Nicolas Anthomé : « Ce qui m’intéresse profondément dans un film, c’est lorsqu’il nous amène là où l’on ne s’attendait pas à aller »

Nicolas Anthomé, producteur au sein de la société Bathysphere, s’est imposé en quelques années comme l’un des défricheurs les plus assidus d’une nouvelle génération de réalisateurs. Cette année, il présentait au festival Côté Court deux de ses productions récentes : « La Terre penche » de Christelle Lheureux, cinéaste prolifique que Format Court suit avec attention, ainsi que le nouveau film de Mihai Grecu, « The Reflection of power », tous deux présentés respectivement en compétition fiction et expérimentale. L’occasion d’aller à la rencontre de ce producteur qui est revenu pour nous sur son parcours, sur ses multiples collaborations et sur sa manière d’envisager la production aujourd’hui.

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Comment es­-tu arrivé au cinéma ?

J’ai grandi dans une petite ville de province. À l’adolescence, dans les années 90, j’ai commencé à développer des goûts personnels en musique et en cinéma, essentiellement via la télévision car il n’y avait pas de cinéma dans la ville où j’habitais. J’ai découvert les films comme ça, grâce au Ciné-club de Claude-Jean­ Philippe puis Frédéric Mitterand, au Cinéma de Minuit de Patrick Brion ou aux films programmés par Arte. J’ai pris conscience que cela pouvait devenir un métier lorsque j’étais au lycée, et j’ai pris la décision de travailler dans le cinéma assez rapidement, sans beaucoup réfléchir. L’envie de m’orienter vers la production est venue plus tard, vers l’âge de vingt ans. J’ai commencé à enchaîner les stages durant mes études, en ayant très vite le projet de monter une société de production. Je l’ai fait quelques années plus tard en créant Bathysphere productions et j’ai produit mon premier film en 2006.

Comment as­-tu rencontré les premiers réalisateurs que tu as produit ?

Je ne connaissais personne dans le milieu lorsque j’ai commencé à produire des films. Les premiers réalisateurs avec qui j’ai travaillé étaient des camarades de fac, comme Michaël Dacheux et Jérémie Jorrand dont j’ai produit les premiers court-­métrages. Les films que je je produisais alors étaient assez expérimentaux. À la même époque j’ai produit le premier long-­métrage documentaire de Virgil Vernier, « Chroniques de 2005 ». Je l’avais rencontré via un ami qui fréquentait cette bande parisienne composée de jeunes artistes comme Justine Triet, Arthur Harari, Thomas Lévy­-Lasne ou Ilan Klipper… Mes premières rencontres se sont faites à ce moment-­là, et de fil en aiguille j’ai rencontré plusieurs auteurs avec qui j’ai commencé des collaborations. Je suis rarement allé à la rencontre d’un auteur dans le but de produire ses films, exception faite d’Emmanuel Gras (« Bovines », « Être vivant ») que je suis depuis quelques années maintenant.

Est­-ce possible de définir une ligne éditoriale de Bathysphere ? Lorsqu’on regarde le catalogue de ta société de production, on a la sensation que la plupart des auteurs dont tu as produit les films ont des dispositions pour mélanger les écritures et les disciplines (le documentaire, la fiction, la danse…) dans le médium cinéma. Les documentaires, par exemple, reposent souvent sur des dispositifs formels assez expérimentaux qui les distinguent de la frange majoritaire de la production.

Les films qui m’intéressent en tant que spectateur et ceux que j’ai envie de produire sont en général ceux qui portent un projet formel singulier plutôt qu’un sujet à défendre. Je ne suis pas très sensible à l’envie de prendre en charge un sujet ou à la fibre militante, ça m’ennuie rapidement. Pour moi, l’ambition de mise en scène et le goût pour le romanesque prévalent sur la restitution conforme d’une réalité. Le fait est que, dans certains cas, la forme documentaire est plus appropriée et permet d’atteindre le cœur d’un projet plus facilement. Je pense notamment à « Bovines », que j’ai produit et qui ne peut exister que dans cette catégorie-­là, ce qui n’empêche pas le film de déployer une véritable écriture cinématographique.

On retrouve cette envie chez les cinéastes que tu as produit et qui vont plus franchement vers la fiction, comme Arthur Harari, Christelle Lheureux ou Arnold Pasquier.

Ce que ces auteurs ont en commun, c’est de ne pas chercher à faire des films pseudo-­naturalistes. On se rejoint sans doute sur ce désir là, même si ce n’est pas conscient. Après, le véritable point commun qui relie la plus part des films réalisés par les cinéastes que je suis est leur format : ce sont des moyens­-métrages. Ce qui m’intéresse profondément dans un film, c’est lorsqu’il nous amène là où l’on ne s’attendait pas à aller, lorsqu’il nous surprend. Cela induit donc, selon moi, une idée du romanesque qui a besoin de la durée pour ouvrir des portes sur des éléments inattendus et pour prendre le temps de développer des personnages et des récits singuliers. Il n’y a rien de plus ennuyeux pour moi que le petit court­-métrage de quinze minutes avec un récit bien clos, qui avance sur un terrain balisé, souvent avec les pires bons sentiments, et qui cherche à restituer une certaine idée du «réel» en caméra à l’épaule.

Qu’est-­ce que ça implique en terme de fabrication de privilégier les durées intermédiaires comme le moyen-­métrage (des films entre 30 et 59 minutes) quand on est producteur ?

C’est le format minoritaire dans le milieu du court­-métrage, il doit représenter entre 15 et 20 % de la production annuelle. La difficulté est déjà d’ordre économique, car on dépose souvent les projets dans les mêmes guichets que pour les films de moins de trente minutes. Ce sont donc les mêmes financements qui sont alloués alors que, de par leur durée, les moyen-­métrages coûtent plus cher. De plus, certains guichets refusent de lire ces projets, notamment certaines télés. L’autre obstacle, c’est la diffusion : la principale vitrine pour ces films sont les festivals de court­-métrages et la grande majorité d’entre eux ne programment pas les films de plus de 20 ou 30 minutes. J’ai produit beaucoup de moyen-­métrages, et certain d’entre eux n’ont été diffusés que dans deux ou trois festivals voire nulle part !

Et lorsque l’un d’entre eux a du succès, comme « Peine perdue », il ne tourne finalement que dans une dizaine de festivals. Néanmoins, il me semble que les films de ce format sont souvent plus intéressants et valent la peine que l’on se batte pour les financer et les diffuser. De plus, il y a aussi certains avantages en dehors de la réussite artistique. Par exemple, ces films bénéficient souvent d’une couverture médiatique importante lorsqu’ils sont diffusés dans les festivals, comme à Brive ou à Pantin. Beaucoup de cinéastes sont révélés grâce aux moyens-­métrages et suivis de près par la suite.

Tu as un rythme de production assez soutenu, à raison de quatre à cinq projets par an, courts et long­-métrages confondus. Est­-ce que cela implique pour certains films de te lancer en ayant très peu, voir aucun financement ?

Oui, sur les court-­métrages notamment, on part souvent avec des petits budgets. Pour l’un des films de Christelle Lheureux, « Madeleine et les deux apaches », on est parti sur le tournage avec très peu d’argent, juste une subvention qui provenait de l’art contemporain. J’ai accompagné Christelle sur ce projet car cela correspondait à sa logique à ce moment­-là de faire un film dans un geste sans attendre les financements. Le dernier court de Mihai Grecu que j’ai produit, « Reflection of Power », n’a obtenu l’argent d’aucun guichet, donc nous l’avons auto­financé avant d’obtenir le soutien en post­production de la région Île de France, région qui m’a sauvé bien des coups.

Cela amène la question des comités de lecture à qui on fait parvenir les projets, qui prennent du temps pour les lire et pour valider les subventions qu’ils peuvent allouer. Le principal problème avec ces guichets, notamment le CNC, est que leurs lecteurs souvent peu formés et expérimentés ne semblent pas disposés à prendre en compte l’expérience des cinéastes qui proposent leurs scénarios. Ils se contentent d’évaluer le scénario avec des critères étroits et théoriques, sans effort analytique véritable et sans tenir compte de l’œuvre et du travail que le cinéaste peut avoir déjà accompli. Dans un monde normal, des auteurs comme Christelle Lheureux ou Guillaume Brac qui ont fait preuve de leur talent par le passé devraient au moins avoir la possibilité de passer en plénière lorsqu’ils déposent un nouveau projet ! Mais non, on leur répond qu’on ne «juge pas sur le CV». Je pense que le CNC, en voulant à tout prix diversifier les profils des lecteurs, crée une forme de conformisme dommageable pour tout le monde. On ne juge plus un projet de cinéma, on ne juge que des scénarios.

Comment envisages­-tu l’avenir ? Quels sont tes projets pour la suite ?

Je ne me préoccupe pas des questions de formats et de genres, je voudrais continuer à produire des courts et des longs­-métrages, en documentaire et en fiction. Je travaille sur une quinzaine de projets, dont quatre courts­-métrages et deux longs-­métrages que l’on devrait tourner d’ici la fin de l’année.

D’où vient le nom de ta société de production ?

Du titre d’une chanson du groupe Smog, intitulée « Bathysphere ». Cela correspond typiquement au genre de musique que j’écoutais à l’adolescence, ce courant alternatif du rock apparu au début des années 90. J’aimais ce courant musical pour son esprit, ces artistes qui bricolaient leurs chansons dans leur coin et travaillaient dans une grande indépendance. Ils dégageaient une énergie très sauvage sur scène, sans aller dans le punk et sans avoir à hurler. Je retrouvais beaucoup de mon envie de cinéma dans leur musique.

Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois

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