Saïd Hamich : « Réaliser a été une nécessité »

Le Départ de Saïd Hamich fait partie des 5 films nommés au César du meilleur court-métrage 2022. Cette chronique ultra maîtrisée relatant le départ d’un enfant (Adil, 11 ans), déchiré entre sa terre natale, le Maroc, et son nouveau pays, la France, avait remporté un prix d’interprétation pour son jeune acteur (Ayam Rachdane) et une Mention spéciale pour l’ensemble des acteurs du film lors de notre Festival Format Court (novembre 2021, Paris). Le film sera à nouveau diffusé le 7 avril prochain à l’occasion de la reprise de notre palmarès au Studio des Ursulines.

A quelques jours de la cérémonie des César, Saïd Hamich revient sur son premier film (Retour à Bollène, un long) et son premier métier, producteur, totalement compatible avec celui de réalisateur. Il est également question dans cet entretien d’expérimentation, de registres, d’intuition, de confiance mutuelle et de regards portés vers le long-métrage.

© Gabriel Renault

Format Court : Qu’est-ce qui t’a incité à te lancer dans la production et créer une boîte de production alors que tu étais encore à la Fémis ?

Saïd Hamich : A la Fémis, la plupart des producteurs qu’on rencontre sont souvent très installés. Ce sont des grands producteurs et des grandes productrices. Le modèle est un peu écrasant, mais souvent, les producteurs qu’on y rencontre sont des entrepreneurs : ce sont des gens qui ont monté leur boîte. Je pense qu’inconsciemment, le modèle de monter sa boîte et de produire du cinéma indépendant est majoritaire. Après moi, j’ai monté ma boîte (Barney Production) de manière un peu inconsciente, mais de manière très intuitive. Je voulais vraiment faire ça. Je l’ai montée quand j’étais encore à l’école. A la Fémis, on a une chance inouïe et on ne s’en rend compte que bien après : un producteur n’existe que par les réalisateurs et les réalisatrices qu’il produits. On ne se rend pas compte de la chance qu’on a d’appartenir à une génération qui nous permet de nous lancer. Il ne s’agit pas forcément de gens qu’on va produire toute notre vie, mais bien de gens qui nous permettent de faire le premier pas. Moi, j’ai commencé par produire Leyla Bouzid, Xavier Sirven, Vincent Tricon, Kamal Lazraq. Ce ne sont que des gens de ma promotion. C’est par eux que je me suis retrouvé à produire d’autres personnes. J’ai produit quatre films de Vincent Tricon, deux films de Xavier Sirven, deux films de Kamal Lazraq. Là, je produis son long, je développe le premier long de Vincent Tricon, donc il y a une espèce de continuité.

Dans ton parcours, tu as commencé par réaliser un long, Retour à Bollène, et puis, tu es passé au court-métrage. C’est bien dur de démarrer par un long-métrage et de faire un court après. C’est lié à quoi ?

S.H. : Le fait de réaliser a été une nécessité. Un an avant Retour à Bollène, je ne savais même pas que je voulais faire ce film. J’ai grandi dans cette ville. J’y ai passé quatre ans charnière de ma vie pendant l’adolescence. Je n’ai pas eu d’adolescence malheureuse mais j’ai vraiment eu de la rancœur vis-à-vis de cette ville. Quand ma mère a décidé de partir de Bollène, c’était plutôt une bonne nouvelle puisque pour moi, c’est une ville que j’avais associé à une forme de racisme ordinaire, de pauvreté de la communauté maghrébine, du chômage, de la ghettoïsation de plein d’endroits. Du coup, j’étais plutôt content qu’elle s’en aille vivre dans une ville un peu plus grande. Et pourtant, cette nouvelle m’a mis dans une forme de mélancolie un peu bizarre, de tristesse, de nostalgie très, très forte. Le film est venu de là. Comment une ville qu’on rejette peut en même temps représenter une telle identité ? Ce discours plutôt intime sur l’immigration, sur l’identité, j’avais l’impression de ne pas beaucoup le voir. La banlieue, je la voyais plutôt associée à de l’action, à des gangs, à du trafic de drogue, à des choses très rythmées. Je manquais d’une représentation d’un film de banlieue intime avec une déchirure, des silences, des non-dits. Retour à Bollène est né vraiment de cette urgence. J’ai écrit le film très vite. Il s’est tourné très rapidement et ensuite, la durée de ce film s’est imposée. A force de travailler la matière, on est arrivé à 1h7. Le film est sorti en salle avec Pyramide, j’étais plutôt content de l’avoir fait.

Après, je me suis demandé si je voulais continuer à réaliser ou pas. Je me suis posé la question après ce premier film. Je me suis dit que j’allais faire comme tout le monde. J’ai fait un court-métrage financé avec Arte, le CNC, .… A la Fémis, pendant les cours de production, on avait beaucoup de cours de scénario et j’avais un peu commencé à travailler sur cette idée du Départ qui est né d’une scène autobiographique. C’est un film personnel, mais pas autobiographique. La scène finale de l’enfant qui quitte le Maroc est une scène autobiographique : j’avais quitté le Maroc à 11 ans. Progressivement, j’ai écrit le film mais il s’est fait plus dans la réflexion et moins dans l’urgence que dans Retour à Bollène. La question de la durée du Départ est venue après, toute seule au montage.

Quelles qualités associes-tu au court ?

S.H. : Il y a une qualité qui est, pour moi, principale et énorme : c’est celle de l’expérimentation. L’économie du court en France est une chance inouïe de financer de manière structurelle un système de production de courts-métrages, en se basant quasi exclusivement sur des critères artistiques et d’expérimentation. Et nous, en tant que producteurs, on bénéficie aussi de l’aide aux programmes. On peut encore, au-delà des critères sélectifs des commissions, miser sur tel ou tel projet. Sukar, le film de Ilias El Faris, s’est monté par exemple avec l’aide aux programmes. Du coup, c’est un film de dix minutes où il n’y a pas de narration. La vraie force du court métrage, c’est d’expérimenter, de ne pas être contraint par des choix économiques de casting, de ne pas être trop gêné par des questions de durée. Les courts se font aussi avec des économies restreintes, grâce aux contributions des techniciens et des comédiens. Ce n’est pas quelque chose qu’il faut minimiser : les techniciens et les comédiens qui participent aux courts-métrages font un sacrifice énorme. C’est tellement libre dans la pratique que pour moi, c’est une chance inouïe. Par exemple Bab Sebta de Randa Maroufi est un film quasi expérimental dans un hangar sur une reconstitution documentaire d’un lieu, Vincent Tricon réalise un film de montage dans un premier temps, puis Sami La Fugue qui est une fiction vraiment très ancrée dans le réel. On a fait quatre courts métrages ensemble et il expérimente encore des choses, il se cherche. C’est passionnant de suivre ces réalisateurs et de voir comment une personne passe d’un registre à l’autre. On était à la Fémis ensemble, on a fait plusieurs métrages ensemble. Mine de rien, ce n’est pas pareil que de rater un court qu’un long, ça donne plus de liberté, ça a moins d’incidence économique. En réalité, le financement se fait quasi exclusivement sur des critères artistiques.

Est-ce que tu cherches encore des auteurs ou tu te concentres-tu sur les auteurs que tu suis déjà ?

S.H. : Déjà, je ne produis pas seul le court métrage, je travaille avec Sophie Penson. On choisit ensemble. Après, elle gère l’exécutif de la fabrication des courts. C’est la boîte au Maroc ( (Mont Fleuri Production) qui gère l’exécutif des courts au Maroc. Après moi, pour être honnête, j’ai moins de désir sur le court-métrage classique, parce que j’accompagne aussi les réalisateurs sur le long. En fait, je suis presque plus demandeur d’expérimentation que les projets que je reçois. J’essaye vraiment d’aller chercher des courts-métrages atypiques . Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas des mini histoires mais des signatures, des réalisateurs et des réalisatrices.

Ça se trouve où ?

S.H. : Je crois que la production se résume quasi exclusivement à l’intuition des personnes. C’est mon approche. Il faut rencontrer les gens et sentir, repérer leur vivacité, leur intelligence. Je produis des gens, je ne produis pas des produits.

Comment perçois-tu cette nomination aux César ?

S.H. : Une sélection, ça fait toujours plaisir (rires). Le Départ a très bien marché, on a fait plus de 100 festivals, il a eu plus de 25 prix. Ça peut être un peu présomptueux, mais je suis content par rapport au film que j’ai fait. Comme c’est aussi très personnel, j’avais besoin de le trouver juste. Du coup, je suis très content de l’expérience. Après, les César, c’est un peu la cerise sur le gâteau. C’est super que les gens l’aient vu, que le comité de présélection l’ait mis dans les 24 films du premier tour, que les votants l’aient gardé dans les 5 nommé.

(…) J’ai envie de continuer à produire et réaliser. La production, c’est vraiment quelque chose que j’ai envie, que j’adore. J’ai monté ma boîte quand j’étais à l’école, ça fait déjà dix ans qu’elle existe et que je suis un producteur à plein temps. En termes de réalisation, il faut que les projets s’imposent à moi. Là, j’ai un projet de long que je voudrais faire. Ça traite toujours de la question de l’exil, cette fois à Marseille dans les années 90, autour de la musique, du raï. C’est un projet qui, tant dans le fond que la forme, me tient à cœur et que je porte depuis longtemps.

Est ce que t’as l’impression que les choses vont mieux pour le court depuis quelques années ?

S.H. : Franchement, je ne sais pas si c’est mieux ou pas. En tout cas, j’ai l’impression que la profession s’est vraiment structurée. Il y a de plus en plus de boîtes de production qui font du long mais qui poursuivent dans le court aussi. Il suffit de voir une société comme Kazak Productions qui gagne une Palme d’or et qui continue encore dans le court. J’ai l’impression de voir chaque année de vrais pros, des courts qui émergent avec une vraie proposition formelle. Là, cette année, je pense par exemple à Dustin de Naïla Guiguet qui incompréhensiblement n’est pas nommé aux César alors que c’est quand même un Grand Prix à Toronto. C’est un film que je trouve assez dingue. Je ne sais pas si c’est un film qui se finance sur du long, mais la proposition en tant que court me satisfait.

C’est un film que tu aurais pu produire, par exemple ?

S.H. : C’est un film que j’aurais aimé produire (rires) mais il a été très bien produit.

J’ai deux questions. Qu’est-ce qui t’a donné envie de produire au Maroc ? Et c’est quoi un film bien produit ?

S.H. : J’ai commencé à produire au Maroc parce que je cherchais un partenaire pour le deuxième court-métrage de Kamal Lazraq, avec qui j’avais fait un moyen métrage, Drari, son film de fin d’études de la Fémis qui avait bien marché (le film avait été primé à la Cinéfondation et avait gagné le Grand Prix à Belfort). Quand on a voulu faire son court-métrage L’homme au chien, on n’a pas trouvé de partenaire qui était vraiment sensible à l’économie du court-métrage tel que nous, on l’envisageait. On ne voulait pas faire un court-métrage en deux jours, rapidement, avec les moyens du bord. On avait vraiment en tête un court métrage ambitieux. Du coup, j’ai monté une boîte de production là-bas (Mont Fleuri Production). On a tourné pendant 10 nuits avec un vrai temps de casting. C’est comme ça que je me suis retrouvé à produire d’abord ce court-métrage, puis à être le producteur exécutif de Hope de Boris Lojkine et de Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore. Je me suis retrouvé à faire de la production exécutive et à produire du cinéma marocain sur place. Dans le cinéma marocain, en tout cas en termes de longs-métrages, il y a des auteurs et même une nouvelle génération : Sofia Alaoui, Yasmine Benkiran ou encore Kamal dont je parlais. Mais en courts-métrages professionnels, ça reste quand même soit des films d’école soit des films assez modestes dans leur économie.

Sinon, un film bien produit, ça, c’est une question ! Il y a trop de données. Est-ce que c’est bien financé ? Bien fabriqué ? Des fois, on peut faire un film pas très bien fabriqué, pas très bien financé, mais on a eu une intuition de départ avec le film…C’est triste pour les producteurs, mais un film bien produit, c’est un bon film.

L’auto-production, on la perçoit comment quand on fait de la production ?

S.H. : Comme en France, il y a ce système d’étiquettes, je pense que ce n’est pas très bien vu de se produire soi-même. Après, je comprends l’idée que quand on réalise un film, c’est bien d’avoir un partenaire qui a du recul. Personnellement, je ne produis pas seul mes films. Le Départ, c’est Sophie qui l’a produit intégralement. Bien évidemment, j’ai des notions de production. Je ne suis pas un réalisateur qui ne sait rien de la production. Je ne peux pas mettre de côté mon cerveau de producteur quand je fais un film. J’ai fait du cinéma parce que j’aimais le cinéma. J’ai fait une école d’art, je n’ai pas fait une école de commerce. Mon rapport à la production est en rapport avec la mise en scène. Après, ce n’est pas un monde de bisounours : il faut avoir des considérations économiques. Mais je fais du cinéma pour le cinéma, pas pour autre chose. Après moi, j’aime bien l’idée que sur mes films, il y ait quelqu’un d’autre avec qui j’échange. Sur le projet de long à Marseille, dans les années 90, on rencontre des coproducteurs. On va certainement le co-produire parce que c’est un film un peu plus ambitieux et qui demande encore plus de recul. L’idée après tout, c’est que la production soit un outil au service du film.

Propos recueillis par Katia Bayer

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