Fille de l’eau de Sandra Desmazières

Après le court-métrage Le Thé de l’Oubli (2008), qui décrit une nuit où une jeune femme termine sa tasse de thé avant de sortir sous la pluie et de traverser lentement la ville, Sandra Desmazières a réalisé Fille de l’eau (France, Portugal, Pays-Bas), sélectionné en compétition officielle à Cannes et récompensé récemment par le Prix Emile Reynaud 2025. Ce nouveau film d’animation, aux César du court-métrage d’animation 2026, semble presque en être la continuité : les souvenirs les plus enfouis se révèlent dans la fumée d’un thé brûlant. À l’image d’un songe mi-doux mi-amer, la réalisatrice nous plonge dans les réminiscences aquatiques d’une vieille dame, Mia.

Les images tremblotent et au loin, monte un murmure d’eau trouble. Des vieilles femmes se lavent sur le bord de mer, c’est le lever ou le coucher du soleil, on ne sait pas trop. Une dame de dos tient un thé fumant dans ses mains. Elle nous fait rapidement face, et derrière elle se dessine un fond bleu marine sur lequel se détache la silhouette d’une jeune fille en train de nager : elle se rappelle d’elle-même.

Les transitions du court-métrage qui passe du terrestre à l’aquatique – là où s’opère l’introspection du personnage principal – sont envoutantes. Cette porosité entre les mondes trouve son écho dans l’esthétique singulière du film : les décors à l’aquarelle, qui contribue à l’aspect mouillé et brouillé des souvenirs contrastent avec les personnages, plus nets, réalisés au café, crayons et pastels à l’aquarelle..

C’est dans la pêche aux coquillages, qui lui fait gagner sa vie, que se concentre la plupart de ses pensées : du souvenir du baiser à l’amoureux au désir d’un enfant. Ce dernier naît dans le regard du corps nu vu du haut – comme si on voyait à travers les yeux de la protagoniste, avec son ventre qui se gonfle lentement, nous donnant une véritable expérience de l’intimité. Le désespoir qui traverse le court-métrage demeure d’une douceur troublante, ce qui le rend d’autant plus douloureux. Rythmé par les bruits de l’eau et du vent, le film reste muet : aucune parole, seulement un cri – celui de la femme qui voudrait être mère – vient un instant fendre le silence.

Ce qui frappe, c’est la coexistence entre les scènes de convivialité féminine (les baignades, les rires autour du feu, les corps qui se réchauffent) et la solitude profonde de la jeune femme, parfois proche du cauchemar, lorsque ses pensées se meuvent entre les algues. Après une nuit d’amour, on la voit nager parmi les poissons et les femmes enceintes ; elle effleure ces corps nus, comme pour s’y reconnaître. Le désir de maternité la poursuit, de son lit jusqu’au fond de l’eau. Elle est parmi les autres, mais semble aussi loin d’elles. Son impossibilité d’avoir un enfant l’exclut-elle ? Ou bien est-ce elle qui s’exclut elle-même ?

Le court-métrage reste sans réponse. Doucement, on retrouve Mia, assise sur le banc, redevenue vieille femme. Le rêve s’est dissous, comme la fumée du thé qui s’éteint. Ce retour au réel n’efface rien : il laisse au contraire flotter la trace trouble des désirs inassouvis et des souvenirs mêlés à l’eau. Fille de l’eau se referme sur une note suspendue, entre nostalgie et apaisement, où la mémoire devient un courant qui relie le passé au présent.

Amel Argoud

Consulter la fiche technique du film

Pour information, Sandra Desmazières participera avec son producteur, Daniel Sauvage (Caïmans Productions) à notre After Short consacré aux courts d’animation en lice aux César 2026, le mardi 18, 11 à l’ESRA.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *