La Musique de Jean-Benoît Ugeux

Jean-Benoît Ugeux, qui a travaillé une forme expérimentale avec le triptyque Valeurs en 2012, et un sujet social avec Eastpak en 2017, développe dans La Musique un récit plus intime, en racontant les rapports difficiles entre un père et un fils. Le court-métrage a reçu le Bayard d’or et Jean-Benoît Ugeux le prix d’interprétation au dernier Festival international du film francophone de Namur.

Dans ce film, il porte un regard aiguisé sur des personnages qui sont souvent dans la retenue. Cette tonalité contraste avec l’exaltation romanesque des chants lyriques qu’écoute le père, comme Le Roi des Aulnes de Schubert, qu’il traduit à son fils sans se rendre compte qu’il est en train de reproduire le même schéma tragique d’incompréhension. Cet écho entre la chanson et le noeud dramatique du film montre aussi l’écart fondamental entre ces deux régimes émotionnels, l’un dans le bouillonnement, l’autre dans la retenue : le roi des Aulnes finit par attraper l’enfant qui meurt dans les bras du père, mais il est temps d’aller manger.

Comme les traits ne sont pas évidents et les conflits non-déclarés, ce film ne se laisse pas facilement aborder. La continuité narrative est assez saccadée, on est plus proche d’une série de petits tableaux que d’une suite de séquences. Même s’il y a une cohérence chronologique, il n’y a pas de marqueurs temporels. En ce sens il ressemble assez au Désarroi du flic socialiste quechua, court-métrage d’Emmanuel Marre sorti en 2013 dans lequel jouait Jean-Benoît Ugeux.

D’ailleurs le film a d’autre points communs avec les films d’Emmanuel Marre. L’enfant du Film de l’été (Prix Format Court à Brive), sorti en 2017, était déjà incarné par Balthazar Monfé, comme si Jean-Benoît Ugeux avait souhaité exploré ce personnage dans une autre facette de sa vie.

Ils ont également en commun de montrer des personnages dans leurs difficultés face à la violence du système. Ce ne sont pas des films sociaux, mais il y a chez eux une forte conscience de la société dans laquelle ils évoluent, et une volonté de décrire le désenchantement moderne. D’ailleurs, Emmanuel Marre a participé au scénario du récent Ceux qui travaillent d’Antoine Russbach.

L’ancrage dans le monde contemporain vient aussi des images elles-mêmes, souvent tournées dans des décors réels, au MacDonald ou dans la rue. Les séquences avec Balthazar et ses amis laissent une forte impression de naturel, on sent que tout n’est pas contrôlé par le réalisateur. Cette ouverture au réel comme il se présente n’est pas systématique, parfois se déroulent des champs/contre-champs très serrés où chaque regard compte.

Tout cela témoigne de la grande liberté de Jean-Benoît Ugeux, qui parvient à faire affleurer une vérité sur les rapports humains dans une famille divisée prise dans les mailles de l’incommunicabilité.

Thibaud Fabre

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