Romane Gueret & Lise Akoka. Du ciné, de l’envie, du réel

Premier (très beau) film, casting sauvage, perles dénichées, rencontre avortée, envie d’authenticité et d’apprentissage, projet porté à bout de quatre bras et d’une campagne Ulule : Romane Gueret et Lise Akoka ont co-réalisé Chasse royale un moyen-métrage né après réflexion et avoir fait  la connaissance de deux enfants, un garçon (Corentin) et une fille (Ashley). Le film primé à la dernière Quinzaine et présélectionné aux prochains César, est visible sur la Toile. Discussion à deux voix, entre désirs et frustrations, besoin de tourner rapidement et sentiment de responsabilité.

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Avant de vous rencontrer, quels ont été vos parcours?

Romane Gueret : On a des parcours différents. J’ai fait deux ans art d’art plastique, j’y ai découvert la photo. Ça a été mon premier vrai coup de coeur. La fac me semblait être une bonne idée pour m’ouvrir et acquérir une culture cinématographique et de l’image. Je suis allée à Sorbonne Nouvelle qui était essentiellement théorique. Pendant cette année, je suis beaucoup allée au cinéma, j’ai adoré l’analyse de films. C’est à ce moment-là que je me suis dit que je voulais faire de l’image. Très vite, j’ai eu envie d’être sur des tournages, d’apprendre sur le terrain, de bouger, d’être active et d’observer ce qu’il y avait autour de moi. J’ai commencé à la mise en scène, j’étais assistante, j’ai trouvé ça super, je me suis rendue compte que plus j’étais proche du réalisateur, de sa démarche, plus ça me plaisait.

Assez naturellement, j’ai eu envie de faire des petits films, des essais avec des amis, d’apprendre. J’aime l’image et ce que ça raconte. J’ai gardé un lien avec la photo. J’aime beaucoup le travail de Nan Goldin qui fait des portraits de vie et travaille avec des gens qui sont en marge de la société. Elle arrive à embellir les gens qu’on voit peu, qu’on juge et elle bouleverse notre regard. Elle a d’ailleurs fait partie de nos références pour le film. Dans Chasse royale, on a aussi eu envie de rendre palpable cet aspect du réel, de saisir des moments de vie.

Et de ton côté, Lise ?

Lise Akoka : Je me suis tournée vers la psychologie parce que j’étais intéressée par le monde de l’enfance en particulier. Je baigne là-dedans depuis longtemps. En parallèle, j’ai fait plusieurs années de théâtre et j’ai travaillé en tant que comédienne, puis je me suis tournée vers le cinéma, dans le casting et le coaching enfant. Ça a été un déclic assez immédiat. Ça me remplissait beaucoup plus de travailler sur des projets qui me tenaient à coeur, que j’aimais en tant que spectatrice, que je valorisais à une autre place qu’en tant que comédienne. J’ai commencé sur un cinéma d’auteur, en lien avec un certain réalisme social, à la recherche de codes assez naturalistes que j’aimais et ça m’a paru assez évident de mêler le milieu de l’enfance et l’art. J’ai fait quasi que du casting enfant, surtout sauvage (à la sortie des collèges, des écoles, dans les parcs, lors des activités extra-scolaires, …). Les enfants castés par les agences me touchent moins, ils sont emprunts de codes, d’automatismes. On trouve une fraîcheur, quelque chose de sauvage, de brut chez des enfants qui n’ont jamais joué et qui n’ont pas toutes ces projections sur le monde du cinéma.

Que recherche-t-on quand on fait du casting sauvage ? L’authenticité ?

L.A. : Oui, surtout pour un cinéma social. Quand tu décides de filmer certains milieux, certains personnages ne souffrent pas la triche. Un petit parisien issu d’un quartier bobo n’aurait pas pu jouer les rôles principaux d’Angélique ou d’Eddy dans notre film parce qu’il y a un côté marqué chez eux que même le travail ne peut pas transformer.

Comment le projet de Chasse royale est-il apparu ?

R.G. : On s’est retrouvé sur un casting de long-métrage ensemble, j’étais assistante de casting, Lise était directrice de casting. Le réalisateur voulait trouver des perles rares, voir le plus d’enfants possibles pour avoir le choix, on est donc beaucoup allé sur le terrain et on a vu beaucoup d’enfants.

L.A. : On travaillait sur ce projet de long-métrage quand on a fait la rencontre d’une adolescente, Ashley, dans un lycée de la région nommé « Chasse Royale ». On n’avait pas forcément de velléité de réalisation, mais en rentrant le soir du casting, on s’est dit qu’elle était incroyable, on a été autant subjugué par ce qu’elle dégageait, son langage rude, rugueux, sa vulgarité, sa cinégénie, sa force, sa beauté que par ses capacités d’actrice. Plein de choses nous ont vraiment frappées chez elle. Quand tu dis à un enfant de faire de l’impro, quand tu le mets dans une situation de jeu, la plupart du temps, il est coincé, tout est fabriqué. Ashley, elle, est restée elle-même.

En rentrant, on s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser cette gamine dans la nature. Elle est dans un petit quartier paumé de Valenciennes, à un endroit où les réalisateurs et directeurs de castings ne vont jamais. Si on ne la fait pas tourner, elle ne tournera jamais. Il ne fallait pas que ce talent soit perdu dans la nature donc qu’est-ce qu’on pouvait faire avec elle ?

R.G. : Il y avait aussi le fait qu’Ashley ne correspondait pas au rôle qu’on nous demandait de trouver là-bas, on savait que le réalisateur n’était pas dans l’attente de ce genre de nature. On s’est retrouvé face à cette question : si ce n’est pas lui, qui va la faire tourner si on est les seules à avoir fait cette rencontre ?

L.A. : On l’a vue devant la grille, elle nous a accrochées. On s’est dit : “on la garde quand même”.

R.G. : On l’a traquée. Elle nous a dit non trois fois avant de venir. Elle nourrissait notre curiosité et notre frustration. Elle nous a beaucoup résisté, mais ça fait partie du casting sauvage d’aller jusqu’au bout et de voir ces enfants jouer. Elle ne va quasi pas à l’école, c’est une rebelle, mais elle est venue au casting. Elle était curieuse de l’expérience. Elle a joué vraiment le jeu au moment de l’impro, on a identifié très vite que ce n’était pas dans sa logique à elle, mais qu’elle avait dû y trouver un goût.

Le ressenti d’Ashley, c’est quoi, au sortir du casting ?

L.A. : On ne sait pas vraiment. Elle a pris plaisir à jouer, ça se traduit aussi par le regard qu’on a porté sur elle. Elle était en échec scolaire, elle avait des difficultés à l’école, en famille. Elle ne connaissait pas un regard bienveillant d’un adulte et d’une réussite, mais elle s’est sentie valorisée.

R.G. : Je pense qu’elle a dû ressentir un déclic qui a en partie motivé la démarche de nous suivre. C’est un enfant qui ne supporte pas les contraintes d’horaires, de rendez-vous. Elle a commencé à nous suivre puis nous a plantées.

L.A. : Pour nous, ça a été comme un échec. C’est une rencontre qui ne s’est pas faite, qui n’a pas abouti. On a eu l’impression de réussir pendant longtemps quelque chose avec elle, mais elle n’a jamais vraiment réussi à sortir de cette posture de résistance. Depuis le début, elle plantait un rendez-vous sur deux, mais on arrivait à chaque fois à la rattraper. Quand le projet de notre film est devenu trop concret, quand on a commencé à être entouré, elle n’est plus venue.

R.G. : À un moment, on ne pouvait plus se permettre de prendre des risques, on a vraiment décidé de faire le film, on était suivies par une production, on avait très peu de temps pour répéter avec les enfants, on avait besoin d’avoir confiance en elle, alors que c’était déjà très compliqué de faire un premier film, avec des enfants.

À Chasse Royale, dans le même lycée qu’Ashley, on avait aussi repéré Corentin lors du casting, il devait avoir un des premiers rôles du long-métrage mais le réalisateur a changé d’avis, ce qui a été une grande frustration pour nous. On commençait déjà à penser faire un film avec Ashley, sans trop savoir comment, on s’est dit aussi que Corentin était un enfant à ne pas laisser dans la nature, à intégrer aussi dans un film, qu’il fallait tourner avec lui. Très vite, nous est venu l’idée qu’il pourrait jouer le rôle du petit frère d’Ashley car il y avait une correspondance physique entre eux.

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Il amenait quoi ?

R.G. : Une touche plus légère, il était en demande, plus motivé par le projet, très curieux, ouvert à la rencontre, très en demande. Il oubliait complètement la caméra, il avait une vraie confiance, une vraie candeur. Plus on avançait avec lui, plus il nous proposait des choses. Un vrai dialogue s’installait, on s’est dit qu’on voulait faire quelque chose avec lui. Il vient aussi d’une famille compliquée et on sentait qu’il avait besoin de parler, d’extérioriser des choses qu’il ne pouvait pas faire chez lui. Seulement, il n’a pas pu faire le film non plus.

L.A. : On les a filmés ensemble, au début, c’était compliqué, mais petit à petit, on a réussi à faire des choses avec eux. Ils ont complètement nourri les personnages d’Angélique et Eddhy qui ont repris les rôles initiaux.

Auriez-vous pu passer par le documentaire pour raconter ce que vous avez vu et vécu dans cette région du nord de la France ?

R.G. : On aime le cinéma, on ne voulait pas juste faire un reportage de ce qu’on voyait, on voulait écrire un film, y mettre des scènes qu’on voulait, avec nos interprétations, nos désirs. On avait envie d’images, de travailler sur la direction d’acteurs car cela nous passionnait pendant les castings.

L.A. : La première impulsion a été de voir jouer Ashley et Corentin, ils avaient tous deux un talent inné d’acteurs et on voulait que cela puisse éclore dans le cadre d’une fiction. Quand on a eu cette déconvenue avec les deux, quand ça nous a semblé impossible de retrouver de telles perles de casting, on s’est demandé si le projet pourrait aboutir sans eux.

R.G. : On avait la possibilité d’écrire plein de choses différentes et on a choisi de parler de la non-rencontre. C’est la trame de fond de ce film : on n’a pas réussi, le projet parle de l’échec.

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Comment avez-vous rencontré Angélique, la remplaçante d’Ashley ?

R.G. : Grâce au casting sauvage. Il fallait trouver un personnage ressemblant à Ashley, qui soit hermétique, rebelle qui avait cette force à l’image et qui joue bien, ce qui était compliqué.

L.A. : Il y avait eu cet échec avec Ashley peu de temps avant le tournage, on n’y croyait pas forcément vu que le point de départ, c’était aussi ce coup de coeur pour elle, on se demandait si on allait trouver ce talent d’actrice chez quelqu’un d’autre. On n’a pas lâché, le projet nous tenait trop à coeur, on a fait un gros casting dans tous les lycées de la région.

C’était important de rester dans ce coin-là ?

L.A. : Oui, parce que le scénario se basait sur les mots d’Ashley et Corentin et sur le lieu, très ancré socialement. Le coup de coeur était pour ces enfants mais aussi pour ce lieu.

R.G. : C’était aussi l’endroit où on avait posé nos valises et écrit le film. On s’imaginait tourner seulement là-bas.

L.A. : Angélique nous a convaincues très rapidement au casting. Quand on a regardé ce qu’on avait filmé, on s’est rendu compte de sa force et de son talent, de son regard, de ce qu’elle dégageait à l’image.

R.G. : Elle a fort progressé, elle avait soif d’apprendre, elle avait envie de nous connaître, de faire ce film. Le regard qu’on posait sur elle a été un moteur.

L.A. : Elle avait une intelligence de jeu, on a vu tout de suite qu’elle comprenait ce personnage, ce que racontait l’histoire et ce qu’on voulait. On lui a montré des films.

Lesquels  ?

L.A. : L’Esquive et La Tête haute. Ça a été déterminant. Quand on répétait, on a vu qu’elle essayait de répéter des choses mais de manière assez fine, ce n’était pas plaqué. Elle avait compris.

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Vous avez porté ce projet pendant combien de temps ?

L.A. : Deux ans et demi.

R.G. : Ce film découle de la force des rencontres, on a été accueillies, on nous a laissé pouvoir monter ce projet. Ce film, c’est nous deux, mais c’est aussi collectif : les enfants, leurs parents, …. Le cinéma qu’on aime, c’est un cinéma qui permet les rencontres entre les âges, les différents milieux et classes sociales.

L.A. : On a voulu aller au bout du film, malgré tout ce qui nous est arrivé. Pour nous, le cinéma traduit un mouvement vers l’autre.

R.G. : Ce qui est d’autant plus beau, c’est qu’on a fait ce film pour nous et pour eux: le projet était finalement assez intime. La portée qu’il a aujourd’hui, on ne s’y attendait pas.

L.A. : On s’est permises au fur et à mesure d’être plus ambitieuses, les gens s’intéressaient au projet, on avait des retours positifs sur le scénario, on voulait partager un message.

R.G. : On ne voulait pas qu’il reste dans un fond de tiroir. Quand les choses ont commencé à se préciser, c’était hors de question pour nous que les enfants ne soient pas payés sur notre film (ce sont les seuls à l’avoir été d’ailleurs). C’était important de leur montrer que c’était professionnel, un jeu, une responsabilité. Leur faire signer un contrait était symbolique. Ils devenaient adultes, ils étaient fiers d’être payés pour faire un travail. Il fallait donc un minimum d’argent. On a par exemple soumis à Angélique l’idée que cet argent pourrait lui servir à payer son permis quand elle aurait 18 ans, ce qui lui a permis de se projeter, d’envisager l’avenir.

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Comment avez-vous perçu cette première expérience ?

R.G. : Comme c’était une première fois, on a tout essayé, on n’était pas attendues au tournant, on a fait ce qu’on avait envie de faire. Marine Alaric, la productrice (Les Films du Velvet), nous a laissées très libres aussi, c’était l’histoire qu’on voulait raconter, elle nous a suivies et épaulées. C’était un premier film, on avait peur de rien.

Qu’est-ce que l’une apporte à l’autre ?

R.G. : On est très différentes, je pense qu’on est complémentaires. On s’est apporté beaucoup de choses l’une et l’autre, sur ce film, à chaque fois qu’on s’est retrouvé là-bas, c’était vraiment un combat. On nous a fermé beaucoup de portes, c’était très difficile, on a eu beaucoup de mal à faire nos castings, on s’est fort soutenues dans l’énergie et l’envie de faire ce film.

L.A. : Jusqu’à la fin, on a été livrées à nous-mêmes, on a fait quasi tout toutes seules, la production et l’équipe sont arrivées tard, toute la préparation d’un film courant qui se fait normalement en équipe ne s’est pas faite, on était que deux et en plus, loin de chez nous.

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Quel a été le partage des tâches sur le tournage ?

R.G. : Au départ, j’avais plus d’envies de mise en scène, d’image, de découpage et Lise avait l’habitude de coacher les enfants, mais on n’avait pas envie d’en rester là et ce projet était là pour nous faire grandir. On a appris à se faire connaître au fur et à mesure et à se faire confiance.

L.A. : Comme tout a pris du temps, on a fini par être très d’accord sur ce qu’on cherchait, on avait la même vision et le même film en tête.

R.G. : Le film est très proche de ce qu’on avait en tête, ça traduit vraiment les émotions et ce qu’on a ressenti là-bas, on a emmené les spectateurs là où on est allé. Le film ne dure qu’une demi-heure, c’est frustrant, car aujourd’hui, on a envie d’aller plus loin, de traiter des aspects supplémentaires, de les développer sur un format long.

Le mode de production (une campagne de financement participatif sur Ulule) a-t-il participé à votre envie de filmer très rapidement ? Est-ce que l’attente des résultats des commissions, surtout quand on n’a jamais rien filmé, vous semblait être un obstacle ?

R.G. : Oui, on était dans un cas de figure très particulier, on ne pouvait que demander une seule région, le Nord-Pas-de-Calais. On avait vraiment l’espoir d’avoir cette aide, mais on ne l’a pas eue. Ça a été une grosse déception.

L.A. : Le CNC nous a proposé de représenter le projet à une autre commission, mais on voulait tourner très vite, les enfants allaient changer et il fallait que le film se fasse vite, ça faisait déjà longtemps que le projet trainait.

R.G. : On a discuté avec la production qui a été d’accord pour nous suivre sans aide, sans argent, dans des conditions plus difficiles, mais personnellement, je trouve qu’elles étaient en adéquation avec le film. Sur le tournage, on n’était pas nombreux, on avait une caméra légère, on nous a prêté beaucoup de choses, Ulule nous a permis d’aller au bout de ce tournage, ça nous a beaucoup aidées. On est de la génération du net, on sait que ça existe, on a un réseau, on est deux, on a notre famille, la production : on a essayé de rallier les gens à notre cause, et ça a pris. Les gains d’Ulule ont quasiment assuré le salaire des enfants.

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Votre projet aujourd’hui, c’est de poursuivre ? Un long à deux ?

L.A. : Oui. On souhaite travailler dans la continuité de ce qu’on a amorcé avec Chasse royale, autour de ces enfants et des problématiques qu’on a soulevées. La rencontre ne s’est pas tout à fait faite avec les enfants du début, mais bien avec ceux qui ont suivi. Angélique, qui était déscolarisée, a été admise au lycée de Chasse royale. On a envie de croire que le film a été une ouverture de perspective énorme pour ces enfants et une prise de conscience de leur potentiel artistique et de leur interprétation. La rencontre avec nous, l’équipe de tournage, le regard qui a été posé sur eux, peuvent être des rencontres déterminantes dans une vie. Sans penser qu’on est des sauveurs d’enfants et que ça va changer leurs destins et trajectoires, on se dit que si un petit mouvement a pu se faire, c’est déjà énorme.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

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