La petite collection de Bref : une sélection de courts métrages néerlandais

En 2007, Bref, le magazine français du court métrage, inaugurait “La petite collection”. En partenariat avec l’éditeur Chalet Pointu, il lançait un DVD de films belges francophones en lien avec la rétrospective belge programmée par le festival de Clermont-Ferrand. Deux ans plus tard, après 10 volumes majoritairement associés au contenu de la revue, Bref a établi une sélection de 15 courts métrages néerlandais, faisant écho à la rétrospective consacrée cette année par le festival aux Pays-Bas.

Sur la pochette de ce DVD en hommage à la Hollande, point de tulipes, de fromages, et de sabots. Un cliché, un seul : les vélos. Autour d’eux, le graphisme a conservé au sol, les passants, les voitures, et un grillage, et en hauteur, le ciel, les lignes de trams, et les nuages. Quinze titres variés composent ce volume rouge-blanc-bleu : des courts métrages d’animation (« Les caractères », « Jazzimation », …), de fiction (« La route », « Le visage caché », …), des films expérimentaux (« La Hollande à bicyclette »), des images primées (« Miroir de Hollande », « La Muraille de Chine », …), et des identités connues (Paul Verhoeven, Bert Haanstra, Uri Kranot et Michal Pfeffer-Kranot, …). Parmi ces titres, Format Court en a isolé cinq.

Spiegel van Holland (Miroir de Hollande) de Bert Haanstra

En navigant le long du canal de la Vecht (reliant Utrecht à Amsterdam), le photographe et réalisateur Bert Haanstra tourna  en 1950 un documentaire sur son pays en filmant, en caméra inversée, les reflets dans l’eau. « Spiegel van Holland » (Miroir de Hollande), récompensé du Grand Prix au festival de Cannes en 1951, fut le miroir aquatique de son voyage. La caméra de Haanstra, tenue à l’envers, enregistra les reflets des rencontres : nénuphars, ciel, maisons, ponts, moulins à vent, clochers, écluses, chevaux, hommes, …. Au-delà du poétique, des confusions troublantes surgissent : par moments, le réel se fond avec l’imaginaire, la mer et le ciel ne font plus qu’un, et les ondulations de l’eau affectent l’image (maisons folles, formes étranges, individus déstructurés). Près de 60 ans après sa réalisation, « Spigel van Holland » offre un regard en noir et blanc plus qu’original sur la Hollande, ses canaux, et ses habitants.

Feest ! (La fête !) de Paul Verhoeven

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Bien avant les Etats-Unis, « Total Recall », « Robocop », « Basic Instinct », « Showgirls », et « Starship troopers », Paul Verhoeven tourna aux Pays-Bas des courts et des longs métrages. En 1963, il y eut  « Feest ! » (La fête !), l’histoire de Peter, un adolescent blond et timide, séduit par Anja, une fille de son lycée. Au bal annuel, Anja le délaisse, le trouvant “embêtant”. Dans la tour de l’établissement, ils sont désignés pour jouer à colin-maillard. Elle s’immobilise. Les yeux bandés, il la retrouve, l’embrasse, et se fait gifler devant tout le monde. La fête est terminée. Dans l’intervalle, Verhoeven a filmé, de façon très libre et mobile, la jeunesse hollandaise, les premiers émois, l’isolement au sein du groupe, ainsi que les coins et recoins d’un établissement scolaire.

The Quiet One (Le garçon silencieux) de Danyael Sugawara

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« The Quiet One » (Le garçon silencieux), le film de fin d’études de Danyael Sugawara, ancien élève de l’Académie de cinéma et de télévision d’Amsterdam (NFTA), traite du phénomène Hikikomori. Au Japon, près d’un million de jeunes gens se marginalisent totalement de la société en ne sortant plus de chez eux et en ayant des contacts extrêmement limités avec le monde extérieur. De même, le héros de « The Quiet One », Kiyoshi, un garçon de 18 ans, a élu domicile dans la cuisine de ses parents, et y vit reclus depuis deux ans. La seule personne avec laquelle il continue à communiquer est sa petite soeur, Nozomi. Ses parents, embarrassés par la situation, justifient son absence en prétendant qu’il étudie à l’étranger. Sur Internet, il est en contact avec d’autres adolescents qui ont, comme lui, rejeté la notion de groupe (la société et la famille). « The Quiet One » est un film sobre sur l’auto-exclusion, l’adolescence, la famille, l’isolement, et les barquettes d’oeufs vides. Pratiques pour étouffer les bruits extérieurs et recouvrir les corps, celles-ci sont également liées au générique et au titre original du film de Danyael Sugawara (« Tamago » : oeuf, en japonais).

God on our Side (Dieu est avec nous)  d’Uri Kranot et de Michal Pfeffer Kranot

Avant  « The heart of Amos Klein », le tandem d’animateurs israéliens Michal Pfeffer Kranot et Uri Kranot réalisa « God on Our Side » (Dieu est avec nous), en tant qu’artistes en résidence invités à l’Institut néerlandais du film d’animation (NIAF). Le film, récompensé par le Prix spécial du jury à Annecy en 2007, traite du conflit israélo-palestinien en s’inspirant d’événements vécus pendant la Seconde Intifada et de la toile de Picasso, Guernica (1937). « God on Our Side » est une interprétation libre du tableau de l’Espagnol. Certains éléments se retrouvent dans les deux (un cheval à l’agonie, une femme tenant dans ses bras un enfant mort-né, un homme piétiné, une vache affolée, … ), mais le film conserve toutefois son identité et son lien avec l’actualité (représentations de tanks, d’avions de chasse, de bombes, d’attentat-suicide, de bulldozer, …). Relevée par la musique grave d’Uri Kranot, l’émotion du film tient à son sujet, à la couleur terne de ses images, aux incrustations violentes de rouges, à son absence de mots, et aux traits typiquement cubistes de ses personnages.

Pijn (Souffrance) d’Ivàn López Núñez

Après avoir étudié à Barcelone, Iván López Núñez a poursuivi son cursus à l’Académie  de cinéma et de télévision d’Amsterdam (NFTA). « Pijn » (Souffrance), son film de fin d’études, suit de près un individu qui provoque des anonymes dans la rue afin de se faire délibérément tabasser, sans apposer la moindre résistance. Une fois rentré chez lui, l’homme désinfecte ses blessures avant de se prendre en photo, le visage tuméfié. Sa démarche est double. Personnelle : il tente d’évacuer une blessure psychologique (le départ de sa femme et de son enfant) au profit d’une souffrance physique. Artistique : en tant que photographe, il s’entoure de clichés, miroirs et traces de ses rencontres sanglantes. Survient le hasard, sous les traits d’une jeune touriste asiatique perdue dans les rues d’Amsterdam. Idée originale, dialogues rares, musique inexistante, arrêts sur image, caméra mobile, comédiens pudiques,… : Iván López Núñez a privilégié des partis pris audacieux pour son fin d’études. « Pijn » est un film à la fois sombre, violent, et épuré, relevant d’une beauté étrange et d’une grande maîtrise.

Katia Bayer

La petite collection : une sélection de courts métrages néerlandais (#11).  Bonus : les biofilmos des réalisateurs. Distribution : Chalet Films

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