Pour la France de Shanti Masud

Strangers in the night

Le film de Shanti Masud s’ouvre sur un cliché, et pas des moindres : Paris, la nuit. L’Allemande Désirée, appareil photo en main, shoote le croissant de lune qui se dessine derrière quelques nuages. Le déclic de l’appareil semble appeler un autre personnage à l’intérieur du cadre, le jeune Charles, blondinet espiègle qui décide « d’offrir sa nuit » à cette inconnue. On devine dans ces quelques paroles échangées par les personnages les intentions de la réalisatrice : Shanti Masud nous offre « sa » nuit parisienne, carrefour cosmopolite où tous les romantiques se donnent rendez-vous et partagent la vision d’une ville rêvée, chargée de mystères et habitée par les fantômes du cinéma. Le titre du film lui-même contient la promesse d’un don, et les multiples cadeaux et petites attentions que les personnages s’échangeront tout au long de cette nuit ne dérogeront pas à la règle : « Pour la France » est un présent fait au spectateur, qu’il serait bien idiot de refuser.

La balade commence lorsque Désirée et Charles sont rejoints par France, jeune femme au long manteau noir semblant surgir de la nuit même. Le trio improvisé s’arrête dans un bar, repaire de quelques oiseaux nocturnes perchés sur leurs tabourets évaluant nos héros à leur entrée en même temps que la caméra détaille cette faune par un élégant panoramique. Ce plan semble répondre au précédent opus de la réalisatrice, le diptyque composé de « But we have the music » et « Don’t touch me please», moyens-métrages réalisés en super 8 où Shanti Masud multipliait les portraits de ses amis pour dresser celui d’une génération sur fond de musique pop. Si la narration classique à pris le pas sur les formes expérimentales, la cinéaste poursuit ici sa recherche personnelle d’alchimie entre les portraits d’individus et les morceaux de musique, très présents dans « Pour la France » (de Debussy à Kraftwerk). Le petit groupe s’élargit lorsque Désirée ramène à son bras deux jeunes marginaux, Blaise et Ivo. France frémit à l’apparition de ce dernier et l’on devine rapidement le lien qui les unit. Il est temps de migrer. Direction l’atelier d’Ivo, le beau tatoueur, pour continuer la soirée.

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Dans la pénombre de la cour d’immeuble, Charles s’apprête à faire sursauter ses deux compagnes en se cachant derrière un muret. Sa blague tombe à l’eau lorsque le gémissement de Blaise, résonnant depuis l’atelier, redirige les regards des trois compères vers une fenêtre du premier étage. À l’image de cette scène, le film de Shanti Masud procède en permanence à de subtils déplacements des enjeux à l’intérieur des séquences, à des ruptures de tons qui l’empêchent de se figer dans une pose trop sérieuse ou révérencieuse. Si la réalisatrice emprunte aux films de chambres des années 70 de Garrel et d’Eustache le grain charbonneux du noir et blanc et le sens du portrait, elle ne s’abandonne pas pour autant à la contemplation tragique ou nostalgique d’un imaginaire révolu. À la fièvre enivrante qui consumait les héros de ces films, Shanti Masud préfère la caresse, la douceur des échanges de regards et les pirouettes d’un “petit clown triste”.

Dans l’intimité retrouvée de l’appartement, France et Ivo vont se confier à Désirée, lui livrant leurs secrets et leurs rêves à tour de rôles. La belle allemande devient ainsi le vecteur de parole, le maillon manquant pour relier les amants entre eux. Comme la navette qui traversera le corps de Désirée en surimpression lorsque, assoupie sur les bords de Seine, elle profitera des premiers rayons du soleil au petit matin, son corps se transforme en vaisseau et permet la liaison providentielle des individus croisés au court de la nuit. Peut-être est-elle réellement un ange, et cette soirée un peu magique et hors du temps son œuvre ? Shanti Masud ne tranche pas, mais conclut son film par un hymne à son personnage principal résonnant jusque dans les chambres de ces titis parisiens que la chance aura placée sur son chemin.

« Pour la France » est un beau cadeau fait par la réalisatrice à la ville qu’elle aime, aux acteurs qu’elle filme avec désir et aux spectateurs las du naturalisme triste. Shanti Masud nous invite à rêver Paris à nouveau en régénérant une imagerie trop longtemps dévolue aux cartes postales, sublimée par le noir et blanc et par une bande son hétéroclite.

Marc-Antoine Vaugeois

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