Se-ma-for, l’animation made in Lodz

Mentionné plusieurs fois dans notre dossier consacré à Marek Skrobecki, le studio d’animation Se-ma-for méritait bien un feuillet à part, d’autant plus que son président, Zbigniew Żmudzki, était aussi de passage à Paris au mois de décembre pour participer au Carrefour de l’animation. Venu introduire des films rares de grands maîtres du studio, il a assuré une démonstration technique post-séance, devant un public complice, intrigué par la taille, la matière et le rendu des marionnettes en silicone rapportées de Lodz, dont celle d’un policier sans tête issu d’un des derniers films maison, « Danny Boy ». Reportage en trois points.

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© Nicole Guyot

Le studio

Né en 1947 à Lodz, Se-ma-for faisait à l’origine partie prenante du studio Film Polski. Y ont été conçus bon nombre de films pour enfants et adultes, dont le tout premier film d’animation polonais en marionnettes d’un pionnier et maître de genre, Stanislas Starewitch, “Walka żuków” (“The Battle of Beatles), mais aussi pas mal de films de réalisateurs empruntant aux autres genres que l’animé (Roman Polański, Janusz Morgenstern, Jan Laskowski, …).

Avec le temps, le studio, ainsi nommé pour son acronyme avec Studio Małych Form Filmowych (trad. Le Studio des petites formes cinématographiques) s’est fait repérer pour avoir révélé bon nombre d’auteurs, produit des films d’animation ambitieux (les plus récents, « Świteź » de Kamil Polak et « Maska » des frères Quay, pour ne citer qu’eux) et attrapé deux Oscars (l’étourdissant et répétitif « Tango » de Zbigniew Rybczyński et « Pierre et Le Loup » sur lequel Marek Skrobecki a signé les décors), dont la trace est encore sur leur site internet avec une petite place pour une éventuelle troisième statuette. Se-ma-for a depuis fait des petits : un musée y a été crée, on peut y visiter les décors qui ont servi aux films et y voir les productions maison, et un festival spécialisé en marionnettes a également été imaginé (pour les amateurs du volume, les films peuvent d’ailleurs y être soumis jusqu’au 31/7/2012, la prochaine édition étant prévue fin septembre).

Les films

Parmi les films présentés lors de cette séance, la moitié n’a pas encore été numérisée, leur restauration reste compliquée, certains films ayant déjà atteint les 50 ans d’âge. Le plus ancien, « Attention, le diable/Uwaga, diabeł », date de 1958. Réalisé par Zenon Wasilewski et sélectionné au festival de Cannes en 1960, le film a comme héros un mauvais diable délaissant son maître magicien et semant la zizanie dans une petite ville de province avant d’être tabassé par une petite vieille énergique à coups de parapluie vigoureux. Vaguement plus récents (1966 pour le premier, 1967 pour le second), « L’Ange gardien/Człowiek i anioł » (Edward Sturlis) confronte un honorable ange gardien moralisateur, digne des meilleurs pubs animées des années 50, à un simple citoyen en proie à la tentation des femmes, des cartes et de la boisson, tandis que « Le Sac/Worek » (Tadeusz Wilkosz) s’intéresse à un sac glouton qui avale une râpe à fromage et un fer à repasser avant de se mettre à danser la polka avec un napperon orné d’un portrait d’archiduchesse.

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« Le Petit Déjeuner sur l’herbe/ Sniadanie na trawie »

Sortis à un an de différence du studio, « Le Petit Déjeuner sur l’herbe/ Sniadanie na trawie » (Stanislaw Lenartowicz) revisite en 1975 le tableau de Manet avec des éléments découpés (on y trinque, lit son journal, sort sa nuisette, fait sécher son linge, joue de l’harmonica, souligne au feutre noir le galbe des seins de la dame et rajoute des moustaches au monsieur) alors que « Jour de fête/Swieto » (1976), un autre film de Zbigniew Rybczynski, bien connu moins que « Tango », montre des embrassades répétitives et bruyantes d’une famille sur le pas de la porte ainsi que l’amour dans les champs avec un son de cloches en arrière-fond.

Trois questions à Zbigniew Żmudzki, président de Se-ma-for

En quoi Lodz est et a été une ville importante en matière d’animation ?

À la fin de la guerre, Varsovie était complètement détruite. Géographiquement, Lodz était la plus proche. Elle n’est qu’à 100 km de Varsovie, et en deux, trois ans, elle a pris sa place de capitale de la création. Les metteurs en scène qui avaient survécu à la guerre se sont repliés sur le studio, l’expression « Holly-Lodz » (prononcez « Hollywoutch ») a commencé à circuler. Peu à peu, le cinéma est revenu à Varsovie, mais le studio est resté à Lodz, et les meilleurs films d’animation y ont été produits.

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© Nicole Guyot

Les derniers films de Se-ma-for, que ce soit « Danny Boy », « Maska » ou « Świteź », ont tous un côté sombre. Est-ce un critère qui vous intéresse dans la production de films d’animation ?

Notre spécificité, c’est le conte philosophique. Nous ne réprimons pas la création. Les animateurs nous proposent leurs idées, après, c’est vrai que les idées qu’ils abordent, ce qu’ils ont envie de faire, touchent beaucoup au noir, au philosophique. Ils veulent avant tout faire passer des messages, c’est probablement pour cela qu’ils sont sombres. J’aimerais beaucoup que quelqu’un vienne me voir avec une idée de comédie mais cela n’est pas encore arrivé. Les gens qui se présentent à moi viennent avec des sujets graves en tête. Pourtant, dans tous ces films, des éléments de gaité ressortent. Regardez « Ishtys » de Skrobecki, il y a des moments drôles, non ?

Un autre aspect ressort aussi : le travail autour du son, l’absence de dialogue et l’importance accordée à la musique. Est-ce quelque chose auquel vous faites attention ?

À Se-ma-for, nous considérons que si le réalisateur veut utiliser des dialogues, c’est qu’il n’a pas terminé son film. Les dialogues sont adéquats pour les films commerciaux ou pour enfants. Si dans un conte philosophique, on est obligé de mettre des dialogues c’est que quelque chose ne fonctionne pas. Le film parfait, c’est celui qui raconte quelque chose sans un mot, c’est pour ça que la musique est très importante à nos yeux. Elle n’est pas juste une illustration d’image, elle attribue des effets réellement fondamentaux au film.

Katia Bayer. Traduction : Katia Sulisa-Alves

 

3 thoughts on “Se-ma-for, l’animation made in Lodz”

  1. Bonjour ,
    J’aimerai comme écrit précédemment sur le lien facebook qu ‘un des auteurs ou directeur de semafor puisse me contacter en vue d’informations sur les marionnettes .
    « po polsku to jest mozlive ale trudne » mais je veux bein essayer.
    Je voudrai aussi faire un stage dans le domaine du cinéma (de fiction ou d’animation , en court ou long ) pour l’été 2012 si jamais vous avez des contacts…
    Je vous remercie d’avance et vous prie de recevoir mes meilleurs voeux pour cette fin d’année.
    Virginie GOLCZYK

    golczykvirginie@yahoo.fr

  2. Je cherche des articulations pour fabriquer et aussi animer des personnages en Stop motion. J’en avais vu à LOTZ au studio SE-MA-FOR, je voudrai en acheter? Est-ce possible?
    Alain Ughetto

  3. Les aventures de l’ours Colargol en 1971, réalisés par Albert Barilé qui avait des affinités polonaises du côté de sa mère. Il avait un associé Tadeusz Wilkoszj qui lui avait indiqué ce studio créé en 1947 et où il était producteur, en plein centre de la Pologne (voir la carte). Ce personnage avait été créé par Olga Pouchine qui se servait d’un nounours en peluche appelé justement Colargol pour l’aider à endormir son fils.
    Il y a quelque temps, j’avis trouvé sur le web l’autoroute à Lotz qui donnait accès aux studios Sé-ma-for : je me souviens de leur belle entrée : en fer forgé, les bâtiments semblent délabrés, par contre depuis 2012, ils abritent un musée : on nous montre comment étaient réalisés les décors, comment étaient animées les marionnettes, comment elles étaient filmées…
    Tout cela est très intéressant, et nous sommes donc très loin de la chanson de Victor Villien et de Mireille « C’est moi qui suis Colargol l’ourson qui chante en fa et en sol et en faux col… » !!!

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