Bertrand Bonello : « La contrainte peut être le début de la névrose mais aussi du style »

En début de mois, Bertrand Bonello, parrain du festival Silence, on court !, présentait aux Voûtes parisiennes un court métrage documentaire iranien méconnu « La Maison est noire », réalisé par la poétesse Forough Farrokhzad. À cette occasion, nous avions rencontré le réalisateur de « Cindy : The Doll Is Mine » et de « L’Apollonide : Souvenirs de la maison close » pour parler d’enjeux, de contraintes, de légèreté et de rêverie.

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© Anthony Dausseur

Vous parlez plus de formes courtes que de court métrage.

Je parle plus de formes courtes parce que c’est juste une histoire de durée. Films longs ou courts : il s’agit avant tout de films. L’idée, c’est de les mettre sur un pied d’égalité alors que souvent, quand on parle de court métrage, on se réfère à des choses qui appartiennent soit à l’apprentissage, soit à l’école, soit au début d’une carrière et sur lesquelles on ne revient pas. L’analogie est assez simple mais lorsqu’on considère la littérature, les grands romanciers, arrivés à maturité, commencent à faire des nouvelles parce que la forme courte est toujours plus difficile à faire que la forme longue. C’est quelque chose que l’on voit rarement au cinéma. Je cite souvent l’exemple de Jean Eustache qui a fait des films de quatre heures, de quarante minutes, … Il ne s’est jamais posé la question du basculement vers le court métrage.

Ce qui différencie beaucoup, ce sont les modes de financement et la façon dont on montre les choses. En dessous d’une heure, on a le droit à tel financement et au dessus, on a le droit à tel autre, mais globalement ce sont des minutes de film, des histoires. Si on enlève la considération commerciale (la salle, le distributeur, etc.), ce qui est quand même difficile, trop de films ont la même durée. Si devant un film de deux heures, on se dit qu’il aurait pu être plus long ou plus court, c’est qu’il n’a pas trouvé sa bonne durée. Et c’est important qu’il la trouve.

Quand avez-vous appris à trouver la bonne durée ?

Je ne l’ai pas vraiment appris. On essaye. J’ai l’impression que quand on met un film en route, le plus gros du travail est de savoir le regarder. Et à un moment donné, c’est presque lui qui se modèle de telle ou manière. Après, c’est vrai qu’on est déjà beaucoup formaté dès l’écriture : on sait très bien d’avance qu’on va plutôt vers un film d’1h45 ou de vingt minutes. Mais on devrait être plus libre en tout cas. Sauf que les moyens de financer les films et de les montrer ne tendent pas vers cette liberté, et c’est regrettable.

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Le fait de jouer avec les durées vous permet-il de retrouver un semblant de liberté ?

Ça permet de retrouver de l’air, de la légèreté et de la souplesse; après c’est ponctué par quelque chose qui est plus lourd : le long métrage, son financement, la sortie en salles, etc. Ça me rend heureux par contre, les courts, ces petites choses un peu légères.

Comment travaillez-vous ?

Je suis assez intuitif, je ne suis pas un théoricien.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

Rien. Je pense que je m’ennuyais un peu, et je me suis dit que dans le cinéma, on ne devait pas s’ennuyer donc j’y suis allé un peu au hasard.

Et au final, vous ne nous êtes pas ennuyé ?

Je souffre mais je ne m’ennuie pas.

En 2005, vous avez réalisé « Cindy : The Doll Is Mine », un film important à vos yeux.

Avec ce film, c’était vraiment le plaisir de faire quelque chose pour rien, sans enjeux, par opposition à un cinéma plus lourd. Dès qu’on commence à vouloir faire du long métrage, il y a tout de suite des enjeux, évidemment économiques, et puis il y a beaucoup de gens. Je pensais que « Cindy : The Doll Is Mine » ne serait jamais vu donc ça a été très agréable à faire. C’était une petite commande qui n’était pas du tout destinée à être envoyée en festival à la base, c’était plus pour une collection. Ça c’est donc fait sans aucune pression. Et ça ne m’est jamais arrivé, mais tout à fonctionné dans le film : le tournage a été gracieux, l’écriture rapide, le montage a été trouvé en une seule fois. Après coup, c’est probablement le film que je préfère, que je trouve le plus réussi. Je me dis souvent qu’il faudrait retrouver cette légèreté-là mais ce n’est pas simple.

C’est peut-être parce que, justement, dans ce film-là, il n’y avait pas d’enjeu.

Mais c’est très bien de faire des films sans enjeux, c’est très agréable. Après, il ne faut pas faire n’importe quoi parce qu’il n’y a pas d’enjeu. « Cindy » restait quand même un film en pellicule donc on ne pouvait pas tourner beaucoup. On met peut-être trop d’enjeux sur les films. Des fois, c’est bien parce que ça pousse à trouver des solutions et puis parfois ça empêche les choses, ça les étouffe, ça fait un peu office de barrières. Il faut savoir naviguer entre les deux.

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C’est ce qui s’est passé quand j’ai tourné mon court « Where the Boys are ». Ça s’est passé juste avant « L’Apollonide : Souvenirs de la maison close ». C’est un film qui c’est fait vite et très librement. Je n’avais pas besoin de scénario pour ce film parce qu’on ne m’en avait pas demandé, donc j’ai pu essayer des choses. Je n’avais pas besoin de gens connus donc j’ai tourné avec de jeunes actrices. Travaillé avec un petit groupe de filles m’a servi. Ça m’a mis dans le bain avant de faire un film plus lourd. C’est un peu comme les dessins et la peinture. Quand je revois des travaux de peintres, je trouve les croquis seuls très beaux.

Comment gère-t-on les contraintes budgétaires et son propre mode de création ?

C’est un tout donc on ne les sépare pas. C’est un équilibre à trouver, il ne faut pas que la rêverie prenne le pas sur le réel et inversement. Il faut être un peu funambule. La forme courte offre plus de liberté, mais trop de liberté est quelque chose de dangereux parce qu’on peut se laisser aller. Tout ce qui touche aux contraintes fournit une forme de tension à l’intérieur de soi, donc ça pousse aussi à faire des choses. La contrainte peut être le début de la névrose mais aussi du style. Ça nous pousse à trouver des idées et ça nous ramène au réel. Le cinéma, ce n’est pas du discours, de la théorie, c’est une caméra et ce qu’on y met derrière. Après, il ne faut jamais perdre la rêverie non plus de vue.

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© Anthony Dausseur

Comment abordez-vous la musique dans vos films, courts comme longs ?

On tente des choses dans les courts métrages. Je n’aime pas trop que les courts métrages racontent des histoires. J’ai l’impression qu’on n’a pas toujours le temps de raconter des histoires. Je préfère m’attaquer à un moment et y introduire une partie musicale qui va prendre énormément d’ampleur parce qu’on n’est pas dans une narration type. Donner de la place à la musique dans le court métrage, c’est tenter un truc. Ça ne peut pas être le cas dans un long-métrage. C’est vraiment dans les courts métrages que j’ai essayé des choses nouvelles, des rapports différents à la musique. Celle-ci travaille sur la durée, sur le temps. C’est important.

Propos recueillis par Géraldine Pioud et Katia Bayer

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