Le Petit Nicolas, Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? de Amandine Fredon et Benjamin Massoubre

15 millions d’exemplaires vendus dans le monde, 222 histoires traduites dans plus de 40 langues et 300.000 exemplaires vendus par an en France ; tels sont les chiffres mirobolants de la série du Petit Nicolas. Pourtant, parmi les cinq adaptations cinématographiques de l’œuvre de René Goscinny et Jean-Jacques Sempé, celle écrite par Anne Goscinny, Michel Fessler et Benjamin Massoubre est sûrement la plus fidèle, la plus sincère et la plus réussie. Le Petit Nicolas, Qu’est ce qu’on attend pour être heureux ? est un long-métrage d’animation réalisé par Amandine Fredon et Benjamin Massoubre, présenté en séance spéciale du Festival de Cannes 2022. À l’occasion de sa sortie physique et en VOD, Format Court organise un jeu-concours pour vous faire gagner cinq exemplaires du DVD, dont l’édition Blu-Ray contient un livret exclusif de 20 pages du film qui a reçu le prestigieux Cristal du long-métrage au Festival du Film d’Animation d’Annecy 2022.

L’histoire porte sur la genèse du Petit Nicolas et le destin de ses auteurs, René Goscinny et Jean-Jacques Sempé auxquels Alain Chabat et Laurent Lafitte prêtent la voix, ainsi que sur les histoires du personnage fictif de Nicolas (interprété par Simon Faliu). Le début du film peut être considéré comme une page blanche, qui se teint d’encre au fur et à mesure que Goscinny et Sempé donnent vie à un petit garçon rieur et malicieux nommé Nicolas. De leurs ateliers respectifs à Montmartre et Saint-Germain-des-Prés, se tisse tout un univers qui deviendra un monument de la culture française, où le Petit Nicolas, entre deux bêtises, se glisse pour interpeller les auteurs sur leur rencontre, leur enfance et leurs secrets.

La réalisation du film relève également d’un travail documentaire. Comme ils l’expliquent dans l’excellent livret de l’édition Blu-Ray, les réalisateurs se sont en effet inspirés d’interviews des auteurs et ont observé leurs façons de se mouvoir grâce à des vidéos d’archives, pour faire correspondre les voix-off et les dessins le plus justement possible. Le film rend bien sûr hommage à Goscinny, mort subitement en 1977 et Sempé, mort en août 2022 (qui avait validé tous les dessins du film, 2 mois avant sa sortie). Mais il ne se contente pas de simples citations ; c’est une véritable ode à la création et à l’évasion par l’imagination.

Le Petit Nicolas est un hymne intelligent au pouvoir des histoires et à leur place fondamentale dans notre construction. C’est par ailleurs souvent dans l’observation du monde qui les entoure que les auteurs écrivent et dessinent l’univers ; c’est peut-être de là que vient le propos à portée quasi universelle du Petit Nicolas ? Certes, l’œuvre reste encore très imprégnée de son époque de la France des années 50, où ni les enfants ni les femmes ne sortent vraiment des rôles que la société leur assigne. Cependant, bien que certaines aventures de Nicolas soient rocambolesques, on ne peut s’empêcher de se souvenir des rires de ses camarades comme étant nos rires dans la cour de récréation. Ses parents sont les nôtres, ses préoccupations d’enfant face au sexe opposé ou sa frustration de toujours devoir obéir aux adultes, sont celles qu’on a toutes et tous connues. Dans le livret de l’édition Blu-Ray, Anne Goscinny parle de l’actualité de l’univers du Petit Nicolas et dit que “dans une classe, qu’on soit en 1960 ou en 2022, il y a toujours un chouchou, un premier, un cancre, un gros qui grignote, un bagarreur…” Il en ressort quelque chose de presque jouissif de voir les coups de pinceaux, donner la vie à un personnage parti de rien.

Dans ce livret, on peut découvrir des entretiens avec Amandine Fredon et Benjamin Massoubre qui expliquent le processus de création du film. L’étape du montage y est décrite comme essentielle à l’animation, tout comme la volonté de créer l’adaptation la plus sincère d’une oeuvre qui a traversé les générations. Benjamin Massoubre développe sur les deux directions artistiques mises en place : celle basée sur les illustrations du Petit Nicolas et l’autre basée sur les illustrations de Sempé dans d’autres livres et dans le New Yorker, pour lequel il a travaillé. Les entretiens du très beau livret sont entrecoupés d’images colorées du film et parcourent les ressentis et inspirations de ceux qui ont fait naître ce projet : Anne Goscinny (au scénario et dialogues), Alain Chabat, Laurent Lafitte, Simon Faliu (voix de Goscinny, Sempé et Nicolas), et Ludovic Bource (à la composition). Ce dernier parle des histoires du Petit Nicolas comme “un refuge face à la solitude”. Il dit d’ailleurs que l’on peut “y détecter une forme de malice musicale”. En effet, le rythme entraînant est soutenu par un choix de musiques, par lesquelles se révèle une grande poésie. Une note suffit à replonger les auteurs dans leurs souvenirs, et à imaginer une myriade d’aventures à Nicolas, sa famille et ses copains. Le film réussit le pari de s’imprégner de l’œuvre source, mondialement connue et reconnue, tout en proposant, séquences par séquences, une nouvelle approche en nous plongeant notamment dans le psyché de Nicolas à l’imagination débordante. Le surveillant M.Bouillon se transforme en un monstre de bouillon de légumes lorsque ce dernier empêche les enfants de faire des bêtises, l’avion miniature offert par la grand-mère de Nicolas devient simplement un véhicule lui faisant parcourir le monde…

Il y est également intéressant de remarquer le processus de mise en abyme : le spectateur regarde une fiction animée, où les auteurs y étudient eux-mêmes une autre fiction dessinée, où Nicolas dialogue avec ces derniers et en apprend plus sur leur histoire. Car derrière la fine légèreté de Nicolas et ses camaraderies se cache la lourde histoire personnelle de Sempé et Goscinny, entre l’exil, l’horreur du nazisme, la violence familiale, le deuil et la terrible solitude qui s’en est suivie. Simone de Beauvoir dans Que peut la littérature écrivait que la vraie littérature était celle où “l’auteur impose sa présence, […] son monde”. En développant avec délicatesse le monde de Sempé et Goscinny, le travail des réalisateurs de transmettre au cinéma leurs voix personnelles et singulières au grand public tisse cette poésie littéraire, qui réside alors dans les multiples sens qu’on pourrait donner à l’œuvre du Petit Nicolas. S’agit-il de fuir pour s’échapper du monde présent, ou bien pour justement mieux supporter les épreuves de la vie ? En tous cas, ce film lumineux nous dit que s’il n’est jamais trop tard pour être heureux, il ne l’est jamais non plus pour rêver.

Mona Affholder

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