Put(in)Love de Eirini Karamanoli

Avant d’être projeté en festival, le film de Eirini Karamanoli est d’abord paru sur Internet le 14 février 2014 pour la Saint-Valentin, journée choisie en Russie pour faire un coup médiatique en faveur de la communauté LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transsexuels). « Put(in)Love » est une réponse à cet appel et est présenté cette semaine au Festival de Brest.

Les Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi en février 2014 ont été l’occasion pour les membres de la communauté LGBT et ceux qui les soutiennent de faire parler de leur condition en Russie, profitant de la couverture médiatique de l’événement. En effet, alors que certains pays vont plutôt de l’avant concernant la considération des homosexuels et transsexuels, celle-ci fonctionne à reculons. Pendant que la France légalise le mariage homosexuel par exemple, la Russie vote une loi interdisant la « propagande homosexuelle auprès des mineurs » en juin 2013.

Lors des Jeux, beaucoup d’actes militants, allant du boycott aux pieds de nez au gouvernement russe, sont faits dans le monde entier pour protester contre la situation des LGBT en Russie. Cher ou Kylie Minogue ont refusé la proposition d’y chanter, Barack Obama a choisi deux sportifs homosexuels dans sa délégation pour y représenter les États-Unis, la Norvège a proposé une publicité pour des vêtements de sports mettant en scène un baiser lesbien, … « Put(in)love », vidéo militante tchèque, s’inscrit dans ce mouvement protestataire. Le titre, pouvant être lu « Putin Love » ou « Put In Love », fait clairement référence au dirigeant russe Vladimir Poutine, responsable de cette loi sur les mineurs, et une scène très touchante du film représentant une enfant faisant preuve d’humanité envers le personnage principal montre à quel point cette loi est ridicule.

Avec « Put(in)Love », nous suivons un moment-clé de la vie d’un personnage à Sotchi au moment des JO. Il (le personnage) nous est de prime abord présenté comme un garçon s’entraînant dans une équipe masculine de nageurs, ne portant pas de haut de maillot à la piscine et se changeant dans les vestiaires des hommes. Timide, il porte un gros blouson et un pantalon de jogging large et a les cheveux courts. Cependant, il possède des traits, un corps et un prénom de femme, Zhenja. Transexuel, Zhenja est victime de harcèlement moral et physique. Un jour, pourtant, elle décide enfin d’assumer sa féminité, se maquille et enfile une jolie robe à fleurs pour aller à la piscine. Cette décision ne laissera pas indifférents les gens qui l’entourent qui réagissent tous face à cette tenue, allant de l’admiration au lynchage violent, en passant par les regards de mépris ou de pitié.

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Constatant dans le miroir de sa chambre les dégradations physiques de son corps après avoir été tabassé, notre personnage se confronte violemment à un reflet qu’il ne reconnaît plus. Mais qui est-il ? Une « ordure », un « moins que rien », comme le qualifient ses partenaires de natation ? Une femme ? Un homme ? Les deux ? Entre les deux ? Ou simplement un humain comme les autres qui mérite respect et considération ?

La plus grande prouesse de ce film est de maintenir jusqu’à la fin la confusion sur le sexe d’origine du personnage principal. De toute évidence, quel que soit son genre d’appartenance, celui-ci nous est montré tel qu’il se perçoit lui-même, comme une femme, mais peut-être pas tel qu’il est vu par son entourage. Cette question de l’identité du genre est représentée par de nombreux plans de reflets de Zhenja dans un miroir. Ceux-ci lui renvoient l’image qu’il/elle veut voir et l’enferment dans un deuxième cadre dans lequel il/elle est seul avec lui-(elle)même. Cette métaphore de l’isolement par un cadre dans le cadre est d’ailleurs souvent utilisée dans le film.

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Souvent plus apparentés à des publicités qu’à des films de cinéma, les spots militants ont des codes bien à eux. « Put(in)Love » les respecte tout en les transgressant. Le film est court, choquant, violent, a un rythme effréné, avec une musique empathique et finit par le message clairement identifié en lettres blanches sur fond noir : « LGBT RIGHTS ARE HUMANS RIGHTS ». Mais ce qui fait de ce film un film de cinéma, c’est son détournement des codes avec lesquels Eirini Karamanoli joue assez justement pour un premier film. Bien qu’assez court, « Put(in)Love » est tout de même plus long (il dure une quinzaine de minutes), est doté d’un réel scénario, d’un travail sur la photographie et le découpage, ainsi que sur la psychologie des personnages et transporte le spectateur dans une diégèse recherchée.

On pourrait reprocher à ce film militant assumé son manque de subtilité, dévoilant son message trop clairement, mais il favorise grandement la prise de conscience des violences subies par les minorités sexuelles. Grâce à ce genre de films, situés entre spots revendicateurs et courts-métrages de cinéma, on peut espérer de ne plus parler de cette violence au présent mais comme d’un mauvais souvenir pour l’humanité.

Zoé Libault 

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