The Dead Father de Guy Maddin

Réalisé en 1986, « The Dead Father » est le premier film de Guy Maddin. Après un énigmatique prologue, le réalisateur de « The Saddest Music in the World » nous plonge dans l’intimité d’une famille qui cohabite avec le corps sans vie de leur père. Chacun paraît s’accommoder de cette présence familière ; sauf le fils aîné, témoin privilégié des retours périodiques à la vie du patriarche mort-vivant.

Généalogie d’un style

Guy Maddin aime jouer à l’apprenti sorcier, reprendre les vieilles formules qui avaient court au début de l’histoire du cinéma pour créer un univers personnel à la fois sombre et caustique. Il parsème son film de points de repères familiers hérités de la grande époque du cinéma muet (noir & blanc, intertitres, image granuleuse et parasitée…) pour mieux les détourner et surprendre son spectateur.

Le film s’ouvre avec un générique présentant les personnages sur une musique enjouée, qui rappelle celle de comédies légères, mais elle devient vite plus inquiétante et l’image s’assombrit. Nous entrons alors dans ce que le narrateur appelle “le Territoire de l’oubli”, une contrée faite d’images persistantes qui mêlent des figures du quotidien à travers le regard perturbé du jeune narrateur.

Ce travail sur la mémoire et la perception est remarquable à double titre. Premièrement, il permet de repartir aux fondements du septième Art, d’un point de vue esthétique mais aussi financier – les premiers films du “David Lynch canadien”, comme certains le surnomment, ont souvent été réalisés avec une économie de moyens qui permet de conserver une certaine liberté. Deuxièmement, Guy Maddin questionne ce médium qu’est le cinéma en amenant le spectateur à aller au-delà de l’archétype du “vieux film” en se rappropriant les clés du récit, une véritable invitation à passer de l’autre côté du miroir.

Cerise sur le gâteau, Guy Maddin prend un soin tout particulier à créer des images qui impriment durablement la rétine. Il y a tout d’abord la silhouette du père que le fils croit apercevoir une nuit à sa fenêtre. Et puis, il y a la scène où ce même fils sort d’un pas décidé de chez lui, passant devant des corps inertes étendus à terre, jusqu’à s’arrêter devant celui de son père. Le jeune homme sort alors une cuillère de sa poche, la plonge dans le ventre paternel et dévore ses entrailles.

D’un mythe à l’autre

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Guy Maddin fait partie des cinéastes hantés par des thèmes récurrents. La figure paternelle est une pièce maîtresse de son univers au point d’avoir appelé son premier court métrage “The Dead Father”. Venu à Paris présenter son dernier film en date « Ulysse, souviens-toi ! » (Keyhole), il a confié aux spectateurs que peu avant le tournage de son tout premier, son père est mort. Pendant les semaines qui ont suivi, il a rêvé presque toutes les nuits que son père revenait, juste l’espace d’un instant, pour reprendre un objet qu’il avait oublié dans leur maison. Ce fût le point de départ du film.

Dans « The Dead Father », le fils aîné vit mal le décès de son père. Pour faire passer cette émotion sur la pellicule, Guy Maddin mêle la tristesse de la perte d’un être cher au trouble suscité par cette émotion. En jouant sur la perception du temps, l’enchevêtrement des situations et les répétitions, il parvient à créer une ambiance empreinte d’étrangeté, de mélancolie et de sous-entendus que ne renieraient pas Buñuel (« Le Chien Andalou », « L’Âge d’Or ») et Cocteau (« Le Sang d’un Poète », « Orphée »). Le père autoritaire rappelle également celui que décrit Franz Kafka dans “La lettre au père” : «Il m’arrive d’imaginer la carte de la Terre déployée et de te voir étendu transversalement sur toute sa surface. Et j’ai alors l’impression que seules peuvent me convenir pour vivre les contrées que tu ne recouvres pas ou celles qui ne sont pas à ta portée.»

Julien Beaunay

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