Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux

Après plusieurs courts remarqués (Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, Le Repas dominical et Gros Chagrin), Céline Devaux franchit une nouvelle étape avec Tout le monde aime Jeanne, présenté hier en séance spéciale à la Semaine de la Critique. Son premier film, mêlant fiction et animation, est interprété par les comédiens Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxence Tual, Nuno Lopes et Marthe Keller. Côté animation, il s’appuie sur des voix intérieures et des dessins de la réalisatrice.

Lors de la projection à la Semaine, la productrice du film Sylvie Pialat (Les Films du Worso) évoquait avec humour le meilleur lifting : « celui de produire des premiers longs-métrages ». La réalisatrice et la productrice se sont rencontrées par hasard : la première n’osant écrire à la deuxième (son mail restait dans ses brouillons), la deuxième n’osant contacter la première (ayant fait ses courts avec une autre boîte, Sacrebleu). Le hasard les a réunies : Sylvie Pialat a été la marraine de Céline Devaux à un événement sur le court. Comme quoi, le court peut être un bon tremplin.

Blanche Gardin joue Jeanne, une femme qui se retrouve endettée du jour au lendemain car l’une de ses inventions écolo se révèle être un échec cuisant, rendu viral par les médias. « Femme de l’année », elle devient plutôt « Paumée du siècle ». Pour récupérer de l’argent, elle se voit contrainte de retourner à Lisbonne pour vider et vendre l’appartement de sa mère, décédée un an plus tôt. Jeanne a un frère kiné (Maxence Tual), des lunettes noires pour dissimuler sa honte, un ancien amant (Nuno Lopes) et un relou cleptomane qui s’intéresse à elle (Laurent Lafitte). Jeanne a aussi des pensées intérieures qui se concrétisent sous la forme de dessins (réalisés par Céline Devaux) et de voix cocasses.

Sur place, à Lisbonne, Jeanne a du mal à ranger ses affaires dans les cartons, les souvenirs de sa mère et sa culpabilité n’étant jamais bien loin. En fait, Jeanne a du mal tout court, qu’elle soit seule ou en contact avec les autres car ses petites voix ne la quitte jamais vraiment.

Dans le film de Céline Devaux, on aime plusieurs séquences comme celle où l’une des voix décrète que le jus de tomate ne se prend que dans les trajets en avion (c’est vrai) ou quand on fait le vide en jetant les assiettes maternelles par terre. On aime aussi le jeu de Lafitte mais aussi et surtout ces moments animés qui nous avaient tellement plu dans Le Repas dominical.

L’humour se veut au rendez-vous de ce premier film par le choix des comédiens (Blanche Gardin, Laurent Lafitte), le décalage entre les situations et la perception de Jeanne, bien, bien paumée (et ça se comprend : après avoir perdu sa mère, elle se retrouve sans boulot et revenus). Les moments d’angoisse de l’héroïne qui a du Bridget Jones dans les veines fonctionnent plutôt bien aussi avec les visuels propres à Devaux qui a écrit, réalisé et dessiné le film.

Après avoir dirigé Vincent Macaigne dans Le Repas dominical et Swann Arlaud et Victoire Du Bois dans Gros Chagrin, la réalisatrice diplômée des Arts Décos s’est fixé plusieurs défis pour ce nouveau film : un personnage intérieur féminin, une bande de comédiens, 3 langues (le français, l’anglais et le portugais), une direction de jeunes enfants et même d’un chien. Par moments, on ne peut s’empêcher de rester sur notre faim : la douce folie du court n’est pas celui du long et si le travail graphique entourant l’animation (dessins, voix) est bien rythmé, c’est bien au niveau du scénario et du jeu de Blanche Gardin qu’on est plus dubitatif. Il n’empêche : Tout le monde aime Jeanne reste un premier film – fragile donc – et Céline Devaux continue à nous intéresser par son humour, son trait bien à elle et sa fidélité à l’égard notamment du compositeur Flavien Berger, rencontré quand elle était encore étudiante, et qui signe à nouveau la BO de son film.

Katia Bayer

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