Dénes Nagy : « Je sens que je dois être ouvert à ce qui me touche »

Dénes Nagy est un réalisateur hongrois que nous avons rencontré à Cannes. Après avoir étudié l’Université d’Art Dramatique et Cinématographique de Budapest et avoir passé un an à la Berlin Film Academy (DFFB), il a réalisé « Lágy Eső », un film touchant sur l’adolescence et le passage difficile à l’âge adulte. Le film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, est le fruit d’une coproduction entre trois pays : la Hongrie, la Belgique et la Suisse. Entretien autour de l’observation, de la proximité avec les personnages, du hasard et de la difficulté de création.

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Tu as étudié et tu continues à étudier le cinéma. Tu as eu une approche théorique hongroise et allemande. Qu’as-tu appris de ces différentes expériences ?

À Budapest, je me suis concentré sur le cinéma. Il y a une tradition très ancrée en Hongrie, celle de raconter des histoires par le biais d’images et non par des outils dramatiques, narratifs. Les jeunes réalisateurs locaux ont grandi dans cette tradition. Les films hongrois sont très forts visuellement mais narrativement, ils sont moins forts. J’ai suivi cette voie. Et en Allemagne, ça a été l’opposé. Les images n’y sont pas aussi importantes, les mouvements de caméra, par exemple, sont moins importants que les histoires et les personnages. Ce sont deux approches très différentes.

Est-ce que tes films ont été différents après tes études en Allemagne ?

Je pense, oui.

Les films hongrois accordent-ils une place importante à la réalité ?

Je ne trouve pas qu’ils soient si proches de la réalité. Parfois, il y a un lien avec le réel, mais il n’est pas très ancré. La proximité avec les personnages, la relation qu’ils nouent avec l’environnement, ce sont deux choses très importantes dans le nouveau cinéma allemand et dans le cinéma français, comme dans les films de Bruno Dumont.

Est-ce que c’est quelqu’un qui a beaucoup compté pour toi ?

Oui, je suis très surpris par la façon dont il filme les relations entre le paysage et les personnages et par la façon dont les visages et les paysages sont parlants, racontent déjà une histoire. C’est un vrai observateur.

Comment est né ton film ?

Le film est l’adaptation d’une nouvelle écrite par Sándor Tar, un très bon écrivain hongrois contemporain. L’histoire fait trois pages, j’ai écrit le scénario avec mon chef op, Tamás Dobos. On a fait beaucoup de changements mais ce qu’on voulait dès le départ, c’était la proximité avec la terre et des gens d’un seul et même lieu. J’ai choisi le lieu de tournage, dans l’est de la Hongrie, et on a trouvé les gens sur place, les bons visages parmi une vraie communauté de fermiers. Personne n’était professionnel. Ils étaient tous amateurs.

Qu’est-ce qui t’intéressait dans l’histoire de Sándor Tar ? L’esclavage, la difficulté d’aimer, d’être libre, d’être soi-même ?

C’est dur à dire (rires) ! Tout ce qu’il y a dans l’histoire d’origine sont juste des outils pour entrer dans le film, dans un monde. On me demanderait de quoi parle le film, je ne saurais pas quoi répondre. Je ne sais pas, je n’ai pas cherché un message, c’est venu de l’inconscient de mon chef op et de moi-même. Il n’y a pas d’indices, j’étais très intéressé par ce garçon, par ses sentiments. C’était la seule chose qui m’importait. Tout ce qu’il y a dans l’histoire d’origine sont juste des outils pour entrer dans le film, dans un monde.

As-tu vu « Csicska » d’Attila Till,, précédemment montré à la Quinzaine ?

Oui, le film est très différent. Je pense que c’est un film très classique, narratif, un peu politique, au contraire du mien.

Il me semble qu’ils rejettent tous les deux les êtes faibles.

Oui, à la différence près que dans « Csicska », c’est le sujet du film. Dans mon histoire, je ne me suis pas focalisé sur le fait que le garçon soit orphelin. « Csicska » répond à quelque chose qui se passe dans la société, ce n’est pas le cas du mien. Je veux juste être proche de mon personnage, c’est mon seul désir en tant que réalisateur.

Comment as-tu travaillé avec ces jeunes acteurs ?

Le but était de les trouver, pas de les créer (rires). Ma tâche à 99% était de dénicher les personnages qui portaient cette histoire en eux. En rencontrant les deux comédiens, on a beaucoup changé le scénario, on l’a adapté à eux. On a parlé, passé du temps avec eux, rejoint leurs centres d’intérêt.

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Est-ce que ça a été difficile d’y parvenir ?

Oui, d’autant plus qu’ils viennent tous deux d’un monde très différent, d’une région très pauvre en Hongrie. Pour moi, ce n’était pas simple d’avoir une sorte de double vie en allant là-bas chaque semaine. À la maison, à Budapest, j’avais tout. Là-bas, c’était bien différent.

À quoi ressemble leur vie ?

Les choses de base manquent, ils n’ont pas d’eau, pas d’électricité, pas d’argent, pas de travail. Des très choses très dures leur arrivent régulièrement. Ça ne détermine pas le film mais ça participe à leurs émotions.

Tu as fait bon nombre de documentaires et de courts. En as-tu fait parce que tu n’avait pas l’opportunité de faire des longs ?

Ce n’était pas si planifié, j’aimerais faire un long, pas juste pour faire un film. Des évènements, des rencontres sont arrivés dans ma vie, un peu par hasard, certains sont devenus des films. Je sens que je dois être ouvert à ce qui me touche. J’ai fait par exemple un documentaire sur un musicien de rue, rencontré dans le Berlin d’underground, la rencontre a déterminé le film. Ça arrive parfois comme ça…

Comment se fait-il que tu as eu besoin de coproducteurs belge et suisse pour « Lágy Eső » ? Tu n’as pas réussi à trouver suffisamment d’argent en Hongrie ?

Non, ce n’était pas facile. J’ai pu trouver un peu d’argent en Hongrie, mais même avec l’argent belge et suisse, ça représentait très peu d’argent, dans son ensemble (rires).

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Est-ce que ça devient de plus en plus difficile de faire des courts en Hongrie ?

Oui. Recevoir de l’argent devient presque impossible dans mon pays.

Comment les autres font-ils ?

L’école nationale de cinéma de Budapest finance les films, mais cela aide seulement les étudiants. On recevait de l’agent de la Fondation hongroise du film, mais elle a fermé en 2010. Je ne sais pas comment nous ferons à l’avenir. Heureusement, la chaîne de télévision HBO est là, elle finance encore des projets artistiques. Actuellement, je prépare un projet de long documentaire pour elle. Ça me permet de voir venir.

Encore une chose sur « Lágy Eső ». Le monde adulte y est très absent…

Oui. Je suis très intéressé par ce passage entre l’enfance et le monde adulte. Est-on encore enfant ou déjà un adulte ? Ou bien les deux ? Je ne pourrais pas encore faire de film sur les adultes, je ne suis pas encore prêt, ça me fait un peu peur. Plus tard…

… Quand tu auras grandi !

Oui, je fais encore des courts, je ne suis pas encore un adulte (rires) !

Propos recueillis par Katia Bayer

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