Paul Wenninger : « Je ne suis pas comédien mais danseur. L’animation est pour moi ce qui se rapproche le plus de ma pratique artistique, la chorégraphie »

C’est au festival Premiers Plans d’Angers que nous avons rencontré Paul Wenninger qui est venu présenter son premier film « Trespass », présenté dans la catégorie Plans Animés. Membre du collectif Kabinett ad Co.,  ce chorégraphe et musicien autrichien est un artiste à la recherche de nouvelles expériences visuelles et sensorielles que nous avons interviewé afin de mieux appréhender son travail autour du mouvement. Pour « Trespass », il a utilisé la pixilation, technique d’animation en volume et a filmé son corps image par image dans un décor toujours en mouvement, créant un film très maîtrisé où chaque élément semble dépasser les contraintes de l’espace et du temps.

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Comment est né le projet « Trespass » ?

J’ai commencé avec une série de performances scéniques dans lesquelles le corps était toujours contextualisé parmi des objets et au sein d’un environnement. Avec ces rapports de cause à effet, je laissais le public être acteur de la performance. Pour moi, commencer à faire de la pixilation fut une étape logique. Alors, on s’est lancé dans le projet naïvement et on a commencé à faire du slow motion, à expérimenter cette technique.

Quelle était votre motivation pour faire un film d’animation après toutes ces années de performance scénique ? Pourquoi vous êtes-vous tourné vers l’animation plutôt que vers la prise de vue réelle ?

Tout part du mouvement. De ce point de vue, pour moi, c’était ma première œuvre cinématographique, mais pas ma première création artistique. Bien sûr, la stop-motion est un procédé différent, mais cela fait cinq ans qu’il est présent dans mon travail et que j’utilise des médias différents. On a aussi des projets musicaux, un groupe de deathmetal qui s’appelle Superlastic, on travaille sur des sons, des objets, des images, la scène, la performance, on a du mal à se contenter d’une seule chose. D’un point de vue chorégraphique, c’est intéressant pour moi de travailler de façon très précise en studio, sur l’animation d’un film, parce que vous pouvez obtenir des choses beaucoup plus précises que sur scène.

L’essence du film est un travail chorégraphique sur la façon dont nous créons l’environnement, comment celui-ci change, comment les objets bougent et comment la caméra se déplace par rapport au corps, et vice-versa. Tout cela revêt un aspect chorégraphique à mes yeux. Filmer le réel ne m’intéresse pas, on le voit dans les documentaires, et c’est toujours intéressant, mais refléter ce qu’on voit ne correspond pas à ma démarche artistique. Je ne suis pas comédien mais danseur, et l’animation est pour moi ce qui se rapproche le plus de ma pratique artistique, la chorégraphie.

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Pourquoi votre corps évolue-t-il dans votre film à un rythme différent des objets qui l’entourent ?

Ce qui était intéressant dans ce projet, c’est que le corps possède déjà en lui un tas d’informations à propos de ce qui l’entoure. Par exemple, lorsque je veux prendre une tasse, avant de la toucher, toutes les informations la concernant sont déjà présentes dans mon corps, alors je sais, grâce à l’expérience, comment je vais la saisir. Je connais son poids, sa taille, sa texture, il y a donc plein de paramètres qui sont déjà présents dans le corps. Dans « Trespass », j’ai beaucoup travaillé sur le fait que le corps transporte toutes ces informations avant que l’objet ne soit là. Le corps essaye de s’asseoir alors que la chaise n’apparaît qu’au dernier moment, ou un bras se tend pour appuyer sur un bouton et la radio n’apparaît qu’au dernier instant, même si vous l’entendez déjà. Tout cela est un jeu chorégraphique, c’est ça qui m’intéresse.

Votre travail sur le corps évoque notre rapport au mouvement et à la conscience que nous en avons. Comment « Trespass » questionne-t-il notre rapport à l’environnement qui nous entoure ?

Nous savons aujourd’hui que nous sommes des individus conditionnés dans un monde conditionné. « Trespass » aborde notre expérience et les images que nous connaissons. Par exemple, lorsque nous avons créé ces performances scéniques auparavant, nous avons travaillé sur l’expérience de notre savoir. Vous avez par exemple une peau de banane sur la scène, puis quelqu’un la retire et à la place, vous mettez un corps étalé sur le sol, et tout le monde rit parce que les gens comprennent que l’homme est tombé à cause de la peau de banane. La banane, un corps sur le sol, sont deux éléments connectés et nous faisons facilement l’association entre eux, c’est une relation de cause à effet. Mais en réalité, je n’ai jamais vu personne tomber à cause d’une peau de banane, et je pense qu’il en est de même pour la plupart des gens, mais nous en avons une image tellement forte que nous associons immédiatement ces deux éléments.

Ce sont des images conditionnées, mais lorsque nous les vivons, à quel point sommes-nous libres, combien de nos décisions sont-elles réellement dénuées de tout conditionnement, ce qui pose également la question de ce que peut être un corps libre. Tous ces aspects mènent vers cette question de la frontière : quelles sont les limites, comment traverser des lieux ou des choses qui font barrière dans nos esprits ? Qu’est-ce qui, par exemple, génère cette notion de privatisation ? Je vis dans une grande ville, mais est-ce que je vis dans un espace libre, est-ce réellement public ou privatisé ? Cela pose également à la question du droit du corps et sur la façon dont les frontières sont utilisées afin de créer un dedans et un dehors.

Nous sommes des créatures qui dépendent du temps et de l’espace. C’est justement la question du temps qui est posée dans le film, en plaçant le corps en premier, puis le temps, et ensuite l’espace, ce qu’on peut faire grâce au stop-motion. Le corps est ainsi libéré de son environnement et de la vitesse réelle du temps. Ce n’est pas un film de danse mais c’est un film qui exploite les qualités du danseur, qui est capable de contrôler son corps sur le long terme. Ce film aborde toutes ces questions.

*** Local Caption *** Trespass, , Paul Wenninger, A, 2012, V'12, Kurzfilme

Était-ce très différent pour vous de jouer devant une caméra plutôt que sur scène ? Avez-vous dû modifier votre façon de travailler et de décomposer le mouvement ?

Exactement, si bien que ça ressemble plus à un travail de chi kong. J’ai programmé les mouvements de la caméra en fonction du corps, si bien qu’ils revêtent un aspect chorégraphique à son égard, et nous avons parfois travaillé pendant trois ou quatre heures rien que sur un mouvement. Si j’avais fait cela sur scène, ça aurait été très ennuyeux pour le public. Comme nous filmions beaucoup en extérieur, c’était aussi une sorte de performance d’avoir un corps qui faisait un même geste sur une durée de trois heures. Cela créait une sorte de tension et attirait du public. Faire ce film, c’était placer mon corps hors du temps, mais par la suite, nous avons animé mon corps en temps réel, et c’est finalement les éléments extérieurs qui sont passés hors du temps. Ils changent très rapidement, ce qui crée un décalage.

Quelles ont-été les différentes étapes de sa réalisation ? Comment avez-vous travaillé sur le son qui constitue un élément très important du film ?

Nous avons filmé pendant neuf mois, presque tous les jours et la post-production a pris presque un an. Ça aurait pu être plus rapide, il y avait beaucoup d’autres choses sur lesquelles travailler, la composition, le son ont justement été très importants… Il y a trois couches de son dans le film : une pour donner une textualité acoustique au corps, une deuxième pour créer l’atmosphère, les sons ambiants, et puis il y a l’aspect musical. Le passage d’une couche à l’autre (parfois le corps disparaît lorsque le son augmente) crée une très belle composition.

Quelles ont été les influences cinématographiques, plus particulièrement en animation, qui vous ont inspiré pour ce travail ?

C’est une question difficile car avant de faire ce film, je ne m’intéressais pas particulièrement au cinéma d’animation. Mais maintenant, étant présent sur des festivals, j’ai soudainement vu beaucoup de films qui ont été réalisés plus ou moins en même temps que le mien, dont des choses exceptionnelles. J’étais comme un enfant aux yeux grands ouverts qui découvre le monde de l’animation, stimulé par ces images. Bien sûr, j’ai fait quelques recherches à droite à gauche, j’aime bien notamment le travail de Julia Pott, et j’aime beaucoup l’approche artistique de Chris Landreth. Je trouve que dans beaucoup de films d’animation, l’aspect narratif est très bien mené, mais la démarche artistique l’est moins, on s’en tient à une certaine technique et on raconte une histoire qui pourrait provenir d’un livre. J’ai eu parfois des doutes à cet égard. Je suis moins intéressé par cette façon de raconter.

*** Local Caption *** Trespass, , Paul Wenninger, A, 2012, V'12, Kurzfilme

Avez-vous d’autres projets de film ?

Oui, nous sommes actuellement en train de travailler sur un film de pixilation au sujet de cette année, qui marque l’anniversaire de la Première Guerre Mondiale. C’est très lointain, et en même temps, ça fait partie de notre histoire. Je me suis demandé comme je ne me suis encore jamais attaqué à quelque chose d’aussi concret dans mon travail comment traiter artistiquement un tel événement. J’ai travaillé avec des dioramas, j’aime beaucoup ces endroits, et j’aimerais y replacer cette guerre. De cette manière, j’aimerais créer quelque chose de générationnel sur la façon dont nous regardons la guerre, car je ne peux pas la reconstruire. Le but est de poser des questions destinées à la caméra sur ce que sont de véritables images et sur ce que l’on choisit de montrer.

Je termine l’écriture d’un scénario, ce que je n’avais jamais fait auparavant. C’est très intéressant de faire des choses nouvelles, d’essayer de trouver le langage adapté aux choses que j’imagine, de commencer par les images que j’ai en tête, car généralement, mon travail part d’expérimentations et de trouvailles, en étant quelque peu dogmatique face aux résultats, et en en recherchant les conséquences. Pour moi, l’art est toujours une question de décisions que l’on a prises, et avant de réaliser ce travail artistique, écrire à son propos me paraît parfois absurde. C’est donc un monde nouveau pour moi.

Propos recueillis par Agathe Demanneville

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