Emmanuel Chaumet : « Ce qui m’intéresse beaucoup dans le cinéma, c’est l’aspect « jeu » et « liberté d’expression » que je retrouve probablement plus chez des auteurs provenant des domaines artistiques »

Lors du Festival de Clermont-Ferrand en 2012, le 16e Prix Procirep du producteur de court métrage de l’année a été remis à Ecce Films. Autrement dit à Emmanuel Chaumet, le producteur gérant de la société, qui succédait ainsi à Jean-Christophe Reymond (Kazak Productions). Ce prix est doté par la commission d’aide à la création cinéma d’un montant de 5.000€, à réinvestir par la société lauréate dans un prochain projet de court et il est accompagné d’une « carte blanche » offerte par le Festival de Clermont-Ferrand pour l’année suivant l’obtention du prix. Si bien que lors de la 35e édition du festival cette année, nous avons eu l’occasion d’assister aux deux séances concoctées par les soins d’Emmanuel Chaumet; une manière de découvrir « la ligne éditoriale » d’ECCE Films et les coups de cœur du producteur.

En tout, dix films : quatre proviennent directement de la société de production Ecce Films (« Des ombres dans la maison » de Justine Triet, « Les Secrets de l’invisible » d’Antonin Peretjatko, « Absence de marquage » de Gregg Smith et « La tête dans le vide » de Sophie Letourneur) et permettent de présenter une partie de la « famille Ecce », quelques réalisateurs avec qui Emmanuel Chaumet collabore régulièrement.

Les six autres, très différents les uns des autres, offrent une vision d’ensemble de ce qui touche Emmanuel Chaumet. Parmi ceux-là, un film fantastique, « La morsure » de Joyce A Nashawati avec Agathe Bonitzer et son allure virginale ; un film à la limite de l’expérimental, « El juego » de Benjamin Naishtat ; deux petites respirations érotiques de Momoko Seto, « Octopussy Love Affair » et « Jennifer and Tiffany »; un film envoûtant et quasi prophétique autour de la sexualité des jeunes filles, « Snow Canon » de Mati Diop et un film engagé sur la violence des rapports sociaux dans un supermarché, « Expiration » de Cheng-Chui Kuo.

Nous avons rencontré Emmanuel Chaumet pour qu’il nous explique ses choix de films dans le cadre de cette « carte blanche ». Nous en avons profité pour discuter de sa vision du métier de producteur. Au résultat : une rencontre vive et franche durant laquelle le producteur gérant de la société Ecce Films n’a pas eu peur de nous donner son avis sur la situation actuelle du court métrage et ses financements, ainsi que sur le fonctionnement des festivals.

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Un an après avoir remporté le Prix Procirep du Meilleur Producteur de Court métrage en 2012, dans quel esprit reviens-tu à Clermont-Ferrand ?

C’est assez surprenant de revenir ici en fait car, j’ai des rapports cordiaux avec le Festival de Clermont-Ferrand, mais je suis du style à rouspéter quand des films ne sont pas sélectionnés. Je sais que la plupart des festivals déteste ce comportement mais ça fait partie de mon travail de défendre les films et les cinéastes que je produis. Par conséquent, j’ai toujours eu avec les festivals des rapports de controverses qui me semblent être caractéristiques du milieu du cinéma. Pour revenir à Clermont, je suis originaire de la région, donc ça me fait toujours plaisir de revenir au festival. Quant à cette carte blanche ici, c’est symbolique puisque le Festival de Clermont est considéré par beaucoup, comme un lieu où il faut absolument être représenté. Que mon travail soit reconnu ici, j’en suis bien sûr heureux, mais je suis tout aussi flatté quand le Festival de Pantin programme mes films en compétition. Ici, à Clermont, ça fait deux ans que je n’ai pas eu de films en compétition. L’année dernière, c’est grâce à un film en région qui était celui de Sophie Letourneur, et au fait que j’étais finalement éligible, que j’ai eu ce prix, alors que le Comité était passé à côté de tous les films que j’avais produits, y compris ceux de Justine Triet et d’Antonin Peretjatko qui ont plutôt bien marché. Après, bien sûr, on peut dire ce qu’on veut sur le Festival de Clermont-Ferrand et Dieu sait que je suis critique par rapport à la programmation et envers plein de choses comme le peu de liens créés entre les cinéastes, et entre les cinéastes et le public à cause de l’énorme taille du festival, mais il y a tout de même ici, un vrai dynamisme et les salles sont pleines de gens qui ont envie de voir les films. Le public est plutôt averti, sympathique et intéressant.

Peux-tu nous expliquer tes choix de films qui composent cette carte blanche ? Parle-nous tout d’abord des quatre films qui proviennent de ta société de production.

J’ai voulu privilégier dans cette carte blanche, d’un côté, des films d’auteurs assez emblématiques de ma boîte comme Sophie Letourneur, dont j’ai choisi de mettre le tout premier film, « La tête dans le vide ». De l’autre côté, je voulais mettre des films récents qui n’ont, à mon sens, pas été assez vus en festivals ou qui n’ont pas marché du tout. Par conséquent, « Absence de marquage », le premier film de Gregg Smith que nous avons produit. C’est un cinéaste qui a fait beaucoup de films auparavant, il vient plutôt du milieu de l’art contemporain, des installations. Là, il a fait un film avec un vrai casting et il s’agit d’une fiction beaucoup plus posée. « Absence de marquage » est un film que j’aime beaucoup et qui n’a absolument pas marché. Le mettre en avant dans cette carte blanche nous a permis de lui redonner une actualité. Et puis, celui de Justine Triet, « Des ombres dans la maison », c’est celui qui a le moins bien marché et que je trouve pourtant absolument formidable. Elle l’a fait avec une économie de misère puisqu’elle est partie toute seule au Brésil avec une petite caméra et un ami. Elle a ramené ce film très fort d’un point de vue cinématographique. Je souhaitais vraiment qu’on puisse le mettre en lumière. Enfin, le film d’Antonin Peretjatko, je ne comprends pas qu’il n’ait pas marché. C’est d’ailleurs un des films qui avait provoqué une controverse avec le Festival de Clermont l’an passé, parce qu’Antonin a fait ses premiers films ici, il a eu une reconnaissance ici et ça fait maintenant dix ans qu’il fait des films. Peut-être considèrent-ils que le rôle d’un festival de courts métrages est de révéler de nouveaux cinéastes plutôt que de rester fidèle à des cinéastes qui tracent leur sillon de courts en courts. Cela dit, je trouve le film très bien, très drôle, très original.

Peux-tu nous expliquer tes autres choix de films, qui ne proviennent justement pas de ta société de production ?

Parmi les autres films, il y a ceux de cinéastes que j’aimerais produire, que je fréquente, que j’aime ou bien que je suis en train de produire. C’était donc l’occasion d’avoir une actualité avec certains d’entre eux sur leur projet précédent et une manière également, de servir la boîte en mettant en valeur leur travail en vue de la production de leurs prochains projets. Après, il y a des petits coups de cœur, comme les films de Momoko Seko que je trouve très drôles. Comme ce sont des films qui lui ressemblent, ils sont terriblement amusants. Quant au film argentin, « El juego », il a été réalisé par un cinéaste que j’ai coproduit en Argentine et qui sort du Fresnoy. Je produis d’ailleurs beaucoup de gens qui sortent de cette école, notamment Benoît Forgeard.

Comment expliques-tu cette attirance que tu as envers des auteurs qui sortent plus généralement d’écoles d’art plutôt que de cinéma ?

J’ai toujours considéré que le cinéma pouvait certes être un divertissement mais que c’était avant tout une forme d’expression artistique. La forme m’intéresse autant que le fond. Par conséquent, je produis beaucoup de gens qui viennent d’écoles d’art ou du domaine artistique autre que le cinéma. Le cinéma étant pollué par l’économie de la télévision, il est vrai que ce n’est pas vraiment cet axe qui m’intéresse le plus. Il y a beaucoup de films que j’ai faits en autofinancement comme des films de Sophie Letourneur, de Benoît Forgeard ou le premier film que j’ai fait avec Justine Triet. Ce sont des films où je prends un risque important dans l’idée de défendre quelque chose et c’est d’autant plus fort que ça se fait sans argent. Je défends l’idée que le cinéma ne peut pas être entièrement financé par l’argent du producteur exclusivement. C’est évidemment agréable lorsque la caisse du prince vient encourager, corriger les effets du marché, mais je persiste à penser que trop d’argent dans le cinéma tue l’expression et l’indépendance du cinéaste. Ce qui m’intéresse beaucoup dans le cinéma, c’est effectivement l’aspect « jeu » et « liberté d’expression » que je retrouve probablement plus chez des auteurs provenant des domaines artistiques.

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« Absence de marquage »

À ce propos, peut-on parler d’une « famille ECCE Films »? Les auteurs-réalisateurs avec qui tu travailles le plus souvent et que tu soutiens collaborent également entre eux sur leurs projets respectifs.

Une famille, je ne sais pas (rires), mais il y a forcément des passerelles qui se créent puisque je travaille avec des auteurs charismatiques qui attirent vers eux des personnes qui sont de très bons techniciens ou de très bons collaborateurs tout court. Effectivement, la compositrice des films de Benoît Forgeard a travaillé comme actrice sur d’autres films. Même chose ou presque pour l’étalonneur d’Ecce Films qui est quelqu’un que j’ai rencontré grâce à Benoît Forgeard sur « L’antivirus » et qui est désormais la personne qui étalonne tous les films que je produis. L’un des graphistes avec lequel je travaille actuellement est un ami d’école de Sophie Letourneur, il a fait les Arts Décoratifs et c’est lui qui a fait le générique du film de Gregg Smith, « Absence de marquage ». Il va faire l’affiche du long métrage de Shalimar Preuss que je termine actuellement et il fait le générique du début du long métrage de Justine Triet.

Voilà, les passerelles se font comme ça et c’est l’avantage de faire du volume en fait. Autour de chaque film, se créent de nouvelles connexions, techniques dans la fabrication, artistiques dans les rencontres. J’ai par conséquent l’impression que, de film en film, les choses avancent. C’est vrai que lorsque quelqu’un me dit qu’un tel film me ressemble ou pas, il est vrai qu’il me ressemble aussi dans les connexions que je rends possible. Effectivement, travailler sur un film, c’est rencontrer des acteurs, des techniciens, des musiciens, etc. Ce sont des choses qui nourrissent mon regard de producteur pour les nouveaux projets. Quand j’ai créé ma boîte, j’ai mis de l’argent personnel pour commencer mon activité. Et je me suis dit qu’il fallait que je fasse un pari sur trois ou quatre cinéastes. Sophie Letourneur est la première sur laquelle j’ai investi. Comme aux cartes, quand on gagne la première fois, c’est dur d’arrêter après (rires) !

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« La tête dans le vide »

Concernant les projets que tu produis, la notion de durée ne semble pas être une donnée primordiale. Tu produis aussi bien des courts, des moyens et des longs, en faisant des allers-retours de l’un à l’autre.

Je fonctionne beaucoup en termes de cinéphilie et il y a des choses qui fonctionnent clairement en format court et d’autres uniquement en format long. Ce n’est pas parce que c’est court que ça ne m’intéresse pas. Ce qui me motive le plus, c’est de rencontrer les auteurs–réalisateurs le plus tôt possible et être à l’origine des premières discussions autour des films. Que ce soit court ou long, ça reste similaire puisque tout se trouve dans l’étincelle du cinéaste. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de satisfactions, à titre personnel, à produire des courts métrages. C’est une des plus belles choses qui me soit arrivée et c’est très émouvant de recevoir un Grand Prix ou tout simplement d’être sélectionné en festivals, d’aller à Berlin, à Locarno, à Rotterdam ou à New York avec du court. Ça peut aussi arriver avec des longs et j’espère que ça m’arrivera. J’ai des films longs qui commencent à pointer leur nez. Je fais entre trois et quatre courts métrages par an et par conséquent, ça multiplie par trois ou quatre le potentiel de satisfaction que je peux avoir à défendre le fait de continuer à produite des courts et de me nourrir de l’accueil qu’on leur fait.

En fait, sur la question du format, j’ai un peu l’impression qu’il y a beaucoup de producteurs qui font ce métier pour l’argent, et il est vrai qu’on gagne moins d’argent en faisant du court que du long. Bien évidemment, avec ce constat, la plupart des gens qui ont déjà fait des courts revendiquent qu’ils font des courts en vue de faire des longs. Et en même temps, c’est un peu vrai que ça fonctionne comme ça, mais je n’ai pas forcément envie de m’y plier. Aujourd’hui, si vous dites dans le milieu, aux chaînes et autres financeurs, que vous allez faire un film à 400.000€, ce que je fais régulièrement, les gens vous regardent de haut en se disant que vous êtes un « crève-la-faim ». Le court métrage est associé à ça et les festivals sont responsables de ça, et la manière dont on parle du court métrage est liée à cette image. On parle d’un petit film, alors que non, ce n’est pas un petit film. De toute manière, c’est l’argent qui mène tout et aujourd’hui, même les réalisateurs parlent comme des producteurs. Pourtant, je suis persuadé qu’en faisant des films à 400.000€ ou 500.000€, on a autant, voire plus, l’opportunité de gagner de l’argent. Bien sûr, j’ai aussi envie de bien gagner ma vie mais en restant libre et en pouvant prendre des risques. Pour le moment, ma boîte est à peu près à l’équilibre et définitivement, mon modèle économique, c’est Cassavetes qui faisait ses films avec trois fois rien, juste parce que c’était sa raison de vivre.

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« Good Bye Sweet Pop’s »

En étant lauréat du Prix Procirep du meilleur producteur de court-métrage, tu as gagné 5.000€ à réinvestir sur un prochain court métrage. As-tu déjà redistribué cet argent ou bien as-tu pensé à un film en particulier ?

J’ai un film à peu près tous les trois mois en production, donc ça va vite. En réalité, j’ai réinvesti cet argent pour la réalisation de deux films : celui d’Antoine Desrosières, « Un bon bain chaud » et celui de Bérangère Allaux, « Good Bye Sweet Pop’s ». Encore une fois malheureusement, ce sont deux films qui ne marchent pas trop et avec lesquels, je me suis pourtant senti bien en les produisant. Néanmoins, celui de Bérangère est allé à Rotterdam et celui d’Antoine, à Pantin. Ils ne sont donc pas invisibles pour autant. Ça me désole juste un peu qu’il n’y ait rien de plus pour le moment, mais attendons de voir.

Un dernier mot, une dernière petite curiosité : nous donnerais-tu la signification du nom de ta société de production, Ecce Films ?

Il y a plusieurs sens. Ça signifie « voici » en latin, donc c’est assez pratique pour les génériques. Et puis, c’était le titre du deuxième film de Nanni Moretti qui s’appelait « Ecce Bombo », que j’aime particulièrement. Ce sont mes initiales aussi. Voilà, c’est un peu tout ça à la fois (rires) !

Propos recueillis par Camille Monin

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