Joachim Herissé. L’inconscient et l’intime en animation

À l’occasion du festival Court Métrange, nous avons interrogé le réalisateur Joachim Herissé au sujet de son film d’animation Écorchée, tourné en stop motion avec des marionnettes. Le film est en sélection officielle aux César 2023 et vient de remporter ce weekend le Prix Emile Reynaud, décernée par les adhérents de l’AFCA, lors de la Fête du cinéma d’animation 2022. Le réalisateur se confie sur son parcours, ses méthodes de création et ses inspirations.

Format Court : Qu’est-ce qui vous a amené à faire de l’animation ?

Joachim Herissé : Tout jeune, adolescent, enfant même, j’ai commencé à faire des films avec des caméscopes, avec mes ami.es, mes frères, sœurs, cousins, cousines. J’ai compris que c’était ça qu’il fallait que je fasse, mais j’ai tout de suite ressenti une frustration : je n’arrivais pas à finir les films. Au lycée, j’ai découvert les outils 3D, je me suis dit que j’arriverais peut-être à terminer les films tout seul. C’était peut-être une erreur, certainement d’ailleurs. J’ai commencé à travailler avec des logiciels 3D seul, puis j’ai trouvé du travail assez rapidement. J’ai travaillé dans des studios d’animation 3D à Paris, d’effets spéciaux, etc…en tant qu’animateur. Ensuite, très vite, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser des séries avec l’outil 3D informatique. J’ai toujours eu une envie de revenir sur les techniques traditionnelles d’animation. Après ces séries, je me suis lancé dans l’écriture d’animation traditionnelle et particulièrement en stop-motion avec des marionnettes. Ça a été assez difficile mais j’ai réussi quand même à avoir des aides à l’écriture du CNC qui ont fonctionné comme un tremplin, où je me suis dit que je continuerais ainsi, toujours dans cette idée d’autodidaxie. J’ai toujours appris en faisant les choses.

Dans votre film Écorchée, ces marionnettes ont des fils qui se décomposent, elles amplifient une atmosphère particulière. Comment sont-elles fabriquées et quel est le processus de création ?

J.H : Écorchée, en vérité, est mon premier projet abouti en stop-motion. À l’écriture, c’est venu de cauchemars que je faisais enfant, puis adolescent, et même adulte encore un peu, où je sens mon corps passer d’un état creux à un état plein et vice-versa. J’avais vraiment le besoin d’exprimer cela, c’est quelque chose que je ne peux pas exprimer verbalement, il me paraissait important de l’exprimer par l’animation. Le textile est venu très naturellement parce c’était des sensations physiques de mon corps et je sentais que par rapport au muscle, c’était vraiment la fibre textile qui pouvait être le plus proche possible de ce que je pouvais sentir. Ce n’est pas moi qui ait fabriqué les marionnettes, j’ai beaucoup cherché mais je me suis reposé sur une artiste plasticienne textile dont j’ai découvert le travail. Dans toute ma démarche de création, d’écriture en volume, j’ai vraiment voulu aller chercher la matière qui faisait écho à mes sensations.

Est-ce que c’est ce cauchemar du corps qui passe d’un état creux à un état plein, qui forme deux états finalement, qui vous a donné l’envie d’aborder deux sœurs siamoises, deux corps ?

J.H : Mon intention première oui, est une dualité de ma propre personne. Je vois ce concept, en tant qu’auteur, comme un double qui est finalement un seul et même personnage. Ce qui m’intéresse beaucoup maintenant que je projette le film, c’est qu’il y a une interprétation très différente selon les gens qui le voient, le public. Certains y voient une relation toxique, d’autres une relation mère-fille. Ca correspond aussi à l’intérêt du conte que j’aime beaucoup, je n’écris que des contes. C’est aussi parce que j’ai envie d’exprimer beaucoup de choses peut-être inconscientes ou très intimes qui sont pour moi impossibles à exprimer de manière réaliste. Il faut absolument passer par le conte et l’écriture avec des symboles pour pouvoir exprimer ces choses-là, de manière très fantasmée ou onirique.

À propos de symbole, on retrouve dans votre film certains motifs assez intriguant comme cette barque qui fait des allers-retours devant la maison. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous en tant qu’auteur ?

J.H : Cette barque a été très difficile à expliquer pour financer le film d’ailleurs, c’est quelque chose qui m’est venu de manière très instinctive, quelque chose qui est sorti comme ça. J’ai une manière d’écrire très instinctive. Je sors des choses et pour le financement au CNC notamment, on a des jurys qui demandent une explication du texte, une théorisation. J’ai essayé du coup de théoriser un peu cette barque, ce qui a été très intéressant, et pour moi c’est vraiment la routine. Et c’est même le déclencheur de l’histoire, ces deux sœurs qui vivent dans un pavillon de banlieue au milieu d’un marécage, on imagine qu’elles sont adultes, donc qu’elles ont vécu un long moment ici, et cette barque, c’est le déclencheur : l’écorchée qui voit cette barque venir et qui se dit qu’il y a un ailleurs, une barque à prendre, pour se sortir de cette routine-là. C’est comme ça que je l’interprète, d’autres l’interprètent de façon différente, c’est intéressant aussi.

Qu’est-ce qui vous inspiré cet imaginaire cauchemardesque ?

J.H : J’ai rassemblé toutes les angoisses d’enfant, dans cette histoire, comme cette image vraiment visuelle de ma mamie qui tuait les lapins et qui enlevait l’œil. J’ai dû voir ça vers 3-4 ans : elle enlevait l’œil pour saigner le lapin sans tâcher la fourrure, et elle faisait aussi des chaussons avec la peau du lapin. Je me suis « amusé » à rassembler comme ça, beaucoup d’angoisses ou d’images fortes que j’ai pu avoir, enfant : les lapins, l’escalier-couloir, les meubles, les tapisseries, beaucoup de choses que j’ai sorti de mon enfance.

Les musiques du film sont assez puissantes, est-ce qu’elles sont originales ?

J.H : Ce sont des musiques originales d’Antoine Duchêne, un super musicien, combinées avec tout un travail de sound design auquel je tenais beaucoup. Il a été assez difficile de mesurer où serait la musique et où serait le sound design mais Antoine, qui est un jeune compositeur, a naturellement réintégré le Sound design dans sa composition donc c’était vraiment génial. J’avais un leitmotiv, un fil rouge : c’était vraiment la fragilité. Dans ce film, je voulais que ce soit fragile de partout. En terme d’écriture, à chaque moment du tournage et de la postproduction : c’était la fragilité. Antoine l’a bien entendu et il est allé chercher des instruments incroyables, des musiciennes qui font du Nyckelharpa, une espèce de violon suédois, entre le violon et l’accordéon, un instrument incroyable, qui a une fragilité naturelle. Tout se combinait.

À l’avenir, avez-vous le projet de faire d’autres courts-métrages et de réitérer en animation en stop-motion ?

J.H : Je suis plutôt un auteur littéraire, j’ai beaucoup de projets. Dans la suite de Écorchée, j’ai un projet de série horrifique de treize épisodes de treize minutes. Écorchée est le premier épisode de cette série horrifique, avec la même patte graphique et plastique, et avec la même thématique des angoisses liées au corps. On est déjà en écriture avec des soutiens du CNC. J’ai aussi un projet de bande-dessiné signé avec Dargaud et je travaille avec une dessinatrice. Je suis très ouvert à beaucoup de choses. Peut-être que c’est ma formation d’autodidacte, enfin ma non-formation, qui fait que je vais vers des genres très différents. Je suis intéressé par beaucoup de choses, notamment des projets jeunesse.

Propos recueillis par Laure Dion

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