Sideral de Carlos Segundo

Prix du scénario et Mention spéciale du Jury Jeunes au Festival Format Court 2021, Sideral est programmé ce jeudi 7 avril 2022 aux Ursulines dans le cadre de la reprise de notre palmarès. Le film, présenté par Carlos Segundo, réalisateur, scénariste, co-monteur et co-chef opérateur du film, faisait partie de la sélection officielle des courts à Cannes en 2021.

Le premier plan de Sideral représente la maison des protagonistes du film, devant laquelle brûle un petit feu. La maison est d’apparence modeste, bâtie par des ajouts progressifs de matériaux. Une seule image suffit à situer la classe sociale des personnages du film. Le cadre est fixe, comme la plupart de ceux qui composent le film. L’image est en noir et blanc. Et pourtant, une flamme allumée devant la maison se meut dans la nuit et rompt la fixité. Ce premier plan donne la tonalité d’un film qui libère ses personnages de toute tentative d’enfermement, dans leur vie comme dans le cadre.

Les relations entre les membres de la famille sont rapidement posées dans un cadre naturaliste. Le premier soir, le père est absent. On apprend plus tard qu’il était avec une autre femme, plus jeune que la sienne. Il ne s’occupe pas de ses enfants et passe son temps à réparer des voitures au garage où il travaille. La mère travaille comme femme de ménage la journée, elle s’occupe de la maison et des enfants le soir. L’emprisonnement des personnages dans la répétition quotidienne des mêmes gestes est particulièrement souligné par la fixité des plans, pour la plupart d’entre eux, et le choix du cadre 4/3 tout au long du film. Les objets qui composent l’arrière-plan sont pour la plupart usés et anciens : ils sont des marqueurs sociaux, vétustes parce que la famille n’a pas les moyens de les changer.

La famille vit enfermée dans une quotidienneté qu’un événement vient bouleverser : le lancement de la première fusée brésilienne, à proximité de la maison. Le petit garçon est fasciné par les fusées, il en a une réplique dans sa chambre et demande à sa mère de filmer celle qui va décoller, car elle fait partie de l’équipe de nettoyage qui s’occupe de la fusée avant son lancement. Or l’événement qui rompt la quotidienneté souligne précisément la fracture sociale. La conquête spatiale reste hors-champ : elle apparaît dans le film à travers la télévision ou la radio. Le décollage de la fusée rappelle d’autres événements qui ont fait rêver les enfants brésiliens tout en leur étant éloignés voire inaccessibles, comme la Coupe du monde de football de 2014 ou les Jeux Olympiques de Rio de 2016.

L’intrigue de Sideral se situe dans la région brésilienne historique pauvre du Nordeste. C’est dans cette région que se trouvent les deux bases de lancement de l’Agence spatiale brésilienne. La première se trouve à Natal, elle est active jusqu’au début des années 1990. La seconde est la base d’Alcântara, d’où les fusées partent aujourd’hui. En s’intéressant au lancement de la première fusée brésilienne et en situant le récit près de Natal plutôt qu’à Alcântara, Carlos Segundo ancre son film dans un temps passé, peut-être du côté d’un événement mémoriel.

Si la fusée est tenue à distance de la plupart personnages, celui de la mère franchit la frontière qui sépare la réalité du rêve. Agacée par le rôle qui lui est assigné, elle rêve de s’en aller. À travers le choix qu’elle fait à la fin du film, elle signe un refus de sa condition par la recherche d’un échappatoire. Le désir d’ailleurs de la mère, c’est bien la flamme qui brûle dans le premier plan du film. C’est là le rôle de la fiction : libérer les personnages du poids de la réalité. Les longs silences qui marquent l’incompréhension des autres personnages face à ce choix apportent à la conclusion du film une tonalité comique qui complète la dimension naturaliste. Le rêve, nourri de l’imaginaire de la conquête des étoiles, libère le personnage de la quotidienneté. La fiction s’émancipe du réel, elle rompt l’enfermement des personnages dans leur condition sociale. Elle est la flamme qui brûle dans la nuit.

Paul Lhiabastres

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