Guido Hendrikx : « Pour faire des films intéressants, il faut apprendre à se limiter »

Primé par notre site au festival Go Short (Pays-Bas), Guido Hendrikx avait fait le déplacement à Paris courant avril pour présenter son film « Onder ons » aux Ursulines. Sujets tabous, traitement médiatique, intérêt pour le documentaire et la fiction, manipulation, instincts individuels, nuance,… : le jeune réalisateur est revenu sur les différents thèmes qui ont influencé son travail et son parcours. Rencontre.

Guido Hendrikx

Avant de faire des études de cinéma, tu es passé par une école de journalisme. Pour quelle raison ?

J’aime les bases, l’écriture des reportages. J’ai étudié le journalisme dans le cadre d’une formation générale à l’Université d’Utrecht. À cette époque, j’ai réalisé un film, « Minor », car je voulais être journaliste d’investigation. Juste après, j’ai réalisé que le journalisme traitait juste des exceptions, des catastrophes, de ce qui sortait de l’ordinaire et pas assez de la façon dont le monde fonctionnait, de la vie quotidienne en somme. Ce qui se passe tous les jours n’est pas couvert par les médias qui ne pensent qu’à travers le prisme de l’exception. Prenons le cas de « Onder ons ». Pour les médias, les pédophiles ne sont que des déséquilibrés, vieux, manipulateurs, qui agressent les enfants. Ça, c’est l’exemple généralisé. J’ai fait des recherches pour ce film. Les médias n’ont jamais parlé des pédophiles différemment, aucun journaliste n’en a interviewé.

Pour moi, le traitement de l’actualité était également trop conventionnel, conservateur et rapide, lié au format et aux deadlines. Je n’ai plus eu envie de poursuivre dans cette voie.

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« Day is Done * » a été ton premier film réalisé après tes études à Utrecht . Comment cela s’est-il passé ?

J’ai filmé un homme qui ne sortait pas de chez lui. J’ai eu des intuitions, je me suis écouté, j’avais juste une feuille contenant les scènes que je voulais. Je n’avais pas de règles, de limites. Pour faire des films intéressants, il faut apprendre à se limiter. Faire des films, c’est faire des choix et s’y tenir. Je me suis limité : j’avais 15 heures pour un film de 30 minutes. Si tu sais ce que tu cherches, ça marche. Si tu attends que ça se passe, tu dois changer de profession.

Pour construire « Onder ons », tu as donc rencontré des pédophiles. Raconte-nous.

Il faut mettre de côté ses a priori, être le plus ouvert possible. J’ai rencontré des pédophiles, les ai interviewés pour le film. Ils ne voulaient pas être montrés à l’écran, on a enregistré leur texte, monté le film avec leurs voix originales et demandé à des comédiens de dire leur propos grâce à un casque. Je ne voulais pas qu’ils apprennent le texte par coeur.

J’ai voulu travailler sur les émotions que les pédophiles ont ressenti à partir du moment où ils ont compris qui ils étaient. Ils ont une attitude différente de la réalité, ils se comportent comme des minorités extérieures au monde. Je souhaitais coller à leurs perspectives le plus possible.

D’où vient cet intérêt pour la marginalité ?

Je ne cherche pas à faire des films ou des sujets difficiles. Quand j’ai une idée, quand quelque chose m’interpelle, je me dis que ça vaut la peine d’en faire un film. Ce n’est pas un processus rationnel. Apparemment, la marginalité m’attire, c’est peut-être lié à la manière dont les gens agissent et pensent. Ils sont si différents, ils pensent si différemment de moi que c’est pour ça aussi que je les filme.

Pourquoi as-tu ressenti le besoin de suivre des cours à la Nederlandse Filmakademie, à Amsterdam ?

Après, « Day is Done * », j’ai eu du mal à retrouver une vie sociale. Le problème, c’est que j’étais tout seul pour filmer, faire les recherches, produire, prendre le son, monter et distribuer le film. Il n’y avait que moi et le protagoniste. J’étais curieux de savoir comment les choses pouvaient se passer dans un groupe avec des moyens et de bénéficier d’un enseignement spécialisé.

C’est pour ça que je suis allé vers cette école qui a un bon niveau. J’en avais beaucoup entendu parler. Après avoir été accepté, je suis entré en section documentaire. À l’époque, j’étais un cinéaste documentaire pur et dur. Je ne voulais pas changer l’ordre des séquences. Maintenant, 5 ans plus tard, je pense totalement à l’envers. L’objectif est de raconter une bonne histoire quelque soit la manipulation. Aujourd’hui, je me sens attiré par la fiction, je peux incorporer des éléments fictionnels dans mes films. J’écris d’ailleurs un scénario de fiction pour un autre réalisateur. Je désire combiner l’écriture pour la fiction et les tournages dans le documentaire.

En documentaire, il est toujours possible de compter sur la réalité. Il faut pouvoir la reconnaître, juger ce qu’elle nous offre. En fiction, on contrôle tout du début à la fin. L’authenticité est plus présente en documentaire, elle est impossible à restituer en fiction.

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Est-ce que ton école a facilement accepté le projet de « Onder ons » ?

« Onder ons » touche à un sujet totalement tabou en Hollande. Il y a 18.000 pédophiles dans le pays. Le mot pédophile généralise un concept simple qui n’est pas du tout lié à la réalité. Il est difficile d’expliquer qu’un pédophile peut être quelqu’un d’autre qu’un vieux pervers, qu’il peut être un étudiant d’université par exemple. L’équipe du film m’a toujours suivi mais l’école moins, elle avait peur. J’avais la réputation d’être un enfant terrible, de causer des difficultés. Quand j’ai dû présenter le projet aux organes de financement, ceux-ci ne comprenaient pas mon empathie. Clairement, le film aurait été difficile à faire sans école et moyens.

Après « Onder ons », on a découvert un formidable autre court réalisé par tes soins : « Escort ». Le film traite à nouveau d’un sujet difficile, l’expulsion des sans-papiers du point de vue des personnes chargées de les escorter en vue de leur expulsion.

« Onder ons » est venu après « Escort ». Tous les deux parlent de manière différente de la rivalité entre la morale et les instincts individuels. L’essence est la même : comment les gens agissent en fonction de ce que leur environnement leur dit et comment ils réagissent à la pression sociale.

Dans « Escort », l’institution, la Maréchaussée royale, explique comment déporter les gens, mais quelques jeunes recrues à l’intérieur tentent de résister. Leurs convictions sont heurtées mais elles sont trop faibles pour résister à l’institution. Je filme ces deux personnes qui ont des doutes, même si je ne pense pas qu’un jour, elles quitteront l’institution.

Comment as-tu préparé ce projet ? Tu es très proche des protagonistes, tu filmes des situations étonnantes comme l’accompagnement musclé d’un sans-papier dans un avion.

Je ne crois pas à l’objectivité. Je n’essaye pas d’être objectif mais d’être nuancé. J’ai suivi un stage à destination des nouvelles recrues. Pendant la préparation, j’étais engagé, parfois très choqué et touché par ce que je voyais, comme par exemple lorsque la famille d’un réfugié s’est fait expulser devant moi. Pendant le tournage, par contre, je suis trop pris par le film pour être impressionné par une situation. C’était quand il n’y avait pas de caméra que je réagissais.

Très vite, les choses sont devenues naturelles. On a installé la caméra devant les gens tout de suite. La seule manière d’obtenir une relation de confiance, c’est d’être sincère. Quand le réfugié est monté dans l’avion, je ne savais pas ce qui allait se passer, je ne savais pas du tout comment il serait expulsé (avec les menottes, de force, …), mais j’ai manipulé la situation. J’ai demandé aux deux stagiaires de rentrer dans la voiture, on les a filmés en permanence, on a saisi leurs émotions à vif. Je savais que cette scène serait la dernière.

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Le film circule dans quelques festivals mais vous avez beaucoup du mal à le montrer…

Oui, le sujet est très sensible. Cela a pris beaucoup de temps et de conviction pour avoir accès à la Maréchaussée. Ils ont accepté le projet dans un but éducationnel, ont adoré le film, mais le Ministre de la Justice bloque sa diffusion. C’est très difficile de le montrer en festival.

Est-ce que tes films représentent une étape à chaque fois ?

Je ne crois pas beaucoup au fait qu’on fait le même film à chaque fois. C’est important de se réinventer comme réalisateur dans le style et l’histoire. Les meilleurs auteurs sont reconnaissables à la manière dont ils parlent au public, à leur ton, à la façon dont ils manipulent les spectateurs. Je trouve ça intéressant car le cinéma est une question de manipulation. Les auteurs qui m’intéressent le plus viennent de la fiction. Lars Von trier, Werner Herzog, Michael Hanneke, …, ce sont tous des manipulateurs.

Propos recueillis par Katia Bayer

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