Étranges discussions autour du court

À l’occasion de la 23ème édition de L’Etrange Festival, en septembre dernier, quatre cinéastes confirmés étaient invités d’honneur de la manifestation pour divers hommages et cartes blanches : Álex de la Iglesia, Jaume Balagueró, Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet. Dans les couloirs et salles obscures à l’atmosphère unique du Forum des Images, nous avons croisé et rencontré ce quatuor magique pour discuter de forme courte et de leurs débuts au cinéma.

© Les Julien(s)

Álex de la Iglesia, réalisateur de Le Jour de la Bête et Balada triste :

Quand je pense au court métrage, cela me renvoie à mes débuts, et à Mirindas asesinas, en 1991. J’avais réalisé un court avant, mais il n’existe pas, le film ne s’étant jamais terminé. C’était une sorte de chasse à l’homme à Bilbao, intitulée sobrement North by Northwest. Pour Mirindas asesinas, nous voulions faire un film dans un bar car nous travaillions sur les décors d’un autre court métrage. Nous nous sommes dits : « Faisons un meilleur film ! » La nuit, nous tournions notre projet tandis que le jour, le film officiel était filmé. Petit à petit, on ajoutait des éléments de décors qui correspondaient à notre film mais c’était l’équipe de jour qui payait les décors !

Le réalisateur officiel était quelque peu embarrassé par notre travail parallèle, de nuit. Nous avions fait faire de grandes reproductions du peintre Giorgio De Chirico mais son court métrage était une comédie romantique ! Il me demandait : “Mais pourquoi mettre des peintures de Giorgio De Chirico ?” On le rassurait en lui disant que ça allait servir son histoire tout en pensant à notre stupide film. Je pense d’ailleurs que l’on ressent bien dans Mirindas asesinas la présence de Giorgio De Chirico, avec ces tableaux de 4 mètres de haut. Le film contient beaucoup d’idées saugrenues, inspirées du dadaïsme. Au niveau des costumes par exemple, le personnage principal porte une robe folklorique que l’on aperçoit furtivement sous son long manteau.

J’ai essayé de réaliser d’autres courts métrages comme El código ou Hitler está vivo (2006 pour les deux), mais cela m’est devenu presque impossible car quand on commence à réaliser des longs-métrages, on a du mal à revenir au court. Au bout d’un moment, les gens te disent : “Si tu veux travailler avec moi, paye-moi !”, “N’essaye pas de me demander de faire quelque chose de surréaliste et de pas cher encore !”. C’est une profession, pas un jeu et c’est bien ça le problème.

Mirindas asesinas

Première fantaisie surréaliste de Álex de la Iglesia, Mirindas Asesinas développe un univers de comédie noire où se mêlent satire, picaresque et violence grotesque ; un cocktail détonnant qui deviendra la marque de fabrique de son auteur. Une première œuvre brute, séminale et irrévérencieuse, qui le fit remarquer notamment auprès de Pedro Almodóvar, futur producteur de son premier long-métrage, Action mutante.

Jaume Balagueró, réalisateur de [●REC] et La Secte sans nom.

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Pour ma part, le court métrage adopte un langage différent de celui utilisé en long, certaines histoires ne doivent être racontées qu’en forme courte. Et en même temps, le format spécifique du court métrage sert aussi à l’apprentissage des métiers cinématographiques. Pour un réalisateur en devenir, c’est une étape qui lui permet de s’introduire et de faire ses premiers pas sur le marché de l’industrie cinématographique. Lorsque qu’on est passé ensuite au long-métrage, il y a toujours des histoires qui nous semblent être parfaites pour le court métrage. Il m’arrive de vouloir refaire des courts-métrages, mais j’ai l’impression que cela serait presque plus difficile pour moi que de me lancer dans un long-métrage. Car mes films longs sont produits et financés dans un cadre économique mais cela ne serait pas le cas si je refaisais un court. Comment pourrais-je convaincre aujourd’hui un producteur de financer un énième court métrage sûrement à perte ?

Je nourris un lien particulier avec L’Etrange Festival, car j’y ai montré mon premier court-métrage Alicia et j’ai remporté le Grand Prix à l’époque. Entre cette reconnaissance et celle reçue au Festival de Sitges, cela m’a vraiment mis le “pied à l’étrier”. Avec le temps, j’ai développé un lien d’amitié vraiment fort avec les têtes pensantes de l’Etrange festival, Frédéric Temps et Philippe Lux. Alicia est un film expérimental crû, essentiellement basé sur l’atmosphère et les métaphores visuelles. Il témoigne d’une violence graphique poussée et développe de nombreux thèmes ou obsessions dont je voulais traiter. C’est une première proposition encore brute, non dégrossie.

Alicia

Grand Prix de L’Etrange Festival en 1994, Alicia cultive une violence expérimentale sèche, dans un dispositif atmosphérique malaisant où il est question de sexualité naissante, de servilité et de domination. Un film froid, dérangeant et frontal, filmé dans un somptueux noir et blanc, qui lorgne du côté de la performance artistique.

Marc Caro & Jean Pierre Jeunet, co-réalisateurs de Delicatessen et La Cité des enfants perdus.

© Les Julien(s)

Marc Caro : Pour moi, le court métrage est un espace de création que j’aime toujours beaucoup parce que c’est un territoire d’expérimentation dont l’on peut ensuite se servir dans les longs-métrages. Le court peut être juste basé sur une idée conceptuelle ou visuelle que l’on souhaite tester. C’est un espace débarrassé de certaines contraintes, notamment liées à la rentabilité du film. On peut tout essayer, dans un espace de pure création, sans se soucier d’autre chose que du film en lui-même.

Jean-Pierre Jeunet : Pour ma part, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas fait de courts. Je viens de réaliser un petit court-métrage d’animation, 2 escargots s’en vont, pour le plaisir, sans prétention, et qui a été projeté au Festival de Clermont-Ferrand cette année. C’est Romain Segaud qui s’est occupé de l’animation. Au départ, je m’étais juste amusé à créer des petites bestioles de fil et de broc, dans mon coin, et tout le monde m’a dit qu’il fallait en faire un film d’animation. En voyant les créatures que j’avais conçues, Romain Segaud m’a convaincu avec seulement une photo fixe qu’il pouvait les animer. Je n’ai même pas compris comment il avait fait. Ensuite, on les a photographiées sous tous les angles et on s‘est lancé dans l’aventure, mais ce n’est pas pour cela que je vais faire un court-métrage toutes les semaines.

MC : Mon nouveau court-métrage n’est pas encore terminé, je suis encore en plein dedans, je bosse comme un fou dessus. C’est un film d’animation sur ordinateur, ça s’appelle Looop, c’est très expérimental. Jean-Pierre et moi avons bossé ensemble sur les décors d’ailleurs.

Un des court-métrages que j’apprécie le plus et que l’on avait vu au Festival d’Annecy tous les deux à l’époque, c’est Tango de Zbigniew Rybczyński, film très conceptuel avec une rythmique incroyable et de fabuleuses idées d’exploration. Rybczyński a travaillé aussi sur des clips, c’est lui qui a réalisé Imagine pour John Lennon. Les réalisateurs avec de pareilles idées de films, à la fois compliquées et novatrices, mais aussi idéales pour une forme courte, devraient chercher à les faire eux-mêmes, ils perdraient moins de temps et d’énergie. Même si, bien entendu, on ne peut pas vraiment faire de film tout seul.

J-P. J. : Se lancer dans un court-métrage aujourd’hui, c’est mettre autant d’énergie que pour faire un long-métrage. Sauf si cela s’avère une parenthèse qui ne prend pas beaucoup de temps et à laquelle on s’adonne pour le plaisir.

Foutaises de Jean-Pierre Jeunet

12 ans avant la fameuse liste des “J’aime – J’aime pas” du Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Dominique Pinon dresse lui aussi sa liste personnelle faite de petits riens qui ne sont pas sans rappeler la poésie qui émane des films du tandem Marcel Carné et Jacques Prévert.

Le Défilé de Marc Caro

Dans ce court-métrage nettement influencé par l’esthétique steampunk, Marc Caro met en scène un défilé de mode en quatre temps. Pour cela, il s’entoure d’artistes de grands talents avec notamment Jean-Paul Gaulhier pour les costumes, Régine Chopinot pour les chorégraphies et The Residents pour la musique.

Propos recueillis par Julien Beaunay et Julien Savès

Remerciements à L’Etrange Festival, Estelle Lacaud, Alain Burosse et Frédéric Temps.

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