Entre les lignes de Frédéric Farrucci

L’habile signature d’un observateur

Ce sont les brèches et les failles de notre réalité quotidienne qui semblent définitivement intéresser Frédéric Farrucci. Après L’offre et la demande, Suis-je le gardien de mon frère ? et Sisu, Entre les lignes confirme le penchant du réalisateur à mettre en scène l’invisible.

L’invisible ici, c’est celui d’une enfance livrée à la ville, celle de cinq « petits voleurs » que l’on juge mais que l’on ne voit plus. Tout au long d’une journée de fin d’été, on suit ce groupe nomade qui chaparde presque mécaniquement, rodé, tristement habitué, tandis que les passants l’ignorent ou l’évitent. Parmi la troupe, le jeune Stefan a parfois le regard qui se perd sur ce qui l’entoure. Entre deux portefeuilles, sur une affiche publicitaire du commissariat ou sur un bout de journal, il essaye d’apprendre à lire.

Frédéric Farrucci réalise loin du registre pathétique, il ne cherche pas apitoyer gratuitement, au contraire, il offre un constat enrichi par une poésie des possibles. La journée, étendue par des ellipses, s’arrête lorsque s’arrête le film; on l’imagine pouvoir recommencer telle quelle des années durant, avec la même errance, les mêmes vols, la même indifférence, la même exclusion implacable… à ceci près qu’un des enfants apprend à lire et c’est cette donnée, amenée finement par petites allusions, qui a la potentielle puissance de tout bousculer. Après un développement troublant de réalisme, le réalisateur nous laisse finalement, sur cet espoir, composer le futur de ses personnages.

Farrucci nous entraîne dans l’effrayante autonomie de jeunes mineurs livrés à eux-mêmes, poussés au vol par des voleurs d’enfances, retrouvant leurs âges seulement le temps d’un jeu ou lors d’un bref échange avec une présence maternelle.

Entre les lignes est construit selon une logique d’immersion : caméra à hauteur d’enfant, mouvements organiques, langue du groupe non sous-titrée comme par souci de produire un effet mimétique du rapport d’exclusion des enfants avec la société commune dont ils ne partagent justement pas la langue, une direction d’acteur qui sait se faire oublier et, par dessus tout, savants jeux de regards. En effet, nombreuses scènes du films ont été tournées en caméra sauvage au milieu de réels passants qui, bien évidemment, ont tendance à braquer leurs yeux inquiets sur l’objectif. C’est autant de visages qui se retournent vers la caméra à son passage et donc de paires d’yeux rivées sur nous, spectateurs, qui ne nous sentons alors pas regardés mais dévisagés, interrogés, au même titre que doivent l’être ces enfants. Lorsqu’ils ne passent pas complètement inaperçus, la brève attention qui leur est accordée est synonyme de méfiance.

Sur le chemin du retour qui les emmène dans des bidonvilles périphériques, ils jouent à faire des doigts d’honneur et à cracher du haut d’un pont vers les voitures qui filent au-dessous comme ont filé toute la journée les passants. Le vol est le seul contact qu’ils ont avec la société urbaine, ils en font un jeu dont ils maîtrisent parfaitement les règles, un jeu d’enfant.

Tandis qu’Entre les lignes est actuellement pré-sélectionné aux César 2020 du meilleur court-métrage, nous guettons la sortie en avril prochain du premier long de Frédéric Farrucci : La nuit venue.

Gaspard Richard-Wright

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