Negative Space de Ru Kuwahata et Max Porter

Negative Space, réalisé par Ru Kuwahata et Max Porter, raconte l’histoire de Sam et de sa relation particulière avec son père qui n’est jamais quasiment à la maison. Pourtant, un lien très fort l’unit à lui : il lui a en effet enseigné comment faire sa valise le plus rapidement et efficacement possible, de manière à ne laisser aucun espace vide.

Ru Kuwahata et Max Porter, ces deux spécialistes du cinéma d’animation se sont inspirés d’un poème de l’auteur américain Ron Koertge pour explorer la relation entre un fils et son père qui part toujours en voyage d’affaires. Inspirée par les cadrages du cinéaste japonais Yasujirō Ozu et les sculptures hyperréalistes de Ron Mueck, cette animation en stop-motion nous emmène dans l’intimité de ces personnages, dont l’histoire métaphorique résonne en chacun de nous.

L’espace devient sujet à part entière et métaphore de la relation entre le père et son fils. Organiser de façon efficace l’espace dans une valise reflète la tendance du père à bannir tout ce qui pourrait être superflu et inutile. Aller à l’essentiel et ne garder que le nécessaire, voilà ce qui compte pour lui dont l’unique lien avec son fils est cette valise. A travers les plans aériens de la valise, Kuwahata et Porter montrent toute la minutie avec laquelle le père s’efforce de faire disparaître tout l’espace superflu. Cependant, ce n’est pas cet espace-là qu’il devrait combler, mais bien plus celui qui le sépare de son fils.

La valise symbolise donc la connexion et la séparation entre le père et son fils. Le seul lien intime qui les unit se noue autour de cette valise qui signifie aux yeux du fils un court instant de bonheur avant la séparation inévitable.

Negative Space, nommé aux Oscars et projetée ces jours-ci en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand, nous reste en mémoire par son aspect réaliste et sa spontanéité. L’animation en volume s’apparente à un film en prise de vues réelles et donne aux objets et aux personnages un aspect vivant. C’est comme si les personnages, de par leur texture et leur spontanéité, devenaient des êtres éveillés que l’on pourrait toucher. Les bruitages naturels procurent également un ton juste à l’animation, que ce soit par le pli des vêtements ou encore le crissement du plastique. Le son provoque en nous des sensations directes et une impression réaliste de ce rituel entre le père et son fils.

Entre humour et tristesse, légèreté et gravité, douceur et amertume, ce film fait également preuve d’une certaine pudeur. Le ton juste employé lui donne un aspect poignant et réaliste. Entre un passé chaleureux et doux, fait de vagues et de soleil et un présent sombre et dur dans la neige et le froid, cette union de deux moments de vie opposés nous laisse une impression douce-amère.

En réalité, ce qui nous marque le plus dans cette histoire, c’est la résonance qu’elle peut avoir en nous. Elle fait renaître tous ces souvenirs qui pourraient paraître insignifiants au premier abord, mais qui restent profondément ancrés dans notre mémoire pour le reste de notre vie. Ce sont toutes ces petites choses qu’on a connues dans notre enfance qui forment un tout et définissent notre présent. Cette animation nous fait comprendre comment nos souvenirs sont liés à des sensations et des petites choses apparemment dérisoires, mais qui témoigneront de toute leur importance à l’âge adulte.
Si cette histoire nous unit, c’est non seulement par les souvenirs qu’elle réveille en chacun de nous, mais aussi parce qu’elle nous rappelle que l’espace le plus important à combler est celui qui nous sépare des autres.

Anissa Bouchra

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