Presente Imperfecto d’Iair Said

L’apparition d’un curieux présent lors d’une soirée d’anniversaire est à l’origine des questionnements hétéronormatifs et identitaires déployés dans « Presente Imperfecto », nouvel opus de l’Argentin Iair Said, ayant brigué ces jours-ci la convoitée Palme d’Or du court métrage au festival de Cannes. Comédien à la base et déjà reconnu pour son premier film « 9 Vacunas » (2013), toujours présent dans le circuit des festivals, Said apparaissait cette année comme le seul représentant latino-américain de la compétition officielle.

Avec une économie de moyens admirable et une simplicité narrative qui aborde un sujet potentiellement très complexe de façon directe et efficace, Said nous met devant Martín, un jeune homme d’une trentaine d’années, interprété par lui-même, recevant une étonnante jupe violette à fleurs comme cadeau d’anniversaire. Le problème à ses yeux ne se rapporte cependant pas au fait d’avoir reçu un vêtement théoriquement et socialement reconnu comme « féminin », mais il aborde plutôt des questions bien plus intéressantes au niveau de l’esthétique et de l’identification personnelle. « Ce n’est pas ma taille, ce n’est pas mon style », dit Martín. « La personne qui me l’a offerte ne me connaît pas du tout », « J’aurais aimé savoir en quoi cette jupe lui a fait penser à moi », se plaint-il encore. Il y a ainsi une claire acceptation de la jupe comme possible accessoire masculin, ce qui nous plonge d’une façon très subtile dans une histoire qui se détache des conventions habituelles du monde d’aujourd’hui et qui propose au spectateur une réalité où il serait normal pour un homme de porter une jupe.

La compréhension de ce changement de valeurs présenté dans cette première partie deviendra fondamentale pour bien comprendre tout ce qui se déroule après. Vu que le cadeau sort rapidement des catégories « masculin » et « féminin », il devient le point de départ de la deuxième partie qui montre la belle rencontre entre Martín et la vendeuse d’un magasin. Toutefois, ce serait trop facile de dire que l’histoire est tout simplement celle d’un homme qui rencontre une femme par le biais d’un présent qu’il veut échanger. Le vrai postulat du film repose sur une claire subversion de l’ordre des choses qui peut pourtant passer inaperçue : le fait de ne pas avouer l’hétéronormativité du monde d’aujourd’hui est une tentative pour justement l’interroger, l’attaquer et bien sur défendre un autre point de vue. Un paradigme différent, si l’on veut.

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La proposition de Said est mise en scène à partir d’une quinzaine de plans fixes et de dialogues soigneusement élaborés qui articulent les 15 minutes du film. La caméra immobile du chef-opérateur Julián Ledesma fixe Martín au centre de chaque plan et relègue le reste à un flou constant. Ainsi, tout tourne autour de Martín et uniquement ce qui est à côté de lui apparaît net. La maîtrise entre la dichotomie du montré et du réel contribue en même temps à créer une distanciation avec le spectateur qui peut se laisser emporter par le naturalisme que suscitent les images et par la relation qui se construit petit à petit et plan par plan entre le protagoniste et la jeune vendeuse. Les courtes conversations qui s’échangent entre eux vont suffire pour entrevoir leurs émotions, leurs envies, leurs désirs et leurs motivations. La présence des comédiens au cadre, de même que leurs gestes et mouvements, accorde à cette histoire potentiellement absurde un coup de véracité et de cohérence impeccable.

L’harmonie que l’on trouve tout au long du film entre le récit et les images fait de « Presente imperfecto » une belle réussite où chaque séquence compte pour elle-même et chaque mot a une place bien établie. Le spectateur aura donc la possibilité de questionner l’actuel état de choses et de se demander s’il est peut-être le plus… normal.

Julián Medrano Hoyos

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