The Reflection of Power de Mihai Grecu

Adepte des allégories délicates empreintes de mélancolie, Mihai Grecu continue d’interroger le monde et ses vicissitudes à travers des films entrechoquant images réelles et effets spéciaux numériques. Après les magnifiques « Centipede Sun » (2010) et « We’ll Become Oil » (2013), il s’attaque cette fois au régime nord-coréen à travers une représentation inédite de Pyongyang, la cité la plus hermétique du monde, avec le sublime « The Reflection of Power », qui a obtenu la Mention spéciale du Jury Labo au dernier Festival du court métrage de Clermont-Ferrand.

Une représentation de grande envergure, gala sportif millimétré et chorégraphié avec soin, devient le centre d’attention de tout un peuple qui délaisse sa ville à la merci d’une inondation dévastatrice. Cette ville est celle de Pyongyang et le régime décrit, celui ô combien rigide de la Corée du Nord. Alors que les jeux Arirang attirent les foules, les rues sont désertées et les monuments se retrouvent abandonnés. Toute forme de vie humaine a quitté ces lieux lugubres, les seuls visages restants étant ceux, figés et souriants, des statues, affiches et tableaux à la gloire du régime. Petit à petit, le niveau de l’eau monte et engloutit tout signe de pouvoir ostentatoire, comme autant de géants aux pieds d’argile.

En utilisant l’allégorie et la métaphore, Mihai Grecu interroge sur la déshumanisation induite par un pouvoir absolutiste, qui préfère célébrer sa toute puissance à travers des représentations scéniques grandiloquentes, plutôt que de laisser une infime place à une quelconque liberté individuelle.

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Grecu évite l’écueil d’un discours trop frontal qui aurait pu paraître simpliste, en creusant les symboliques inhérentes à l’élément aquatique, véritable miroir déformant de la grande vérité prônée par le régime. L’eau, telle une entité sauvage, destructrice et purificatrice, révèle l’envers du décor et submerge l’envie de contrôle absolu. Elle agit comme un deus ex machina qui épure et rétablit une certaine forme d’apaisement, mais aussi comme un immense “bac révélateur” laissant apparaître sur “la photo d’ensemble” tous les secrets inavouables les plus pronfondément enfouis.

Fort d’un savoir-faire technique virtuose, le film alterne plusieurs moments de bravoure à la fois beaux et chargés de sens, comme la scène très iconique dans laquelle la statue du dirigeant sur son trône, baignée dans un paysage désolé à dominante rouge, réfléchit dans l’eau cette même couleur écarlate et fait écho à des litres de sang se déversant à ses pieds. A un autre moment du métrage, une chorale d’enfants, en tous points semblables et les pieds dans l’eau, essaye tant bien que mal de chanter quelque chose d’intelligible, mais le son qui en sort est “noyé” dans un magma bruitiste et lointain. Enfin, le dernier plan du film montre une flamme de pierre, symbole de vie et de liberté, s’estomper et se dissoudre sous les assauts conjugués de l’eau et du brouillard.

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Jouant sur une ironie mordante distanciée et empreint d’un nihilisme mélancolique, « The Reflection of Power » de Mihai Grecu tire à la fois un signal d’alarme pour éviter d‘en arriver à la catastrophe de l’engloutissement total, mais entend aussi que l’espoir d’assainir toute vision obscurantiste par l’Elément fondamental de l’eau existe quelque part, malgré tout.

Julien Savès

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