un peu d’ennui parfois… Et puis, il y a des films forts de proposition, loin des codes des supports traditionnels, et une pluralité de regards sur des sujets sociaux importants. C’est d’eux dont nous parlerons aujourd’hui.

The Waiting est le dernier court réalisé et écrit par le réalisateur allemand Volker Schlecht. À la fois documentaire et animation, le film à forme hybride présente une histoire fascinante sur fond blanc. Sur fond de voix-off, une biologiste décrit ses études au sujet des grenouilles en Amérique centrale. Elle fait un compte-rendu scientifique de son expérience, entre « la casita » sur la montagne, l’université de Miami et Panama. Champignons, maladies infectieuses détaillées et absence de traitements dans le monde sauvage… The Waiting prend l’apparence d’un thriller documenté sur la disparition des grenouilles.

Ce qui est raconté est certes intéressant, mais n’est pas aussi important que ce qui est regardé. Sur fond blanc, les formes apparaissent lentement, dédoublées voire démultipliées, happant et hypnotisant le spectateur. Images abstraites ou grenouilles se transformant en sumos, les esquisses se développent et grandissent sur l’écran à l’image des maladies infectieuses. Comme dans une transe, on se laisse emporter par ces formes mouvantes et autonomes et la voix claire de la biologiste. On ressort avec le souvenir des espèces disparues, imprimé sur l’épiderme, et surtout la question : qu’est-ce-qu’on vient de voir, ou plutôt, qu’est ce qu’on attend ?

Ours, de son côté, est le projet de fin d’études de la talentueuse Morgane Frund. Il s’agit d’un court-métrage rempli d’interrogations, pour le spectateur comme pour la réalisatrice. Va-t-on nous parler de ce qui nous appartient, des nôtres, ou de ces grandes créatures poilues ? À l’écran, des vieux films capturent des empreintes sur la terre ou des ours en baignade, entre le Canada et la Russie. Avec un rayon de nostalgie, la réalisatrice présente Urs Armein, un cinéaste amateur lui ayant livré ses cassettes personnelles pour son projet d’études. Elle montre alors son processus de réflexion, visionnant les films, et se demandant ce qu’elle veut raconter avec.

Les vieilles images défilent, et on passe des traces d’ours aux pieds féminins, talons aiguilles ou tongs, zooms sur des poitrines de jeunes femmes. Ces portraits volés, Morgan Frund ne sait d’abord pas quoi en faire. Elle s’interroge alors sur la représentation de la femme, interroge l’homme qui les a capturées, puis oubliées dans ses cassettes de voyageur. Le documentaire animalier devient un dialogue sur le regard, ce male gaze si appuyé et totalement insouciant de l’être.

Les vidéos, qui combinent voyeurisme et passion de la nature, sont traitées avec simplicité et même brio. Prenant la forme d’archives, elles ne rajoutent pas de la lourdeur au court, ce qui aurait pu arriver avec un tel sujet. Le spectateur se surprend même à aimer voir à travers les yeux d’Urs, tout en conscientisant le problème de ce regard. Le côté moralisateur du film aurait pu être dérangeant si l’échange de points de vues entre Morgane et Urs n’était pas constant. Il ne s’agit ni de prendre des pincettes pour poser des questions et y répondre, ni de se disputer pour savoir qui aura raison. On suit naturellement le fil de la discussion, faite d’affirmations mais surtout de questions.

L’ébauche de réflexion partagée donne une grande force au court, notamment avec une harmonie de la parole comme dans l’image : l’équilibre entre les cassettes du passé et le film du présent, le visage du cinéaste et celui de la réalisatrice, les silhouettes des ours et celles des femmes.

Amel Argoud

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