L’ascension du court polonais

Avec un Oscar du meilleur film étranger en 2015 (Ida de Pawel Pawlikowski) et deux nominations de suite dans la même catégorie (Cold War de Pawlikowski en 2018 et La Communion de Jan Komasa en 2019), le cinéma polonais fait de plus en plus parler de lui. Et cela concerne tout aussi bien le court-métrage. Lors du dernier festival de Clermont, c’est ainsi toute une retrospective de 18 courts polonais, réalisés lors des 10 dernières années, qui a été proposée au public. Un choix de programmation qui reflète une production cinématographique polonaise en pleine croissance et dont la qualité n’arrête pas de surprendre.

Pourquoi le choix de la Pologne ? Lorsque nous posons la question au responsable du focus polonais à Clermont-Ferrand, Eric Wojcik, celui-ci nous livre une réponse des plus déconcertantes : « On a une mappemonde, on prend des fléchettes, on tire et on regarde où ça tombe. Cette année, c’est tombé sur la Pologne ». Du second degré assumé pour M. Wojcik, dont le nom de famille ne peut cacher ses origines polonaises. Mais il existe bien des raisons plus objectives, que le seul nom de Wojcik, pour expliquer ce choix d’une programmation spéciale sur la Pologne.

100 projections de plus par an

En effet, le nombre de films polonais présentant leur candidature à Clermont a doublé en 10 ans. « Nous recevons aujourd’hui environ 120 films polonais par an, alors qu’il y a 10 ans on était autour de 60 ». Cette année, ils étaient 149 à postuler pour la compétition officielle. Des oeuvres de fiction en grande majorité (92). Mais outre leur nombre, la notoriété des courts-métrages polonais augmente de par le monde. Selon les statistiques menées par Polish Shorts, organisme chargé de la promotion du court-métrage polonais à l’international, on observe une centaine de projections supplémentaires par an lors des festivals et plusieurs centaines de prix attribués chaque année. À noter ici le Grand Prix du Festival de Clermont 2018 pour le court de fiction Drżenia (Tremblements) de Dawid Bodzak, qui parle d’une première crise dans la relation d’amitié (d’amour ?) entre deux adolescents, celui de la meilleure animation 2016, aussi à Clermont, pour Cipka (Vagin) de Renata Gasiorowska en 2016, un film sans dialogue et surréaliste dans lequel l’héroïne, accro à la masturbation, redécouvre d’autres moyens de se faire plaisir lorsque son vagin… se détache de son corps et devient un être à part entière pour lui indiquer les bonnes manières de faire. En poursuivant la liste des œuvres primées ces dernières années, on peut citer également les documentaires NaszaKlątwa (Our Curse) de Tomasz Sliwinski et Joanna de Aneta Kopacz, tous deux nommés aux Oscars en 2015, qui racontent de manière poignante et avec beaucoup d’humanisme le quotidien de personnes qui, atteintes de maladies graves, souvent incurables, y font face avec optimisme et dignité.

Les codes du documentaire

« Smolarze »

Alors qu’est-ce qui fait le succès du court-métrage à la polonaise et qui le rend si singulier ? La réponse viendrait tout d’abord du documentaire qui est devenu une des marques de fabrique du cinéma polonais. « Les documentaires polonais se caractérisent par leur aspect contemplatif. C’est du cinéma d’observation, dépourvu de commentaire, qui laisse au spectateur la liberté de vivre et d’interpréter l’oeuvre à sa manière », explique Marta Swietek de Polish Shorts. Présent dans la retrospective du festival de Clermont, le film Smolarze (Charbonniers, 2019) de Piotr Zlotorowicz en est la parfaite illustration. Il suit un couple de quinquagénaires installé dans une cabane de fortune dans les montagnes polonaises et dont le quotidien tourne autour de la production de charbon de bois. Le travail physique et pénible du couple, leurs repas simples ou les scènes de toilette à ciel ouvert renvoient à la condition sociale très difficile du couple. Mais celle-ci se trouve rapidement éclipsée par l’attitude des deux protagonistes qui ne se plaignent jamais, donnent l’impression de se comprendre sans dire un mot et embrassent la vie telle qu’elle est. Leur quotidien est égayé par la présence de leur chien qui offre aussi des respirations au film à travers des scènes assez cocasses, tantôt poursuivi par une poule, tantôt effrayé par le passage d’un crapaud. Il est aussi le seul à susciter un semblant de conversation chez le couple. Dans ce film sans commentaire, la force des images, la simplicité du couple, des scènes du quotidien, l’authenticité des regards et des émotions donnent cette incroyable impression d’une mise en scène minimaliste où le réalisateur n’aurait eu qu’à poser sa caméra et laisser tourner. L’emploi de plans fixes et l’attitude du couple, nullement intimidé par la caméra, ne fait que renforcer cette sensation, rendant le film encore plus vrai.

« Mazurek »

Ce langage du documentaire se trouve souvent transposé dans les courts de fiction. Les réalisateurs polonais « arrivent à adopter un point de vue qui permet de rendre l’histoire très authentique, humaine, proche du spectateur, comme dans un documentaire – souligne Eric Wojcik – Il y a un côté social très prégnant dans les sujets traités ». Cette sensibilité et cette façon de faire s’expliqueraient par quelque chose d’inhérent à la culture polonaise. « Les Polonais sont des gens très chaleureux, ils affichent ainsi une grande proximité dans leurs rapports aux autres et ça se voit dans leurs films. Les cinéastes polonais n’hésitent pas à se mettre plus près de leurs personnages”, renchérit M. Wojcik. On trouve facilement la confirmation de ces propos en parcourant les films de la retrospective. Les rapports complexes entre membres d’une même famille constituent ainsi un des sujets phares des courts-métrages de fiction. C’est notamment le cas dans Mazurek (2013) de Julia Kolberger, qui raconte l’histoire de Urszula, épouse et mère de famille à première vue exemplaire, journaliste d’un magazine réputé, vivant dans une situation matérielle confortable et dont le quotidien se trouve subitement chamboulé par la rencontre du fiancé de sa fille Ada. Un fiancé probablement plus âgé que son père. Cette rencontre qui se fait au moment des fêtes de Pâques, réunit bientôt autour d’une même table un cocktail explosif de trois couples. Le premier composé de l’ex-mari d’Urszula accompagné de sa nouvelle petite-amie (également deux fois plus jeune que lui), le second d’Urszula et de son mari actuel, et le dernier de sa fille Ada épaulée de son « très mûr » fiancé. La fille étant, elle, issue du premier mariage d’Urszula. Les décors chaleureux de la maison familiale mis en valeur à travers une composition efficace du cadre filmé souvent en plan fixe renvoyant ainsi à l’image d’un foyer paisible et accueillant tranchent avec le drame et le désespoir vécus par Urszula. La scène du dîner de famille qui voit ressortir les vieux dossiers et fait apparaître de nouvelles révélations sur certains des personnages, parachève ce décalage en donnant encore plus de force aux dialogues et à la gravité de la situation. Véritable film d’acteurs, naviguant entre cinéma, théâtre et épisode de série télévisée, Mazurek met tout au service de l’histoire et des rapports complexes entre les différents protagonistes.

À contre-courant

Ce focus particulier sur un propos social fort rend les courts de fiction polonais à contre-courant de ce qui se fait mondialement. « Nos films sont longs (30 minutes environ), narratifs et davantage dans le genre dramatique alors que ce qui se vend aujourd’hui sur le marché du court sont des films qui ne dépassent pas 15 minutes, qui ont peu de dialogues et sont drôles » confirme Marta Swietek de Polish Shorts. À part quelques exceptions, la majorité des fictions polonaises diffusées lors de la retrospective de Clermont mettent en scène une multitude de personnages, plusieurs endroits, différents enjeux avec une importance notable accordée au dialogue. Comme si les courts polonais étaient en réalité des « mini » longs. « La grande majorité des courts-métrages polonais est réalisée dans le cadre de cursus en écoles de cinéma. Des écoles qui forment en priorité au format long » ; observe Marta Swietek. Sur les 18 films de la retrospective, 13 ont été réalisés ainsi par ce biais. Ce qui expliquerait la densité des scénarios, construits selon les codes d’écriture du long.

Animation – le porte-étendard

En parlant du court-métrage polonais, il ne faut pas oublier les films d’animation qui sont devenus une marque de fabrique du cinéma polonais à l’international. Ce qui frappe en premier lieu dans ces animations, c’est la diversité des techniques choisies. Aucun film ne se ressemble en allant du dessin, de la peinture jusqu’à la pâte à modeler animés en 2D en passant par un mélange de 2D et de 3D. Il en est de même du propos, tantôt évident et direct, tantôt difficile à discerner. Les films d’animation polonais affichent cependant deux points communs, l’absence de commentaire d’une part, héritée peut-être là encore du documentaire, et d’autre part, une propension à créer des mondes surréalistes et oniriques. L’animation polonaise ne tend pratiquement jamais à imiter fidèlement la réalité, ni dans son aspect visuel ni dans les situations vécues par ses personnages. Grand Prix du Festival du film d’animation GLAS aux Etats-Unis l’an dernier, sélectionné cette année dans la catégorie Labo à Clermont, Acid Rain (2019) de Tomek Popakul fait ici figure d’une certaine exception, en proposant de raconter une histoire somme toute assez classique autour de l’univers punk, électro underground des années 80 en Europe de l’Est, bastion d’une forme de résistance au modèle de société communiste. Une histoire incarnée par des personnages représentatifs de l’univers dépeint, aux traits de caractère bien définis. Des personnages intemporels aussi, que l’on penserait croiser tous les jours. Le film ne déroge cependant pas à la règle quant à son aspect esthétique, plein d’imagination et de couleurs qui en donne plein la vue. Utilisant des techniques d’animation 3D sur des dessins austères et rectilignes, Tomek Popakul donne à son film un air de dessin animé 2D se mouvant dans l’espace. Les couleurs très vives et flashy qui correspondent rarement à celles, réelles, des objets et de la nature représentés, donnent une impression constante de naviguer entre le rêve et la réalité. Une impression renforcée par les puissantes hallucinations de l’héroïne principale liées à sa consommation de LSD. Des hallucinations qui atteignent leur apogée lorsque cette dernière rejoint une soirée électro en pleine forêt, et se retrouve noyée rapidement dans un mélange de camping-cars, néons, musique psychédélique et gens aux looks de plus en plus excentriques. La rigidité des silhouettes des personnages, leur expressions faciales limitées apportent en plus un aspect à la fois angoissant et entraînant. Une véritable claque visuelle et sensorielle.

Outre son caractère visuel souvent détonnant et original, si l’animation se porte si bien, c’est aussi grâce aux importantes subventions publiques qui leur sont accordées par l’équivalent polonais du CNC – le PISF. Des subventions auxquelles ont droit également les documentaires mais qui n’interviennent que rarement pour les courts-métrages de fiction.

Un public polonais à apprivoiser

Indépendamment du niveau de subventions, l’avenir du court polonais, toutes catégories confondues, réside probablement dans la conquête du public… polonais. « Il faut reconnaître que les Polonais n’ont pas de culture cinématographique aussi forte qu’ici en France par exemple », reconnaît Marta Swietek. « Il est tout simplement inimaginable en Pologne que les gens fassent la queue pour aller voir un court-métrage. Ils ne connaissent pas cet univers. Quand on leur parle d’animation, ils pensent dessin-animé pour enfants, et quand ont dit documentaire ils pensent reportage. Donc il faut encore continuer à sensibiliser le public”.

La conquête d’un public plus large, qu’il soit polonais, français ou international ne se fera pas cependant sans de nouveaux débouchés pour les courts-métrages. Leur durée de vie reste toujours essentiellement limitée aux seuls festivals. Et c’est bien dommage.

Piotr Czarzasty

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