Hommage à Nicolas Granger

Nous avons appris dimanche dernier la disparition de l’acteur Nicolas Granger, à l’âge de 40 ans. Après une importante carrière théâtrale étalée sur vingt ans, au cours desquels il avait notamment collaboré avec le metteur en scène Pascal Rambert, il s’était illustré ces dernières années dans plusieurs courts-métrages qui ont marqué la production française, en particulier les films « Peine perdue » d’Arthur Harari et « Il est des nôtres » de Jean-Christophe Meurisse. Ces deux films, projetés lors de la onzième édition des Rencontres du moyen-métrage de Brive en 2014, avaient remporté de nombreuses récompenses, dont le Prix Format Court que nous avions alors attribué au film d’Harari.

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© Marc-Antoine Vaugeois

C’est peu dire que la performance de Nicolas Granger avait fortement conditionné notre décision à l’époque. Au milieu d’une belle distribution, qui réunissait également le jeune Lucas Harari en dragueur mal assuré et la surprenante Émilie Brisavoine en citadine farouche, il campait avec une fébrilité bouleversante le personnage de Rodolphe, vieux rapace revenu de tout mais désireux d’entraîner dans son sillage quelques proies bien choisies pour un dernier tour de piste. S’orchestrait alors une valse des désirs entre tous les protagonistes du film, qui se mouvaient au gré des humeurs du personnage de Rodolphe, sans qu’à aucun moment l’on ne soit en mesure de discerner ses intentions véritables. Le récit d’initiation que dessinait le film avec la trajectoire du jeune Alex (Lucas Harari) dont semble se jouer tout du long l’imprévisible Rodolphe se laissait progressivement contaminer par autre chose, une mélancolie profonde qu’apportait le jeu, et en particulier le regard de Nicolas Granger. La séquence finale, qui voit les deux hommes échouer sur un îlot perdu au milieu d’un lac et de la végétation, faisait culminer ce sentiment à travers un échange de regards silencieux où le couple de dragueurs un peu minables finissait par se contempler en miroir l’un de l’autre. L’on comprenait alors que, moins qu’une initiation à la dureté de la drague, c’était bien le parcours de la peine que traçait le récit du film et que le personnage de Rodolphe s’était donné pour mission de faire traverser au jeune Alex avant de s’abandonner pour de bon sur cette île.

Nous avions appris auprès d’Arthur Harari que les rôles avaient été largement influencés par les différents acteurs du film, qu’ils avaient été nourris par leurs gestes, leurs dictions, leurs vécus. On ne saurait dès lors dénouer complètement la part de fiction, de « vrai » et de « faux » dans le déchirant monologue que délivrait Granger sur la barque sous le regard médusé de Lucas Harari, le récit d’une vie faite de marginalisation progressive, d’ivresses que l’on partage en groupe puis d’errances en solitaire. Ce genre de scènes où la définition du jeu se brouille suffisamment pour lui permettre d’atteindre son expression la plus forte, la plus nue, fut salué par beaucoup et distingué en son temps (le prix d’interprétation masculine de l’ultime édition du Festival de Vendôme fut remis à Nicolas Granger pour ce rôle). Alors que se rappelle à notre souvenir cette magnifique composition, nous ne pouvons que déplorer davantage la perte de l’une des plus belles révélations que nous avait récemment offert le milieu du court-métrage. Nicolas Granger aura tout de même eu le temps de croiser la route d’autres cinéastes avant sa disparition, notamment d’Emmanuel Finkiel qui l’avait recruté pour son nouveau long-métrage inspiré de Marguerite Duras, « La douleur », ainsi que Doris Lanzmann, jeune réalisatrice que nous découvrions au premier workshop de pitchs à Brive lors de la même édition qui révéla Granger dans les films d’Harari et de Meurisse.

Marc-Antoine Vaugeois

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