Demis Herenger. Ciel ouvert, petit miracle et contre-champs

À la Quinzaine des Réalisateurs, nous avons aimé cette année « Guy Moquet », une chronique sympathique sur le regard de l’autre et le désir de cinéma tournée dans la banlieue de Grenoble. À Cannes, Demis Herenger, son réalisateur, nous a parlé de son travail intérieur/extérieur. Rencontre.

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Avant « Guy Moquet », tu as fait des films en prison. Peux-tu m’en parler ?

Dans chaque prison, il y a une télévision locale. Cela fait à peu près dix ans que je fais des films en prison pour alimenter un canal interne. Dessus, il n’y a pas de publicités, on peut montrer des choses rares, c’est quelque chose d’intéressant quand on est réalisateur. Je dispose d’un espace de 15 m2 dans deux établissements où il n’y a rien, juste une camera, un enregistreur sonore et un peu de lumière.

Deux à trois fois par semaine, j’organise des ateliers auxquels peuvent participer les détenus qui le souhaitent. J’essaye d’être flou sur mes projets pour qu’ils n’aient pas d’a priori. On est entre hommes et je ne suis pas en prison pour parler de la prison. En parler serait obscène, ridicule, provocant, même vis-à-vis d’eux. Il y a d’autres murs à enfoncer. On n’a pas besoin de beaucoup d’imagination pour penser à la privation de liberté.

Comment as-tu été amené à travailler à l’extérieur, avec des jeunes, sur « Guy Moquet » ?

J’interviens régulièrement dans une école d’art à Grenoble. Un professeur m’a proposé de faire un court métrage en banlieue, à Villeneuve. En 2010, il y avait eu des émeutes là-bas et un projet de faire un film avec les habitants était prévu, avec les membres de l’association locale Vill9lasérie. La donne, c’était de faire un film avec des habitués, des non professionnels. Il y avait une équipe, un réseau de personnes qui avaient envie de jouer et c’était l’occasion pour moi de faire une fiction à ciel ouvert.

Chacun s’est approprié le projet. Je me suis servi du langage des jeunes, de leur créativité. Je leur ai exposé la situation, l’enjeu, les positions. Je leur ai expliqué mon film pour qu’ils se réapproprient les choses. Je voulais rester dans quelque chose de spontané, on n’a fait que 3-4 prises à chaque fois et je ne gardais que les premières. Pour moi, ce ne sont pas des non professionnels, ce sont des acteurs dont ce n’est pas le métier. N’importe qui pouvait être Guy Moquet. En réalité, ça a été le premier corps qui est arrivé (Teddy Lukunku). Il était stagiaire à Villeneuve et très motivé.

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Dans cette fiction, le ciel est peut-être ouvert mais les mentalités sont plutôt fermées.

J’ai grandi en Savoie, je n’avais pas une gueule de Savoyard. Il y avait un esprit de village, comme en banlieue. Tout le monde se connaissait, les critiques et les jugements étaient monnaie courante. Quand je suis allé à Villeneuve, j’ai vu que les gens fumaient des joints, gueulaient devant tout le monde, … Il y avait beaucoup de démonstration acceptée, je me disais que ça cachait peut-être un contre-champ, quelque chose de fort qu’on n’aurait pas le droit de faire. C’est pour ça que dans mon film, il y a un personnage différent qui prendre le risqué d’être jugé par les autres.

On est tenté de te poser la question du choix du titre…

C’est une référence à Sarkozy et une blague du chef op qu’on a gardée. Quand tu as 15 ans et que le Président de la République incite les professeurs à lire une lettre de Guy Moquet en classe et que ça fout le bordel dans les médias, tu retiens ce nom, tu t’en sers. Ça devient banal, autre chose, un surnom.

Ça m’a intéressé de me servir de quelque chose d’instrumentalisé, de le mettre en images dans les quartiers. De plus, mon personnage est aussi en résistance par rapport aux valeurs de ses frères.

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Le film parle à la fois d’amour et de désir de cinéma.

Le film dit des choses sur l’amour mais pour moi, il n’y en a pas vraiment, le personnage reste quand même très seul. Si j’étais arrivé devant les jeunes en disant que l’un allait embrasser l’autre, ça n’aurait pas marché. Le projet aurait été considéré comme mièvre. Ils avaient le choix entre se montrer ou participer à un film. Le désir partagé était de faire du cinéma. Je leur disais qu’au final, ce serait la honte ou un petit miracle (sourire).

Est-ce que tu souhaites poursuivre la réalisation à ciel ouvert ?

Carrément ! En expérimentant des outils avec un oeil pédagogique, j’ai réalisé qu’on pouvait obtenir des choses très riches ailleurs qu’en prison. Ça m’a donné confiance, je me sens d’attaque à refaire des films en extérieur, quelque soit le genre et la durée. « Guy Moquet » fait 32 minutes. Je ne défends ni le genre ni la durée. Le cinéma qui m’intéresse fait 3 minutes ou 3 heures. Ce qui compte, c’est l’histoire et la durée nécessaire.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

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Pour information, « Guy Moquet » sera projeté, en présence de Demis Herenger, dans le cadre du programme des courts métrages 2, samedi 7 juin à 14h30 lors de la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs, au Forum des images.

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