Retour sur la Berlinale 2017

En cette période estivale un peu creuse, nous ressortons les vieux dossiers et les sujets en souffrance. Berlin 2017, par exemple. Le festival, calé en février entre Rotterdam et Clermont-Ferrand, accueille depuis une décennie une compétition de courts-métrages, Maike Mia Höhne, une réalisatrice allemande, en assure la composition avec son comité de sélection.

Avec seulement 23 courts et moyens-métrages (et un film hors compétition), la sélection était constituée cette année de 5 programmes diffusés quotidiennement, intégrant des mini Q&A avec les équipes entre chaque film. Les salles, pleines même à 22h, étaient composées de spectateurs de tous les âges, certains suivant toute la compétition, d’autres venant découvrir un programme au hasard.

Le catalogue indique une volonté de diffuser des films « nous présentant des réalités alternées, des changements de perception, (…) créés en dehors des conditions normales de production, loin du courant de la propagande capitaliste » (rien que ça !). Ce mot d’ordre, ce manifeste rédigé par Maike Mia Höhne, la sélectionneuse en chef, a de quoi surprendre. Au final, les films sont-ils aussi surprenants et radicaux qu’énoncés ? Ont-il réellement changé notre vision ? Et bien, pas tant que ça.

Fuera de temporada de Sabrina Campos, inaugurant le premier programme, est un film argentin relativement classique dans lequel deux ex-petits amis se retrouvent après un temps de séparation. Il est désormais en couple, elle est célibataire. Hormis quelques jolis plans de corps dans l’eau et une tension passable (se remettront-ils ensemble, seront-ils surpris par la nouvelle girlfriend ?), on attend vainement que quelque chose se passe dans ce film, ce qui n’arrive jamais. On se reporte alors avec espoir au deuxième titre de ce même programme, Keep that dream burning de Rainer Kohlberger, un film germano-autrichien qui s’intéresse sur le papier aux algorithmes et au bruit, et qui se transforme en expérience résolument effrayante, parcourue par des sons extrêmement forts et une image agitée déconseillée aux spectateurs épileptiques. Trash. Chaos. Oreilles et yeux bouchés. Next.

Dans le deuxième programme, Miss Holocaust de Michalina Musielak (Pologne, Allemagne) est un documentaire fort gênant sur un concours de beauté pour le moins bizarre, couronnant annuellement des survivantes de la Shoah. Le film présente un groupe de femmes âgées s’adonnant aux rituels propres aux concours : défilés, répétitions, discours, … L’enjeu (la mémoire) qui pourrait en découler n’est pas vraiment là. On sent plutôt une caméra intrusive, inélégante et une recherche absolue d’émotion. La réalisatrice essaye de nous montrer ces femmes autrement, c’est-à-dire dans la vie, c’est un fait. Ca ne nous empêche pas de nous sentir néanmoins mal à l’aise en plein Berlin devant l’image de ces femmes juives âgées, rescapées de la barbarie nazie, qu’on nous montre dans des situations parfois trop appuyées. À part représenter la solitude, la maladie et la vieillesse, le film ne défend pas réellement un point de vue (la base du film documentaire) et se veut bien trop démonstratif par endroits.

Pour sa part, Le film de l’été d’Emmanuel Marre, clôturant ce deuxième programme, arrive à point nommé. Primé quelques heures avant Berlin du Grand Prix national à Clermont-Ferrand, le film « mélancomique » est notre coup de cœur n°1. Ce road-movie tourné dans l’urgence, le temps d’un été, à six, sans vraies aides financières (hormis L’Aide au film court et la confiance de deux maisons de production française et belge, Kidam et Michigan Films) est un film-expérience et un vrai moment de cinéma.

Un homme, Jean-Benoît Ugeux (souvent présent dans les courts et longs-métrages belges), voyage avec un ami et le fils de celui-ci. Une nouvelle amitié se développe entre l’adulte et l’enfant, avec pudeur et humour. Avec ses couleurs vives, ses cicatrices, ses genoux écorchés, ses danses improbables au car wash et les trous innocents dans ses chapeaux de paille, Le film de l’été, coup de cœur n°1 de Berlin, fait partie de ces découvertes positives qu’on fait trop rarement en festival. Primé par Format Court à Brive en avril dernier avant d’être récompensé du Prix Jean Vigo du court-métrages au mois de juin, le film a toutes les chances d’être en lice aux Cesar, si les sélectionneurs des courts et les votants de l’Académie ne se laissent pas séduire par d’autres films bien plus faibles, comme c’est malheureusement le cas chaque année.

The boy from H2 de Helen Yanovsky, issu du programme 4, est un documentaire qui suit un jeune garçon palestinien âgé de 12 ans, vivant dans le secteur H2 d’Hébron, la ville la plus importante de Cisjordanie. La caméra filme l’enfant en prise avec des soldats israéliens, allant chercher de l’eau et parlant avec doute de son avenir. Helen Yanovsky, la réalisatrice, montre une réalité filmée à hauteur d’enfant (les difficultés, rêves et espoirs de celui-ci) et termine joliment son film avec une image très visuelle du garçon cherchant à se cacher, à s’isoler de tous en se réfugiant dans l’unique endroit qu’il a trouvé à l’abri des regards : dans une poubelle.

Si le film fonctionne et touche le spectateur, on repère cependant rapidement un problème : la présence d’un stand d’Amnesty International à l’extérieur de la salle, invitant les spectateurs à signer une pétition sur le sort des enfants en Palestine (entendez, contre l’occupation des soldats israéliens). Les bénévoles du stand n’ont fait le déplacement que le soir de la première du film, mais curieusement absents les 10 autres jours du festival, pour accompagner les quatre autres programmes des courts en sélection. En pré-séance, lors de la présentation de l’équipe, la programmatrice en chef, Maike Mia Hahne, insiste par ailleurs lourdement sur la présence d’Amnesty et use de son bon pouvoir en conviant la salle pleine à signer ladite pétition. Le problème ne vient évidemment pas de la programmation et de la diffusion d’un tel film – bon au demeurant -, mais de la manière dont il est présenté et utilisé à des fins personnelles et politiques qui ne semblent pas pour autant gêner l’équipe concernée. Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à une telle confusion entre l’artistique et le politique et entre la responsabilité et la subjectivité, et c’est bien dommage de retrouver un tel cas de figure dans un festival aussi important que Berlin.

On termine avec une note plus positive, la découverte du tout dernier film de la sélection berlinoise, issu du cinquième programme, Os Humores Artificiais, un formidable moyen-métrage portugais réalisé par Gabriel Abrantes. Celui-ci a déjà réalisé de nombreux courts et moyens-métrages; deux d’entre eux ont déjà été montrés à la Berlinale. Cette année, le cinéaste livre un film vibrant, joyeux et lumineux, une comédie romantique, tournée en petit comité, comme le film d’Emmanuel Marre. Os Humores Artificiais parle des sentiments croissants d’Andy Coughmann, un robot de São Paulo, programmé pour faire du stand up, à l’égard de Jo, une jeune fille simple appartenant à une tribu d’Amazonie. Gabriel Abrantes signe ici un film sur l’intelligence artificielle, notre dépendance à la technologie, la superficialité de notre société, le retour à la simplicité et aux sensations vraies, directes. Il arrive à créer de l’empathie pour cette sympathique tête robotique humanisée par la parole, l’humour, la candeur et les grands yeux sombres, et à obtenir un rendu drôle, émouvant, servi par un bon scénario, de la musique, des poules, une gentille comédienne et une atmosphère toute simple. Face à cette histoire d’amour atypique où les belles âmes et la spontanéité comptent plus que les lignes de codes préprogrammés et la vanité sociétale, on retrouve quelque chose qu’on avait un peu perdu à Berlin : le sourire et l’émerveillement. Après Le film de l’été, Os Humores Artificiais, nommé pour les European Film Awards 2017, est bel et bien notre deuxième coup de cœur du festival.

Katia Bayer

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