Magdala de Damien Manivel

Sélectionné en première mondiale à l’ACID à Cannes, Magdala, cinquième long-métrage de Damien Manivel, étonne par le traitement du personnage de Marie-Madeleine. Pendant près d’1h20, on se concentre sur la la fin de sa vie passée dans une forêt. On suit les derniers jours, les derniers moments, les derniers instants de celle qui fut la compagne de Jésus.

Tourné en pellicule 16 mm, la caméra de Damien Manivel et de son chef opérateur Mathieu Gaudet filme les mouvements de Marie-Madeleine, incarnée par Elsa Wolliaston, fidèle actrice du réalisateur. Sur un rythme plutôt lent, c’est la vie d’une femme âgée mais sans vraiment d’âge que l’on voit à l’image. Nous sommes ici dans une contemplation où le temps passe à un autre rythme. On la voit marcher, dormir, manger des mûres, tousser, goûter la pluie, crier son amour, faire des dessins sur le sol. C’est peut-être d’ailleurs l’un des plus beaux moments du film, tellement le visage que l’on voit apparaître devant nous prend forme et vie. La caméra se concentre sur son visage mais aussi sur d’autres parties de son corps : ses mains, ses pieds, son dos. Le cinéaste s’est interrogé : «  comment mangeait-t-elle ? Comment dormait-t-elle ? Comment observait-elle le monde ? ».

Une attention très nette est aussi apportée au son : on entend sa respiration, ses cris, le son de la pluie, ses bruits de pas dans cette foret, le vent dans les arbres qui rappelle les séquences du parc dans le Blow Up de Antonioni. Puis la voix arrive, parfois des cris, parfois des petits murmures en araméens.

On retrouve ici un dispositif que Damien Manivel a utilisé dans ses films précédents : tournage en petite équipe et en plusieurs parties. A la base, l’écriture du scénario était une forme poétique de quelques pages. Dés que le tournage a commencé, le réalisateur a affiné, simplifié et de cette manière compris aussi son propre désir. Le tournage a eu lieu en trois phases durant lesquelles il a déjà pu commencé à monter. Dans sa façon de travailler, il s’est laissé la possibilité de retourner des scènes, de ne pas forcément tout savoir à l’avance. Son plaisir de réalisateur réside par exemple dans le fait d’arriver sur le lieu de tournage, de découvrir un arbre avec une forme particulière, de le montrer à l’équipe et d’écrire une scène sur le moment.

Le tournage de  Magdala a eu lieu en Bretagne dans les Monts d’Arrée. Un endroit le plus vallonné de cette région où le réalisateur, né à Brest, passait avec son père en voiture. La nature y est ici très forte. Une forêt très dense, des rochers. Cette nature occupe une grande place dans le film. C’est même, avec Marie-Madeleine, le deuxième personnage principal tellement elle est présente. L’intention était d’insérer le corps de l’actrice dans cette nature. Mais aussi de filmer les insectes, les poissons, les oiseaux. Cette nature, l’équipe technique l’a souvent guettée en attenant le vent, la pluie, l’orage, le crépuscule. Le réalisateur avait besoin d’elle pour porter la présence de son actrice.

C’est d’ailleurs aussi un film sur elle, sur cette actrice, Elsa Wolliaston. Présente dans quasiment tous les plans, c’est elle qui incarne le personnage de Marie-Madeleine. Un corps puissant et présent à l’image.  Avant « Magdala », le réalisateur et elle avaient tourné La dame aux chiens et  Les enfants d’Isadora. C’est leur troisième collaboration en treize ans. Tous deux viennent du monde de la danse, Damien Manivel raconte que sur le tournage, leur communication est quasiment non verbale. Ils se comprennent sans beaucoup se parler.

Dans le court-métrage  La Dame au chien produit par le GREC en 2010, elle incarnait déjà un personnage qui parle peu, qui se déplace lentement, qui a chaud, qui est fatigué, face à un Rémi Taffanel adolescent qui lui ramène son chien qu’il a retrouvé. Là encore, il y avait ses souffles, ses respirations, ses questions posées aux jeune garçon avec la voix d’une femme mure, ses silences parfois évidents et parfois lourds d’équivoque ou de pesanteur.

Pour le cinéaste, faire un film, c’est au minimum avoir deux projets : un en surface avec une intention personnelle et un autre, plus secret. Dans Magdala, il a voulu faire un film sur Marie-Madeleine mais aussi sur l’actrice Elsa Wollaston. Et son projet secret était de lui offrir une mort cinématographique.

Filmer des instants, des moments de vie d’un personnage, le réalisateur a continué à le faire dans Un dimanche matin son quatrième et à ce jour dernier court-métrage avant de passer au long. Avec ce film également produit par le GREC, Damien Manivel filmait la promenade dominicale et matinale d’un maître et de son chien. Par ce film sans dialogue, on sentait par la mise en image d’un récit relativement simple, le temps s’écouler d’une façon bien particulière.

Grâce à  Magdala, Damien Manivel montre une autre façon de faire du cinéma en 2022. Loin de certaines productions stéréotypés, la volonté est ici de faire du cinéma différemment. Sa méthode de travail et l’utilisation de procédés techniques artisanaux permettent de faire appel à une forme d’authenticité dans le but de redécouvrir qu’une image est quelque chose de précieux et d’important. Que l’on soit sensible ou non à la vie de la sainte, dans ce film, Damien Manivel nous emmène dans un geste de cinéma. Geste qui lui est propre et singulier. Ce nouveau long métrage lui permet de continuer son dialogue avec le septième art, commencé par ses premiers courts-métrages Viril en 2007 et  Sois sage, Ô ma douleur en 2008.

Damien Carlet

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