Via Dolorosa de Rachel Gutgarts

Via Dolorosa, c’est le chemin douloureux du Christ qui porte sa croix, mais aussi celui d’une jeune femme qui raconte son adolescence à Jérusalem : une route de souvenirs teintée de gris et de noir. Dans son court-métrage présenté à la 62ème Semaine de la Critique, la réalisatrice israélienne Rachel Gutgarts semble rendre hommage au passé tout en demandant un pardon particulier.

La confusion naît derrière des chuchotements et une image tremblante de lèvres agitées, qui demandent pardon de manière impérative. Au début du film, la distinction entre le passé et le présent est fine. Des personnages grisâtres veulent savoir ce que fait la réalisatrice : un « documentaire » sur sa jeunesse dans la ville.

Tout se mélange, et quand quelqu’un rappelle la mémoire d’un endroit, le spectateur plonge dans la vie de la nuit de Jérusalem il y a quelques années. La mémoire nous enveloppe et on se laisse emporter par la poésie incorrecte de la narratrice, comme lorsqu’elle urine dans les rues de Jérusalem et que nos yeux arrivent jusque sous sa jupe, où sa chatte se transforme progressivement en médaillon représentant la Vierge Marie et son fils.

La réalisatrice, spécialisée en sérigraphie animée, possède une identité graphique forte qui s’imprime dans la tête du spectateur. Cette image, sombre et tremblotante, donne autant l’impression d’archives de vieux films que de la frénésie de la fête. Sur fond de hard metal, motifs hallucinatoires et personnages au mouvement robotique, les drogues et le sexe sont abordés de manière subtile. On voit partiellement l’adolescente, qu’on suit dans la ville grâce à ses mains aux ongles vernis de noir et à la bouche remplie de bagues. L’ado agit, l’adulte parle, malgré l’importance de faire silence soulignée au début du film, ou plutôt celle de « se taire ».

L’animation prend alors l’allure d’un songe, parlant de lui-même sur cette jeunesse perdue et aux griffes de la violence. Rachel Gutgarts semble rendre une sorte d’hommage torturé à sa ville de jeunesse. On plonge dans les mémoires de boîtes de nuit, transports en commun ou encore monuments qui font la gloire de la ville, comme le mur des lamentations, auprès duquel on peut aussi bien pisser qu’arracher les mots coincés dans la pierre.

Rachel Gutgarts n’inscrit pas seulement son action dans la ville, mais dans un contexte politico-religieux violent où les crimes quotidiens sont de plus en plus banalisés. Derrière les prières de rabbins se cachent les discussions entre des jeunes, bastons ou viols marqués d’abord par la surprise, puis le rire de certains. Le silence fait écho aux paroles de la narratrice. Sa recherche du temps perdu pourrait mal se digérer, mais donne la justesse d’un recueil de souvenirs personnels et douloureux. On découvre, à l’image du film, une jeunesse dont la couleur est absente, marquée par la fête et le conflit, ou plus justement l’insouciance et la violence.

Car Via Dolorosa serait à Jérusalem le chemin de la Passion du Christ, on peut imaginer que Rachel Gutgarts prendrait aussi un chemin désolé (celui des souvenirs) pour rendre hommage à sa ville. Le chemin ici est profondément humain, insistant autant sur le pardon que sur la faute (l’erreur de jeunesse), voire le blasphème – une double face donnant toute la profondeur à ce court-métrage .

Amel Argoud

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