La Troisième guerre de Giovanni Aloi

À l’occasion d’un jeu concours que Format Court organise avec l’éditeur Capricci, nous offrons trois exemplaires DVD de La Troisième guerre, sorti juste avant la pandémie, n’ayant donc pu être largement diffusé en salles. Avec le DVD, vous pourrez également découvrir l’entretien exclusif des scénaristes, une analyse de la bande son avec le mixeur et le compositeur du film et le court-métrage qu’Aloi réalisa avant La Troisième guerre, court-métrage nommé Au Pas.

On se souvient tous de l’effroi ressenti lorsque nous avons écouté les infos en janvier 2015, lors des attentats de Charlie Hebdo. Le choc, l’horreur, les inhabituels militaires déambulant dorénavant dans des rues marchandes avec des armes de guerre. Et puis la lassitude, le retour à la vie normale, quand on a cessé de penser à toutes ces victimes. Mais ce retour à la banalité n’a pas concerné les milliers de militaires de la mission Sentinelle, mise en place pour faire face aux potentielles menaces publiques. C’est sur ces jeunes soldats que Giovanni Aloi et Dominique Baumard ont décidé d’écrire, puis de réaliser un film en 2020.

Par une caméra lente se mouvant dans l’espace avec minutie, La Troisième guerre nous emmène auprès de Léo, un jeune militaire à la gueule d’ange interprété par Anthony Bajon, qui s’est engagé dans l’armée pour servir la France et ses enfants. En voulant s’échapper d’une famille provinciale dysfonctionnelle et négligente, Léo met son cœur et son âme dans une armée qui l’a accueillie, et qui lui a donné un sens existentiel. Autour de lui gravitent son collègue, interprété par Karim Leklou, et leur supérieure se devant de cacher sa grossesse, incarnée par une Leïla Bekhti amaigrie. Aloi et Baumard ne se contentent pas d’une binarité de propos entre un film “pro” ou “anti” armée, mais explorent en profondeur les dynamiques violentes, complexes, parfois machistes, de ces soldats, dont le sens du devoir a néanmoins l’air si sincère. Refusant les lieux communs, le film fait le pari de filmer la durée dans sa longueur, son ennui voire sa folie chez des gens dont le métier est d’observer, agissant dans de rares cas, quitte à être passifs devant des menaces plus banales, confiées à la police, ou à la brigade des Stups.

C’est précisément dans cette passivité forcée et la constante paranoïa créée par cette observation du monde (toutes les rencontres de Léo se transforment, par la mise en scène et l’ambiance sonore, en dangers qu’il faudrait affronter) que l’errance mentale du personnage se développe petit à petit. En nous présentant un homme tourmenté, perdu et pourtant si sûr de lui, on ne sait s’il faut de la distance ou de la compassion envers un être dont il a du mal à s’identifier. Le confinement mental est également créé par cette proximité technique de la caméra avec ses soldats qu’elle ne quitte jamais, quitte à faire des séquences entières en plans rapprochés et en gros plans. Coincés avec eux, on adopte peu à peu un point de vue et une attitude méfiante, qui doit regarder partout pour survivre, sans savoir ici si les militaires sont les proies ou les prédateurs d’une menace invisible et rare.

C’est donc dans le filmage du temps que la tension, la frustration et l’agressivité se créent, d’une manière insidieuse comme une bombe à retardement qui finira par exploser chez l’un d’eux à la fin du film. En effet, Léo, en se confiant à une interlocutrice inattendue (et donc se confiant à nous), n’arrête pas de mentionner cette “guerre” qui va arriver et contre laquelle il faut se tenir prêt. La tension entre la perception distordue de la réalité de Léo et l’angoisse du moment se crée subtilement par la musique, ce qu’un des compositeurs de la musique du film (Frédéric Alvarez) et le mixeur (Aymeric Dupas) analysent dans le bonus DVD. L’ambiance sonore se meut ainsi entre les états d’âme paranoïaques de Léo, suggérés par des cordes aigües, et une suspension, une distance, face à l’espace, fait, lui, de respirations et de battements de cœur.

Ce sont à la fois le traitement du temps et la mise en scène de l’intériorité (couplée avec un propos social important) qu’on retrouve dans le court-métrage présent dans la version DVD, nommé Au pas qu’Aloi a réalisé en Italie en 2014. Par une approche réaliste, il met en scène un chômeur dans l’Italie rurale, qui tente avec difficulté de surmonter la misère pour offrir une meilleure vie à son fils. La mise en scène d’Au Pas est la prémisse de celle de La Troisième guerre ; dans les deux films de Giovanni Aloi, l’importance de la caméra intime et rapprochée est capitale. Si le réalisateur s’intéresse dans son court-métrage à la perte de la rationalité d’un individu dans un contexte donné, c’est dans son long métrage qu’il développe réellement, par la mise en scène, ce glissement de la raison vers la folie, comme il l’explique dans son entretien exclusif.

Dans La Troisième guerre, la force de son propos réside dans l’ordinarité de ses protagonistes, amenés par leur parcours à faire des choses extraordinaires. En effet, les collègues du militaire ne rééquilibrent pas un soldat peinant à garder la tête hors de l’eau, mais semblent eux-mêmes être sur le point de basculer dans la folie, comme nous le font remarquer les scénaristes dans leur entretien visionnable dans la version DVD du film. Nombreuses sont les opportunités de Léo de bifurquer vers la raison ; nombreuses sont les fois où il s’isolera encore plus des autres, seul contre tous dans ses discours et son attitude. La mise en scène de cette déambulation aussi physique que mentale de ces militaires façonne un film dont la force cinématographique égale la dignité du propos.

Mona Affholder

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