Fais croquer de Yassine Qnia

Yassine, jeune réalisateur, veut tourner un film dans sa ville, à Aubervilliers, avec ses amis. Ceux-ci sont volontaires. Leur façon de s’engager dans le processus du tournage diffère du sien mais Yassine est une forte nature.

Un tournage dans une cité, en banlieue, aujourd’hui. Quatre jeunes Français d’origine arabe et kabyle. Un caméscope numérique qui pourrait avoir été racheté dans une brocante. Celui-ci est accroché au tour du cou du réalisateur, Yassine (alter ego du réalisateur de Fais croquer, Yassine Qnia) avec une bandoulière de marque….Apple. Lorsque Yassine (l’acteur M’Barek Bellkouk, remarquable) rallume son caméscope après avoir donné ses indications, le niveau d’autonomie de la batterie apparaît, à moitié pleine, alors que l’on entend l’ordre de tourner la scène suivante.

Le recours à des zooms, à des cadrages grossiers ainsi qu’au jeu exagéré des comédiens nous poussent à croire qu’on est devant une mauvaise copie de certains films sur la banlieue alors que deux jeunes mettent en boîte leur ami, Mounir, piètre comédien qui sait à peine lire.

Les premières secondes de Fais croquer, déjà lauréat de plusieurs prix dont le Prix Spécial du Public au Festival Côté Court/édition 2012, peuvent tromper. Car très vite, on s’aperçoit que l’on a mal jugé ce film. Son titre est à double sens comme plusieurs de ses scènes. Si l’expression « fais croquer » nous est expliquée par l’amusante évocation de Saint-Denzel Washington (à la troisième minute du film), le réalisateur Yassine Qnia et ses co-scénaristes Carine May, Hakim Zouhani et Mourad Boudaoud sont les grands croqueurs de l’histoire.

En 22 minutes, Fais croquer croque la malbouffe, le surpoids, l’échec scolaire, l’illettrisme, la dyslexie, l’amitié, le racisme, la résignation d’une jeunesse inemployée coexistant en bon voisinage avec la play-station et un petit joint de temps en temps. Et bien davantage…c’est dire l’appétit de ce film et aussi sa nécessité de consistance.

De tels sujets pourraient très vite être déprimants. Mais comme dans toute bonne comédie, Fais croquer dit un certain nombre de vérités avec le sourire. Et ça passe. Nous sommes devant un « film de DJ » où l’image et les dialogues sont l’équivalent d’un vinyle multipistes qu’un DJ prend plaisir à jouer. Les thèmes abordés sont bien dosés, pas de temps mort ou de lourdeur.

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Le racisme ? Ici, on fait dans le racisme à rebrousse poil. Yassine refuse un rôle à Rudy (le nouveau Denzel Washington), son pote et voisin…parce qu’il est noir. Il le lui explique avec une sincérité si naïve que cela en est très drôle. Puis, il octroie un rôle à un « Grand Norvégien aux yeux bleus » pour jouer un personnage qui s’appelle…Samir. Et Rudy, toujours dans les parages, saura le lui rappeler, lorsque, sous la pression du groupe, Yassine devra mettre un terme au CDD de quelques minutes attribué au dit « Grand Norvégien ».

Si le film a sa propre tonalité et évite ainsi les secteurs « classiques » tels que l’intrigue amoureuse, le rap, la police, la prison ou la violence, il faut tout de même un peu de vibration sexuelle qui s’avère, là, très hétéro-centrée. Donc cherchez la femme. Il y en a quatre. La mère de Yassine (la vraie mère du réalisateur) qui le surprend en pleine nuit en plein délit de renforcement alimentaire devant le réfrigérateur familial alors qu’il peine à s’endormir. Et les trois comédiennes du casting. L’une permet d’aborder la question du voile et de la religion. L’autre est l’antithèse de cet idéal féminin vanté au cinéma et dans les pubs. Enfin, la dernière est celle qui réveille ce qui reste de mobilisable chez ces jeunes garçons malgré leur désoeuvrement optimal, et ouvre le chapitre de ce qu’est le cinéma responsable selon Qnia. Il n’y a aucune ambiguïté : pour Qnia, une véritable actrice est d’abord celle qui sait jouer et, autant que possible, hors des productions commerciales comme celles soutenues par Luc Besson. Ce parti pris se doit d’être évoqué lorsque l’on a une idée du pouvoir économique et de l’aura de Luc Besson en rapport avec ses projets divers dans le 93 où se déroule l’histoire.

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Et puis, il y a aussi ces deux mômes à la voix grave, deux petits noirs d’une dizaine d’années, parodies de caïds en échec scolaire qui se déplacent en trottinette. Ils veulent aussi en être, du tournage. Comment en-ont-ils entendu parler ? On comprend que tout se sait dans le quartier. Le bon comme le mauvais ; et si pour ces deux petits, l’école semble déjà s’éloigner d’eux, ils ont encore le choix entre l’art et le sport. A condition de pouvoir rêver. Sauf que ce qui les fait rêver, c’est la célébrité et l’immédiateté. Leur face à face avec Yassine qui hèle alors ses amis depuis la rue (lesquels sont occupés à jouer à la play-station) peut encore nous faire rire. Entre Yassine, alors isolé, plus proche du mendiant ou du SDF que du réalisateur prestigieux, et ces deux gosses à trottinette qui s’adressent à lui presque d’égal à égal afin d’obtenir un emploi sur son tournage, difficile de savoir avec certitude lequel est le plus à la rue. Ce qui inquiète déjà néanmoins, c’est que ces deux mômes, aujourd’hui hilarants, pourraient tout aussi bien plus tard entendre parler d’un braquage en préparation et demander de la même façon à en être.

Fais croquer aurait pu être un film dramatique tant nous sommes loin d’un univers avec plages et cocotiers, cocktails et canapés, aux infinies facilités financières et relationnelles. A la place, il nous offre sa jeunesse, son humour et leurs multiples possibilités.

Franck Unimon

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