Quinzaine des Réalisateurs : une décennie de talents révélés

La Quinzaine des Réalisateurs, sélection parallèle à la compétition officielle du Festival de Cannes, offre depuis 1968 une fenêtre aux œuvres d’artistes peu connus qui finissent inévitablement par être propulsés au rang de célébrité. Akerman, Herzog, Fassbinder, Oshima ne sont que quelques exemples illustres sur une liste kilométrique. Pour la première fois cette année, la Quinzaine a édité un coffret rétrospective, une sorte de best-of reprenant un échantillon des dix dernières années, dont « Killing the Chickens to Scare the Monkeys » de Jens Assur et « Mary Last Seen » de Sean Durkin. Revue de quatre titres au choix.

China China de João Pedro Rodrigues et João Rui Guerra da Mata

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Début directorial pour João Rui Guerra da Mata, « China China » décrit une journée fatidique dans la vie d’une jeune Chinoise récemment installée à Lisbonne. China est rongée par un malaise existentiel, en dépit ou à cause de son mariage et sa maternité prématurés : déjà mère d’un petit gamin, elle n’en a que 19. En décalage avec les attentes de son mari, China recherche l’introuvable – sa liberté –, et rêve de l’improbable – sa propre mort. Centré sur un seul personnage détaché et résigné, « China China » décrit les rapports que celui-ci entretien avec son monde et se présente comme un bref moment de tranche de vie, avec comme seul bémol, une exposition des faits trop appuyée sous forme du commentaire du mari exaspérant. Par ailleurs, le même reproche pourrait s’appliquer à la construction de ce dernier personnage en général : plus âgé que sa femme, dépendant d’un tonique sexuel, parano et autoritaire à souhait, il représente à lui seul tous les problèmes auxquels China doit faire face. Remarquablement subtil pour le reste, le film emporte aisément le spectateur dans le monde désaxé de son protagoniste assujetti à une claustrophobie mortelle.

Luminous People de Apichatpong Weerasetakul

Fidèle à son style unique, le Thaïlandais dont l’œuvre continue à enchanter et dérouter le public international, livre ici un film sur le thème de la mort dans le cadre de « State of the World », une commande de la Calouste Gulbenkian Foundation. Le court suit les parents et proches d’un défunt, en train de traverser le Mékong pour y disperser les cendres de ce dernier. Devant une caméra effacée, dont le grain donne à l’image une qualité impressionniste, les personnages jouent parfaitement cette scène funèbre. Mais on bascule subitement vers un dévoilement de l’artifice lorsque l’équipe fait une pause et commence à se taquiner, à s’endormir et à discuter entre eux. Les réflexions autobiographiques d’un membre de l’équipe sur la mort de son propre père donnent ensuite lieu à un chant narratif qui occupe une bonne partie de la bande-son sinon marquée par les cris aigus du moteur.

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Balancé ainsi entre fiction (mise en scène) et documentaire (prise de vue du réel), ce court métrage, comme beaucoup d’autres films de Weerasetakul, relie animisme païen et modernité mondialisée, mêlant l’universel et le personnel. Comme dans « Mysterious Object at Noon » ou « Uncle Boonmee », on assiste ici à un retour à la nature dans le contexte d’un univers culturel où le rapport collectif avec la mort est plus un rapport d’effacement immédiat que de préservation comme dans le monde occidental. Le résultat est un film intime et humaniste, une expérience à peine saisissable mais pleinement délectable pour les sens.

Cosmetic Emergency de Martha Colburn

“My outsides look cool, my insides are blue.” – TLC, “Unpretty”

À travers ses œuvres engagées, la réalisatrice américaine Martha Colburn a su façonner un style d’animation percutant qui permet de traiter des enjeux sociopolitiques avec un regard distancié, critique mais humoristique. « Cosmetic Emergency » est une animation frénétique mariant divers médiums telles que la live action, la peinture sur verre et les images d’archives retravaillées. Divisé en chapitres (Countdown, Cosmetic Emergency Radio Track, It’s the One I Chose et The Skin of a Painting), le film est doté d’une dimension ironique mordante, d’autant plus que chaque partie est accompagnée de sa propre partition musicale, au point de ressembler à un ensemble de clips (cf. « Join the Freedom Force », une animation qui revisite les manifestations iraniennes lors du Sommet G2O en 2010 avec la même audace délectable).

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Dans « Cosmetic Emergency », des images iconiques issues des médias (le regretté King of Pop) ou de l’art classique sont répétitivement retravaillées pour créer une surcharge de messages de second degré vis-à-vis de la problématique de conformisme aux canons non réalistes de beauté, à peine pire du côté transatlantique que dans le reste du monde. L’allusion militaire reste le point d’ancrage principal du court : par le biais d’une comparaison entre les chirurgies esthétiques à outrance (notamment des boob jobs et des liposucions) et l’armée américaine qui offre des interventions cosmétiques (l’état d’urgence dont fait part le titre !), elle opère une double dénonciation et fait d’une pierre deux coups.

By the Kiss de Yann Gonzalez

Premier film du réalisateur français, « By the Kiss » met en scène une panoplie d’amant(e)s qui défile embrasser une jolie fille progressivement désœuvrée incarnée par Kate Moran. Un rite morne, voire tragique, bizarre mais sensuel, qui commence in medias res et laisse le spectateur sur sa faim, voulant en savoir plus. L’idée, bien que simple, provoque toutefois une identification et une empathie vis-à-vis du personnage ; notamment grâce à la musique de fond prenante, bien dramatique avec des cordes planantes et des accords torturés, signée par M86 (dont fait partie le frère du réalisateur, Anthony Gonzalez). « By the Kiss » pourrait passer inaperçu tellement il est minimaliste, mais il interpelle par son aspect curieux. Une interprétation épurée des codes du mélodrame classique ? Un tract sur le polyamour ? Ou tout simplement un exercice de style très réussi sur les sentiments humains.

Adi Chesson

Les courts métrages des grands noms de la Quinzaine des réalisateurs en double DVD, volume 1. Edition : Chalet Pointu

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