Tiphaine Daviot : « Dans le court, il faut épurer le jeu au maximum pour raconter au mieux ce qu’il y a à raconter »

Rencontrée à l’occasion du festival Jean Carmet à Moulins, la comédienne Tiphaine Daviot évoque avec nous sa responsabilité en tant que jury, l’importance souvent sous-estimée des dialogues dans un scénario, du travail de la langue et de l’honnêteté dans la démarche d’un projet.

© Alexia Auvity

Format Court : Ce n’est pas ta première fois à Moulins, au festival Jean Carmet. Tu étais venue quelques années plus tôt en 2017 avec Les Bigorneaux d’Alice Vial, un court-métrage pour lequel tu avais reçu le prix jeune espoir.

Tiphaine Daviot : C’est vrai mais je n’avais pas pu m’y rendre car j’étais en tournage à ce moment-là, mais Alice Vial, la réalisatrice, était venue présenter le film. Sinon, oui c’était bien ma première rencontre avec Moulins, et j’ai été invitée en tant que jury pour les courts-métrages l’année suivante.

Quelle impression cela fait de te retrouver ici cinq ans après, mais de l’autre côté cette fois ?

T.D : À l’époque, c’était un de mes premiers jurys il me semble. Après j’en ai fait d’autres, et plus particulièrement pour le court-métrage. J’ai tendance à me définir avant tout comme une spectatrice avant d’être une actrice. Ce qui me plait avant tout, c’est évidemment de voir plein de films mais surtout de voir des films que je ne serais pas allée voir spontanément. Cela m’ouvre l’esprit et j’apprends aussi beaucoup dans les choses que je n’aime pas, cela me nourrit tout autant. En même temps, je ne ressens pas vraiment de pression puisqu’il s’agit de la voix d’un groupe de personnes qui sont toutes individuelles et toutes différentes, comme un accord qui ne serait composé que de ces notes-là. On amène une voix avec une envie de récompenser quelque chose, une valeur, un sentiment, quelque chose de politique ou de fort. C’est la voix du jury et je trouve que c’est intéressant de se fondre là-dedans tout en gardant sa particularité, en défendant ce qu’il y a à défendre. Après, cela reste un vote et c’est la démocratie. L’idée, c’est d’être honnête avec soi-même. En revanche, il est très important pour moi de ne pas prendre cela à la légère puisqu’en face il y a des gens qui reçoivent ces prix. C’est toujours agréable dans ce métier, qui n’est pas souvent évident, d’avoir le sentiment d’être validé par ses pairs. Cela peut parfois donner de vrais coups de pouce. C’est une petite responsabilité, mais je trouve qu’elle a son importance quand même.

À ce jour, tu alternes projets de longs-métrages et séries Est-ce que le court-métrage est un format que tu as envie de continuer à exploiter en tant qu’actrice ?

T.D : Oui, bien sûr. Je n’ai aucun snobisme face au format, ni même aux genres de projets. Ce qui compte c’est l’histoire, et ça m’est égal que ça dure 20 minutes ou une heure et demie. Je crois, en revanche, que le court-métrage est un exercice très difficile lorsqu’il s’agit d’écrire une mini histoire où on doit être accroché par les personnages, où faut qu’il y ait un climax, que cela raconte quelque chose, que le spectateur soit touché, etc… Quand je lis un scénario, c’est pareil, je suis spectatrice et cela dépend de ce qui me donne envie.

Comment appréhendes-tu le travail en tant qu’actrice sur les différents formats ?

T.D : Série ou film, long ou court, je n’appréhende pas du tout les choses d’une manière différente. Je pense davantage les choses en terme d’expérience physique et c’est la durée, pour moi, qui fait la différence. Avec le court-métrage, on a moins cette impression de tunnel, de ce travail au long court dans lequel on s’engage ; on est dans l’efficacité, comme lorsqu’on fait des petits rôles. C’est beaucoup plus difficile de faire des petits rôles, de ne faire que deux ou trois jours de tournage, parce qu’on a peu à jouer, et tout à coup, on a envie tout prouver dans les trois répliques qu’on a. Même un premier rôle dans un court-métrage, cela reste très court ! De la même manière, que l’auteur ou le metteur en scène soit obligé de tout montrer en une vingtaine minutes, pour nous c’est un peu pareil. C’est une sorte de challenge de devoir accrocher les gens en si peu de temps et de réussir à transmettre ses émotions. Alors que sur les longs métrages (et encore plus avec les séries), je suis moi-même un peu plus en paix dans le travail parce que je sais que j’aurai le temps de montrer à travers telle séquence ou tel geste. Et en tant que spectateur, on a le temps de suivre les personnages, de les aimer, alors qu’avec le court il y a cette idée où c’est…maintenant !

Est-ce que les conditions moins contraignantes du court par rapport au long (production plus légère, pression financière moindre, durée du tournage…) t’encouragent à tenter plus de choses dans le jeu ?

T.D : Cela dépend plutôt de comment cela se passe sur le plateau, notamment si on a du temps pour tourner, ce qui est rarement le cas en court-métrage. Je m’autoriserais plus à tenter sur une série par exemple, où les occasions de jeu sont plus nombreuses, avec des choses différentes à jouer et où je peux aller chercher plus de choses. Dans le court-métrage au contraire, je trouve que si le texte est bon, il faut épurer au maximum pour raconter au mieux ce qu’il y a à raconter. Quand on tourne sur une longue période, on finit par très bien connaître le personnage jusqu’à faire corps avec lui ; là où le court, c’est plus une rencontre d’un soir (rires) !

À quoi prêtes-tu attention à la première lecture d’un scénario ?

T.D : Les dialogues. C’est très important pour moi qu’il y ait un ton particulier, que les personnages ne s’expriment pas tous de la même manière, qu’il y ait une langue en fait. Avec Les Bigorneaux par exemple, qui est très bien écrit, j’avais déjà très envie de le jouer rien qu’en le lisant. Je voyais très bien les sentiments que je pouvais mettre dedans, le texte était si bien écrit qu’il n’y avait plus qu’à le prendre en charge physiquement. Ce que j’aime, c’est sentir une personnalité d’auteur à l’oeuvre dans les dialogues et malheureusement, je trouve que c’est trop rare. Dernièrement, j’ai travaillé pour Simon Astier, dans sa dernière série intitulée Visitors, et typiquement c’est un auteur qui a une langue qui lui est propre. C’est une comédie, c’est très rythmé et tout de suite quand on le lit, on sent qu’il y a une identité, c’est-à-dire que je n’ai pas besoin de réécrire. C’est vraiment important pour moi, parce que très souvent, on a l’impression que c’est une machine qui écrit des textes et que les dialogues, la plupart du temps, sont la dernière roue du carrosse. C’est encore autre chose que d’écrire un scénario. Scénariser et dialoguer, ce sont deux choses très différentes. Parfois, j’ai l’impression que ce sont des logiciels qui écrivent, ce qui fait que tous les personnages parlent pareil et à l’oral, cela ne ne fonctionne pas et je sens que je dois retravailler mon texte. La première chose évidemment, c’est l’oralité. Après, c’est aussi l’histoire qui m’interpelle : quels sont les risques pris et qu’est-ce que cela raconte ? Est-ce que c’est drôle ? Est-ce que cela fait peur ? Est-ce que c’est gênant ? De quoi ça parle profondément.

Y a-t-il un genre que tu affectionnes en particulier ?

T.D : J’aime tout. En tant que spectatrice, je regarde tout. J’adore la comédie mais je trouve que c’est l’un des genres les plus difficiles. C’est aussi difficile à écrire qu’à réaliser, et autant à jouer. C’est très dur de faire rire, c’est beaucoup plus facile d’émouvoir. Le plus dur, c’est encore d’émouvoir et de faire rire ! Là, on atteint des sommets… C’est peut-être d’ailleurs le genre que je préfère, mais à jouer : j’adore les comédies dramatiques à l’anglaise, c’est à la fois drôle et touchant, c’est ce qui se rapproche le plus de la vie. Après, j’adore tout ce qui est film de genre : horreur, fantastique… Mais j’aime aussi la comédie pure où on peut voir un lâcher-prise dans le jeu des acteurs. L’exagération est poussée très loin et on touche presque au clown. En tant qu’actrice, je trouve que ce sont des plaisirs très différents, mais c’est du plaisir à chaque fois. Le mieux, c’est d’arriver à alterner ces choses-là. C’est ce que j’essaye de faire en tout cas pour pas me lasser, pour me renouveler. Je sais que quand je travaille sur quelque chose de très comique et que cela m’a épuisée (sous pression de faire rire, physiquement on s’engage pas mal), et bien j’adore me morfondre après dans quelque chose de plus glauque, et quand je suis épuisée de pleurer, je me dit : « tiens, j’ai envie d’un truc plus léger (rires) !

Es-tu attirée par la réalisation ?

T.D : Je trouve que c’est assez fantastique et excessivement impressionnant. Déjà en tant qu’actrice, il y a tout un côté qui n’est pas évident à gérer, mais alors la réalisation… Ce n’est pas la même pression, ce n’est pas juste la performance ; tu as tout sur tes épaules, c’est moins « égoïste », il faut être au taquet sur tout ! Cela me plairait bien, mais pas tout de suite, parce que j’ai trop envie de jouer pour l’instant et cela prend tellement de temps et d’énergie que je ne suis pas prête encore à donner ce temps-là pour de la réalisation.

Quels sont les projets que tu as eu plaisir à faire dernièrement ?

T.D : J’ai beaucoup aimé faire Visitors, la série de Simon Astier. On est dans un contexte d’invasion extra-terrestre mais Simon s’en sert pour avoir un propos très juste sur la solitude et la dépression. J’aime bien comment il a pris des risques sur ses personnages et j’ai vraiment aimé son univers qui est très choral. C’était un sacré pari qui n’était pas gagné d’avance et je trouve qu’il a réussi. Avec des moyens modestes, il est parvenu à une très belle production avec un ton bien particulier dans le rendu visuel. Il a réuni des acteurs d’univers très différents, cela a donné une série très drôle et touchante. Ce qui est très comique au départ finit par sombrer dans quelque chose d’assez triste et lourd, et j’ai trouvé cela très audacieux. Sinon, j’ai fait une série dernièrement qui n’a rien à voir (pour Netflix) qui s’appelle Détox. D’un côté, celle-ci n’est pas forcément en phase avec mon univers mais en terme de comédie, le curseur est poussé tellement loin… que ça passe ou ça casse !

On est deux actrices principales avec Manon Azem, et la réalisatrice Marie Jardillier nous a permis d’aller à 160 % et il s’avère que les retours sont très positifs. J’avais un peu peur, parce que je pense que mon personnage peut être très insupportable et exaspérant, mais ce que j’ai apprécié dans ce projet-là, c’est qu’on voit deux femmes qui sont des rôles principaux et qui se permettent enfin d’être immatures et insupportables, un peu comme dans le film Very Bad Trip. On a souvent l’habitude de voir des personnages masculins se mettre dans des états pas possibles (surtout chez les Américains), d’aller trop loin, trop fort. Et là, Marie Jardillier, qui est une réalisatrice vraiment brillante, nous a permis d’aller jusque là, et de le faire en France. C’était une superbe expérience. Souvent, les projets que j’aime sont ceux qui prennent des risques, ceux qui sont un peu marginaux et qui sont surtout généreux et honnêtes. Je pense que la démarche dans laquelle on écrit les projets, c’est quelque chose de très important : que tu aimes ou pas, au moins que ce soit fait avec générosité et honnêteté. Le propos est là et les gens mettent tout leur cœur dedans pour raconter cette histoire au mieux. C’est la même chose pour moi : lorsque je joue, j’essaye d’être la plus honnête et la plus généreuse envers le public, envers l’histoire et envers moi-même.

Propos recueillis par Augustin Passard

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