Sortie de Memories, ce mercredi 24 août

Memories réalisé par Katsuhiro Ōtomo, Kōji Morimoto et Tensai Okamura, est un film qui réunit le travail des plus grands maîtres de l’animation japonaise. Sorti en décembre 1995 dans les salles de cinéma au Japon, il est uniquement sorti en DVD en France, et seulement en 2004. Il sort enfin au cinéma pour la première fois dans l’Hexagone ce mercredi 24 août 2022, distribué par Eurozoom.

Memories (Memorizû) est composé de trois courts-métrages d’animation, inspirés de trois nouvelles rédigées par Katsuhiro Ōtomo entre 1978 et 1981, et publiées au Japon en 1990 dans un recueil intitulé Kanojo no Omoide (Ses souvenirs). Célèbre auteur du manga Akira (1982-1990) et du film éponyme (1988) qui a contribué à faire découvrir l’animation japonaise en Occident, Katsuhiro Ōmoto a fait appel à deux autres grands animateurs pour réaliser deux des trois sketchs qui constituent Memories. L’animation a été réalisée au studio 4°C en collaboration avec les studios Ghibli, Madhouse et Gallop.

Le premier court-métrage, Magnetic rose, est réalisé par Kōji Morimoto. Co-fondateur du studio 4°C, il a travaillé notamment sur Kiki la petite sorcière de Miyasaki ou encore Akira. Il remania le scénario de ce premier sketch avec la collaboration de Satoshi Kon, également directeur artistique, qui deviendra internationalement connu pour ses films Perfect Blue (1997) ou Paprika (2006). 

L’histoire se déroule en 2092. Une équipe d’astronautes, chargée de nettoyer l’espace de ses épaves, reçoit un appel SOS en provenance d’un cimetière de vaisseaux. Deux des membres de l’équipage, Heintz et Miguel, se rendent dans un vaisseau qui semble abandonné et découvrent un intérieur luxueux proche du style des années 1920. Tandis que des évènements paranormaux les frappent, ils apprennent que la propriétaire des lieux, Eva Friedel, est une ancienne chanteuse d’opéra qui a connu un destin tragique. D’une grande précision et fluidité, l’animation est à couper le souffle dès la prodigieuse scène d’ouverture où l’on découvre les astronautes détruisant un vieux satellite dans l’espace.

Une simple mission de sauvetage laisse place à un cauchemar éveillé pour Heintz et Miguel. Le voyage dans l’espace se transforme en voyage dans le temps, les souvenirs de de la chanteuse hantent les deux protagonistes et se mêlent aux leurs. Chaque personnage se caractérise par une personnalité différente. Miguel, coureur de jupons et plutôt naïf, se laissera vite berner par le fantôme d’Eva Friedel, tandis que Heintz, droit et réfléchi, lutte davantage pour ne pas perdre la raison.

Le réalisateur nous entraîne dans un thriller psychologique où les personnages sont confrontés à leurs failles. Il dépeint la nature humaine à travers la solitude et le manque de reconnaissance d’une artiste déchue, la culpabilité que l’on peut ressentir en laissant sa famille de côté, ou encore l’exploitation des employés par les dirigeants.

L’utilisation de la musique signée Yōko Kanno, grande compositrice japonaise, participe à l’atmosphère si envoûtante de Magnetic Rose. La voix chantante d’Eva Friedel surgit dès le début du film bien avant son apparition. Son chant, dont le thème est inspiré de Madama Butterfly composé par Giaccomo Puccini, devient alors le symbole d’une suspension hors du temps propice à l’illusion et aux rêves. L’opéra devient de plus en plus présent au fil du court-métrage jusqu’à appuyer et accompagner superbement la destruction du vaisseau des protagonistes, dans un final spectaculaire.

Après un épisode aussi intense, le deuxième court-métrage Stink bomb, plus léger et comique, est  le bienvenu. Katsuhiro Otomo a confié la réalisation de ce sketch à Tensai Okamura, qui a travaillé pour des œuvres à succès au Japon comme les séries d’animation Neon Genesis Evangelion (1995-1996) ou Cowboy Bebop (1998-1999).

Dans un laboratoire pharmaceutique, un homme enrhumé avale une pilule qu’il trouve sur le bureau de son patron pour se soigner. Une odeur toxique se dégage de lui, elle rend inconscient tout être qui l’approche. L’homme ne réalise pas ce changement et se dirige vers Tokyo pour délivrer des documents confidentiels.

La teinte dramatique de l’opéra de la première séquence de Memories laisse place au Jazz-funk de Jun Miyake, compositeur également de Pina (2012), pour accompagner les gags de Stink Bomb. Le contraste entre la naïveté du protagoniste qui ne mesure pas le problème et continue tranquillement son chemin, et l’affolement du gouvernement qui fait appel à l’armée pour l’arrêter, en vain, est hilarant. Le réalisateur parvient à créer un effet crescendo qui atteint à son apogée, l’absurdité la plus totale. Il met ainsi en lumière la bêtise humaine et également l’auto-destruction que celle-ci peut engendrer en créant de telles inventions.

L’animation est toujours aussi bien réalisée, dans un style cependant totalement différent. Les couleurs plus flashy et les traits des personnages davantage caricaturés, appuient l’aspect comique de ce sketch.

Katsuhiro Ōtomo a réalisé lui-même le dernier court-métrage, Cannon Fodder, bien qu’il ait supervisé les deux autres. Le film est le plus court des trois, mais certainement pas pour autant le moins impressionnant. Le récit prend place dans une ville sous contrôle militaire, où la guerre est omniprésente. Dans cet environnement, un petit garçon, vivant avec sa famille, rêve de devenir « commandeur de la mise en feu ». 

Katsuhiro Ōtomo effectue la prouesse artistique de construire son court-métrage en un seul plan, donnant l’illusion d’un long plan-séquence. On ne peut pas fermer ni même cligner des yeux devant la réalité que nous montre le cinéaste : une ville grise et mécanique, plongée dans l’effroi de la guerre. Celle-ci nous est présentée par de superbes travellings latéraux, dévoilant des canons géants, des bâtiments abîmés et, au loin, un sol aride parsemé de cratères. Les individus semblent eux-même symboliser cet environnement hostile. Tous semblables, au teint rendu gris par l’absence de soleil et vêtus de masques à gaz et d’uniformes verdâtres, y compris les enfants ; ils semblent s’être transformés en machine, perçus comme des armes et non des humains par la société. Seuls quelques manifestants tentent d’alerter la masse sur les dangers des gaz toxiques pour les humains et l’environnement, mais restent ignorés. 

L’ennemi est désigné impartialement par le terme « camp adverse », le père du petit garçon ne donne aucune réponse précise lorsque ce dernier lui demande : « contre qui on se bat ? ». Cela n’empêche pas le jeune protagoniste, entraîné dans la propagande militaire, de vouloir devenir commandant à l’âge adulte. Avec ce film, le réalisateur dénonce l’absurdité de la guerre, devenu synonyme de routine pour ces habitants. 

Ces trois court-métrages se révèlent très différents mais exposent, à travers leur esthétisme et propre genre – science-fiction, comédie ou dystopie -, certaines caractéristiques de la nature humaine. Assemblés, ils constituent un long-métrage qui mérite amplement sa place dans les salles de cinéma françaises et qu’il est très pertinent de visionner aujourd’hui. Memories suscite ainsi diverses réflexions existentielles et permet un voyage introspectif. Il résonne également étrangement avec l’actualité. Le deuxième court, Stink Bomb, n’est pas sans évoquer, sur un mode léger, l’épidémie du coronavirus en s’intéressant à la panique provoquée par une bactérie non-identifiée et contagieuse. La critique d’un état militaire et de la guerre, représentée dans Cannon Fodder, rappelle aussi le contexte actuel. Gardez bien Memories en tête dans les prochains jours. La sortie en salles du film est une excellente opportunité de (re)découvrir le travail fin, juste et percutant de ces 3 grands maîtres de l’animation japonaise que sont Katsuhiro Ōtomo, Kōji Morimoto et Tensai Okamura.

Laure Dion

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