Les Jours d’avant de Karim Moussaoui

Dans une cité du sud d’Alger, au cœur des années 90, deux jeunes gens, Djaber et Yamina, tentent de traverser l’adolescence malgré une violence qui couve et se resserre autour d’eux. Elle finit par éclater sous leurs pieds et modifier définitivement leurs parcours.

Les garçons et les filles ont à peine l’occasion de se regarder. À la sortie de l’école, les filles se « volatilisent » aux yeux des jeunes hommes. Prix Format Court au Festival du Film Francophone de Namur, « Les Jours d’avant » s’attache successivement aux personnages de Djaber et Yamina, sous forme d’un diptyque, variant les focalisations dans un même déroulement spatiotemporel. Ce schéma parallèle renforce l’impossibilité d’une croisée des chemins. Mais cette solitude endémique est plus profonde : au sein même de la famille, les liens ont disparu. Les voix off des deux personnages se font écho et soulignent l’absence de véritables échanges. À propos de sa sœur, Yamina dira : « Même à elle je ne disais plus rien, nous avions appris à nous taire ».

Yamina et Djaber forment un duo de personnages en miroir. Sur leurs visages se dessine la même impassibilité, seuls leurs yeux traduisent l’ardeur d’un désir et d’une peur, celle de l’autre, celle d’un ailleurs, celle d’une vie qui n’est pour l’instant que suspendue. Le regard de Djaber aspire à autre chose et se perd constamment dans un hors champ (souvent celui d’une fenêtre). Les jeunes gens sont pétrifiés par les interdits parentaux, sociétaux et par le filet des meurtres se tissant progressivement. L’annonce d’une fête et les promesses qu’elle contient les anime pourtant. La vie et les espoirs personnels peuvent encore palpiter sous la torpeur…

Le choix de la saison du tournage s’accorde avec cette ambivalence : l’hiver projette sa lumière froide sur les paysages, les horizons montagneux offrent une échappée belle et viennent contraster avec le ciel bas, avec les chemins détrempés de la cité dans lesquels on s’embourbe, slalomant entre les flaques étales.

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« Les Jours d’avant » a pu être comparé dans sa construction et dans le choix de son sujet au film « Elephant » de Gus Van Sant. Des destins adolescents pris dans leurs préoccupations quotidiennes sont rattrapés par une violence implacable en marche. Les événements revécus différemment selon les points de vue ne font que renforcer l’aspect indétournable du processus. L’emploi de la musique d’opéra (Haendel) rappelle celle de Beethoven employé par le réalisateur américain. La musique donne au film le ton de la tragédie, dont il reprend la structure : unité de temps, lieu et action. Comme dans la tragédie, les hommes sont soumis et impuissants face à la fatalité. Selon les mots de Karim Moussaoui, l’horreur des évènements était « une troisième dimension incontrôlable, qui devait s’imposer à nous ». S’il s’agit de personnages de fiction, la cité de Sidi Moussa et l’époque correspondent à l’adolescence du réalisateur. Et Djaber et Yamina pourraient très bien reprendre les mots de Karim Moussaoui dans leurs monologues intérieurs : « cela ne va pas nous arriver, pas chez nous, pas nous, et puis à chaque fois la violence approchait et on s’interdisait d’être concernés ».

Ce portrait à double facette masculin/féminin d’une résistance intime face au désordre pose cette question sans âge : comment se construire, construire son individualité dans la déréliction d’une société meurtrie ? La beauté de ce film est déjà l’esquisse d’une réponse.

Juliette Borel

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Article associé : l’interview de Karim Moussaoui

Pour information, « Les Jours d’avant » sera projeté jeudi 12 décembre, dans le cadre des soirées Format Court, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème), en présence de la co-scénariste et productrice du film, Virgine Legeay.

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