Ali Asgari : « Le cinéma iranien s’inspire de la vie »

Si cette année, à Cannes, Asghar Farhadi a défendu son « Passé » en compétition officielle, du côté des courts, trois auteurs iraniens se sont fait repérer, que ce soit du côté de la Cinéfondation ou de la compétition officielle des courts. Dans la section réservée aux films d’écoles, Anahita Ghazvinizadeh a remporté le Premier Prix pour son piquant « Needle » et Navid Danesh nous a intéressés pour ses plans d’amour mobile. À l’officielle, Ali Asgari, le réalisateur de « Bishtar Az Do Saat » (« Plus de deux heures ») a développé, pour sa part, une histoire de transgression vécue dans une société traversée par les tabous. Dans son film, tiré d’une histoire vraie, deux jeunes gens se heurtent aux difficultés et au manque d’empathie de la part des autres, suite à la perte de la virginité de la jeune femme. Rencontre.

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Comment as-tu commencé dans le milieu ?

Je suis assistant réalisateur sur des films indépendants depuis 2005. J’ai beaucoup observé, j’ai fait plus de pratique que de théorie. J’étudie actuellement le cinéma à Rome, mais les écoles n’apprennent pas à faire des films. Pour la direction d’acteurs, ce n’est pas suffisant.

En étudiant, j’apprends à savoir ce qui est important dans l’histoire du cinéma, à connaître les différents styles. Juste avant d’aller à Rome, j’étais dans une autre école de cinéma en Italie où j’avais la possibilité de faire un film, mais je n’étais pas préparé mentalement pour ça. Je fais un film quand je suis prêt à 100%. Pour « More than two Hours », c’était le cas.

Pourquoi as-tu choisi de raconter cette histoire ?

Un des co-scénaristes du film m’a raconté une histoire vraie, arrivée en Iran à une de ses amies. Dès le début, j’étais très touché par cette histoire. J’ai écrit le film en trois semaines.

Est-ce que le projet a été facile à concrétiser ?

Pour faire un film en Iran, il faut normalement avoir l’autorisation du gouvernement. Il faut leur envoyer le scénario et attendre la réponse. Je ne l’ai pas fait. Le gouvernement a des idées préconçues sur certains sujets, et si je dépassais la ligne, ce n’était pas bon. Je fais attention à ne pas la franchir et à raconter mon histoire. Tourner des films en Iran est plutôt économique. Tout le monde a la possibilité de faire des films. Le mien n’a pas coûté beaucoup d’argent. Je l’ai tourné en petite équipe, pendant trois nuits. Le plus difficile a été de trouver deux hôpitaux différents; on avait juste un permis de la police pour tourner de nuit. On s’est débrouillé en filmant dans un seul et même lieu.

Comment vois-tu le cinéma iranien ?

Il s’inspire de la vie. Les réalisateurs iraniens sont très influencés par la société dans laquelle ils vivent. Ils font beaucoup de films sociaux sur le lieu d’où ils viennent. Ils ressentent le fait qu’ils ont le devoir de parler de leurs problèmes, mais ils exagèrent parfois leurs propos car ils ne savent pas toujours comment raconter les choses.

Comment as-tu voulu travailler pour ce film ?

Certaines personnes pensant que ce film parle de virginité. C’est un symbole, le film parle de choses plus importantes. En fait, je voulais raconter une histoire d’une façon cinématographique, sans être dans l’exagération mais en étant bel et bien dans la simplicité. Les acteurs n’en font pas trop, ils ne pleurent pas, ils ne se battent pas. L’histoire comporte suffisamment de tension, si on en fait trop, si on en rajoute, les spectateurs auront peut-être l’impression d’être trompés. Je ne voulais pas non plus trop d’effets de caméra. J’ai travaillé avec des acteurs non professionnels. Le visage de la comédienne était très parlant, et elle avait l’air simple. Elle vient d’une famille traditionnelle. Ça tombe bien, le film parle du poids de la famille dans la société, de ce qu’elle peut faire pour ses enfants. Tout, de toute façon, part de la famille. Les jeunes se battent pour leurs droits, ils veulent être plus libres. Il y a 15 ans, quand une fille voulait vivre seule, ça posait problème. Maintenant, c’est différent.

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Pourquoi as-tu choisi d’étudier en Italie si finalement, tu es aussi libre dans ton pays d’origine ?

Je voulais expérimenter un autre pays, j’avais beaucoup d’expériences en Iran, mais je voulais connaître l’Europe. Pour être réalisateur, il faut voyager, connaître le monde. En étudiant, c’est une façon de le faire, d’être connecté à l’extérieur d’Iran. Mais à l’université, en Italie, je n’ai malheureusement rien appris sur le cinéma. J’ai vécu 28 ans en Iran, j’y ai fait tous mes films et je veux continuer à filmer là-bas.

Ta sélection à Cannes représente-t-elle un espoir pour les jeunes réalisateurs iraniens ?

Beaucoup d’entre eux veulent voir mon film. Je ne pense pas qu’il soit politique mais social. Ils ont le droit de le voir. Un film iranien sélectionné à Cannes, cela n’arrive pas tous les jours. Je pense l’envoyer au festival du court métrage de Téhéran. Mais comme l’histoire est un peu sensible, je ne pense pas qu’il sera accepté.

As-tu de nouveaux projets ?

J’ai une nouvelle histoire de court métrage en tête. Le court m’intéresse, il son propre monde et sa propre construction de scénario. On a 10 ou 15 minutes pour raconter une histoire, pour toucher les gens. Je pense que le court doit être expressif, innovant, dynamique. Je veux en faire d’autres car je m’amuse plus avec ce format. Matériellement, je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent pour tourner. Les restrictions en Iran ne représentent pas de vraies difficultés. Après toutes ces années, les gens ont réussi à raconter bon nombre d’histoires sans dépasser la fameuse ligne rouge.

Propos recueillis par Katia Bayer

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