Nada de Gabriel Martins

Avec son court métrage Nada, le brésilien Gabriel Martins nous offre une sorte de teen movie post-moderne où l’adolescence n’est plus un genre de paradis perdu mais un temps où l’individu en crise avec le monde découvre les règles du jeu social qui définit le monde des adultes, un monde appréhendé avec méfiance. Loin d’être un débutant, Gabriel Martins a une douzaine de courts-métrages à son actif, et a travaillé comme chef opérateur sur deux films de André Novais Oliveira, précédemment sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs. Également en compétition à la Quinzaine, cru 2017, Nada est une petite pause introspective sur les choix de vie. Choisir un métier, étudier, travailler, fonder une famille : le film évoque les attentes d’une société qui exerce une pression invisible sur les individus.

Alors que certains synopsis glanés ça et là sur la toile nous annoncent un film sur les débuts difficiles et la persévérance de la rappeuse MC Clara, le film de Gabriel Martins parle en réalité d’autre chose. Bia, l’héroïne, est en effet interprétée par la chanteuse de hip-hop Clara Lima, et la musique tient ici une place de choix, mais l’histoire qui nous est racontée s’intéresse de près à une étape précise et décisive de la vie de cette jeune femme. Le film de Gabriel Martins a cette force d’évoquer avec toute la hargne et la ferveur adolescente ce moment clé du passage à l’âge adulte. Nada s’apparente à un teen movie, à un récit adolescent empreint de l’intransigeance d’une jeunesse qui aspire à autre chose que ses parents. Il nous en présente aussi les codes les plus attendus : l’initiation du héros au monde des adultes, le lycée avec ses salles de classes et ses long couloirs, la chambre qui est le lieu de l’intimité, de l’expression de soi et un refuge.

Bia est un personnage au visage fermé et aux paroles tranchées : à cette période de l’année où tout adolescent se doit de faire un choix pour son avenir, choisir une formation, une université, Bia, selon les dires des adultes qui l’entourent, ne sait pas encore ce qu’elle veut. La réalité est plus complexe que cela et suscite l’incompréhension la plus totale.

Ce court métrage dresse le portrait d’une adolescente qui illustre d’une certaine manière cette expression cliché de la « génération perdue » qui n’espère plus, ne rêve plus, ne se fait pas d’illusions. Bia refuse de faire des choix, de se plier aux attentes de ses professeurs et de ses parents. Peut-être est-ce aussi par pure provocation, par esprit de contradiction. C’est en tout cas cette idée de contrastes, d’oppositions et de contre-sens qui semble guider le film dans son développement, dans la composition des plans et la mise en scène.

Nada débute par un long travelling allant de droite à gauche, à contre-courant, dans un mouvement ralenti, presque nonchalant, tandis que la caméra filme la rue et ses passants qui tous semblent stagner ou avancer dans le sens inverse. Dans Nada, le cadre qui délimite l’espace filmique est aussi un cadre qui définit et impose une limite spatiale et sociale au sein du récit : celui de la salle de classe, et celui de la famille. Sortir ou non de ce cadre devient alors un enjeu majeur et une revendication pour Bia.

Dans la salle de classe, la caméra scrute les étudiants un à un, tous vêtus d’uniformes. Bia, elle, porte un bonnet violet avec un œil au milieu. Détail presque humoristique, Bia a, grâce a ce bonnet, littéralement un troisième œil, élément qui suggère la clairvoyance. Une conseillère d’orientation entre dans la classe. Ses vêtements et son maquillage aux couleurs criardes, ses cheveux blonds platine et son micro collé aux lèvres lui prêtant une voix robotique font de ce personnage un cliché de superficialité. Aux babillages insipides et superficiels de la conseillère d’orientation, s’oppose le rap incisif de Bia qui vient du cœur et des tripes. Pourtant, ce n’est pas à cette dernière qu’on tend un micro.

Le court-métrage de Gabriel Martins repose sur une figure adolescente qui tente tant que possible de repousser l’entrée dans l’âge adulte et nous porte, avec son héroïne, à contre-courant. Le rap de Bia évoque la corruption de l’homme par l’argent, son discours, le droit de ne pas savoir et les inscriptions sur le mur de sa chambre, l’importance de prendre le temps. Le monde de Bia, celui du rap, est aussi celui d’un art contestataire où les mots sont autant de touches de poésie brute et de sincérité dans un monde qui oublie parfois qu’il faut savoir prendre le temps de se connaître et de se questionner sur ses choix.

Agathe Demanneville

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