Lost in Chinatown

Invité d’honneur de la trente-septième édition du festival du court métrage de Clermont-Ferrand, l’Empire du Milieu s’y est offert une rétrospective de six programmes rassemblés sous le titre évocateur de « Apprivoiser le dragon », composée de pas moins de vingt-neuf courts métrages de fictions, d’animation et de documentaires.

Les films programmés à Clermont-Ferrand offraient un portrait composite de la Chine contemporaine où l’attachement aux valeurs traditionnelles côtoyait le besoin frénétique de liberté. Au cœur des films, on a été frappé de retrouver en filigrane un goût prononcé pour des histoires atypiques et des personnages en proie à la solitude et à l’isolement. Un doux sentiment de « perditude » parsemait ces œuvres originales, témoins précieux d’une société en pleine mutation.

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Si « 6th March » de Chun Wong présenté dans le programme 1 et déjà remarqué au Festival de Clermont-Ferrand l’an dernier, met en évidence les clivages idéologiques de la Chine d’aujourd’hui dans une mise en scène de la garde à vue de trois étudiants hongkongais. « Dalinuoer » de Nan Ma, présenté dans le programme 2, quant à lui, aborde la notion de frontière et de décalage à travers une histoire plus intimiste, celle d’un homme qui vingt ans après, part à la recherche de sa fille qu’il n’a jamais vue. Filmé en plans larges renforçant ainsi l’impression de solitude des personnages, « Dalinuoer » est une belle histoire d’amour entre deux écorchés en pleine crise existentielle qui les conduit à parcourir ensemble des paysages désertiques et désolés, reflets du vide intérieur qui les habite.

Dans le même programme, on est content de retrouver « On The Way To The Sea » (Prix Spécial au Jury Labo à Clermont en 2011), un documentaire expérimental réalisé par Tao Gu sur le tremblement de terre qui a touché la région chinoise de Wenchuan le 12 mai 2008. Le décalage est ici provoqué par la forme du film qui mêle des éléments fictionnels à des fragments documentaires tendant habilement la réflexion vers l’abstraction.

Dans le programme 3, on est impressionné par la justesse des fictions « Katyusha » de Jie Ding et « See Tiger Together » de Xiaorao Zhou. Les deux traitent de la naissance d’un amour impossible. La première utilise la mise en abyme en montrant le tournage d’un film d’époque dans un petit village reculé de la Chine. Xu est un adolescent bien plus intéressé par l’une des actrices du film que par l’école. Il fait tout pour dénicher un rôle de figurant dans le but d’approcher l’objet de son affection même si celui-ci ne le remarque qu’à peine. Katysusha, nom que Xu donne à celle qui l’intrigue, navigue entre espoir et désillusion, passé et présent, fantasme et réalité. La seconde fiction aborde la rencontre improbable entre une danseuse de pole dance russe et un Chinois. Tanya débarque en Chine pour y danser dans un club à la clientèle lubrique. Dès les premiers plans, elle se positionne en marge, noyée dans une réalité qu’elle a du mal à appréhender et dont elle ne maîtrise pas les clés culturelles et linguistiques. Sa prestation pour être engagée dans le club se termine d’ailleurs par une splendide chute. Peu sociable et renfermée, Tanya utilise la danse comme moyen d’expression mais elle reste malgré tout en dehors de cette société qui la mate sans vraiment la regarder. Elle se passionne pour les tigres. Ainsi passe-t-elle ses moments de liberté à regarder une chaîne de télévision sur les animaux dans un petit snack situé à proximité de son logement. Elle y fait la connaissance de Youzi, un autochtone qui a fui sa ville d’origine. Tous deux étrangers, intrigués et attirés l’un par l’autre, tentent de se rapprocher mais la barrière linguistique les empêche de se comprendre. Comme les protagonistes de « Lost in Translation » de Sofia Coppola, Tanya et Youzi partagent leur solitude sans jamais se rencontrer vraiment. Banal en apparence, ce premier film brillamment mis en scène sonne le glas de la « perditude » soulevant par là les questions d’appartenance et d’identité dans un pays immense à la culture diversifiée.

Katyusha-Jie-Ding

« Home Video Argentina » de Xiao-Xing Cheng, présenté dans le programme 4 et sélectionné au Cinéma du Réel en 2005, est un documentaire expérimental qui relate les retrouvailles du réalisateur avec l’un de ses oncles parti vivre en Argentine dans l’espoir d’un avenir meilleur. Raconté à la première personne, ce journal intime cinématographique tourné en caméra DV est un essai particulier sur l’exil et l’immigration. Porteur d’illusions et d’espoirs, l’oncle, surnommé « Petit six », a quitté sa Chine natale en croyant faire fortune en Argentine. Des années après, Xiao-Xing et sa mère, eux-mêmes immigrés à Paris, rendent visite à cet oncle mystérieux et découvrent un homme vieilli et marqué par le sacrifice. Au lieu de la belle vie promise, il travaille sans relâche en tant que gérant d’un magasin d’alimentation, installé dans un minuscule deux-pièces au-dessus de la boutique, gagnant à peine de quoi subvenir à ses besoins. L’autre face de l’immigration est montrée sans fard ni jugement dans ce court métrage qui s’approche du film de famille sans toutefois en être un tant le point de vue du cinéaste participe d’une certaine universalité. En naviguant entre mémoire familiale et mémoire collective, Xiao-Xing déterre le passé et met en lumière le destin des quelques exilés que la misère et l’espoir ont conduit à rêver entre deux rives.

Le programme 5 réserve quelques jolies surprises dont l’audacieux documentaire « The Questioning » de Rikun Zhu ainsi que le très poétique « The Present » de Ruijun Li plongeant le spectateur dans un espace infini de la province de Gansu, située au nord-ouest de la Chine. Dorji est un garçonnet qui appartient à la communauté ethnique des Yugur (descendants de Mongols). Il occupe la plupart de son temps à aider son grand-père grabataire et à surveiller le troupeau de moutons en compagnie de sa mère. Il nourrit une amitié avec Tsolmon, vivant à dix kilomètres à la ronde. Ensemble, ils parcourent les contrées désertiques à cheval jusqu’au jour où Tsolmon doit s’en aller. Doté d’une grande économie de moyens, « The Present » s’inscrit dans la lignée des films ethnographiques contemplatifs. Sans être toutefois un documentaire, le film s’attache à présenter le quotidien d’une minorité chinoise trop peu connue.

Enfin, dans le dernier programme, le 6, « Le Banquet de la concubine » de Hefang Wei fait office d’animation originale sur le désir et la jalousie. Sous la prospère dynastie Tang, en 746, l’empereur Li organise un banquet en l’honneur de Yang, sa concubine favorite. Le jour de la fête, le bien aimé se fait attendre. Désespérée, la préférée se noie dans les vertus éthyliques d’un breuvage efficace persuadée que l’empereur la trompe avec une autre concubine. En lice pour les César 2014, le mélange doux-amer d’érotisme et de perfidie féminins du film de Hefang Wei avait fait mouche à sa sortie. Mais loin de la légèreté qu’il semble dégager, « Le Banquet » dépeint l’univers de la Chine féodale où l’individualité n’a pas de place.D’une Chine à l’autre, la question demeure.

S’étalant sur la décennie écoulée, les six programmes révèlent les intérêts et les obsessions de la jeune génération de cinéastes chinois permettant une réflexion sur la situation actuelle d’un pays et d’une culture aussi complexe qu’interpellante.

Marie Bergeret

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