Disorient de Florence Aigner et de Laurent Van Lancker

Sélectionné au Festival Courtisane cette année, « Disorient » est un témoignage collectif sur cette espèce malencontreuse de gens qui se trouvent au carrefour de deux cultures, expatriés depuis longtemps et étant ensuite obligés, pour une raison ou une autre, de retourner dans leur pays d’origine. D’une part, un sujet sensible, relevant du déracinement, du rapatriement, du mal du pays, de la quête d’identité et des frontières arbitraires qui séparent les hommes. D’autre part, un traitement formel percutant et pour le moins innovateur qui fait que, fidèle à son titre, le film désoriente son spectateur à plusieurs égards.

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Interpellés par les questions d’altérité et d’appartenance, la photographe-cinéaste Florence Aigner et le réalisateur-anthropologue Laurent Van Lancker assemblent une polyphonie d’enregistrements sonores effectués par de nombreuses personnes de nationalité aussi diverse qu’indienne, népalaise, iranienne, chinoise et vietnamienne. Avec aplomb, les artistes optent pour un minimalisme limite déconcertant pour habiller leur opus. Sur une durée ambitieuse de 36 minutes, à peine quelques images spartiates éclairent l’écran noir : des photos d’endroits vécus, d’intérieurs de maisons avec des souvenirs kitsch, ou des plans non représentatifs de jeux de lumières organiques et des animations indistinctes.

Certes, ce parti pris précaire risque de paraître facile ou inabouti, car on est loin de l’écran bleu comme symbole de la cécité de Derek Jarman. Mais l’épuration formelle est ici tout aussi justifiée. Intrigante par sa nouveauté et dérangeante par son étrangeté, elle présente au spectateur une seule dimension d’un médium essentiellement audiovisuel. Paradoxalement, l’effet est d’une plus grande concentration sur le sujet et d’une forte implication dans la piste prédominante, en l’occurrence sonore. (Le procédé inverse provoque la même impression dans des films comme « We Saw » de Peter Todd ou « Hanging Upside Down in the Branches » d’Ute Aurand, également programmés à Courtisane cette année, qui opèrent une amputation totale de la bande-son pour plonger le spectateur dans une narration purement visuelle.)

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Par conséquent, le spectateur vit de plus près l’expérience des personnages lorsque ceux-ci évoquent avec naïveté les différences frappantes constatées entre leur monde et l’étranger, avec nostalgie la brève aventure avec le pays d’accueil, ou avec résignation leurs conditions de vie et de travail inhumaines, ou encore avec amertume leur déportation humiliante : autant de déclinaisons brisées du rêve des pays dits en développement.

Avec « Disorient », il semblerait que, plus de 100 ans après la naissance du cinéma, on soit arrivé aux antipodes du cinéma des premiers temps, celui des attractions et du spectaculaire. Mais l’empathie vers le sujet qui marquait dès lors le Septième Art, est suscitée autrement ici, les personnages étant rendus plus fragiles par leur absence de l’écran. Par conséquent, le film parvient à être plus émotionnellement chargé qu’un tire-larme dramatisé ou un reportage aseptisé sur un sujet si humain et si complexe.

Adi Chesson

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