A Story for the Modlins de Sergio Oksman

Se voir offrir une histoire passionnante et étrange, clés en main, pourrait représenter le rêve de beaucoup de cinéastes. C’est ce qui est arrivé à Sergio Oksman, réalisateur de « Notes on the Other », précédemment montré au Festival de Clermont-Ferrand, qui a trouvé dans une rue de Madrid un carton contenant les archives personnelles d’une famille américaine, les Modlins et qui a décidé de reconstituer leur histoire rocambolesque, « à sa façon » comme il le précise fort justement. Objet réellement fascinant, « A Story for the Modlins », présenté dans la section Labo de Clermont-Ferrand, est le récit d’une ambition déchue et questionne la réalité et le fantasme. La vie et le cinéma.

Les lettres roses du générique de début sont un leurre. A la manière des lettres géantes et blanches d’Hollywood, elles appellent au rêve. Celui d’Elmer Moldin, acteur inconnu qui avec un rôle de figurant dans le chef d’œuvre de Polanski, « Rosemary’s baby » (auquel le court métrage emprunte son générique déroutant), atteint le climax de sa carrière et par la même occasion celui de son rêve américain.

C’est son histoire et celle de sa famille que Sergio Oksman tente de raconter à partir de photos, de lettres et de vidéos retrouvées sur un trottoir madrilène quarante plus tard au pied de l’immeuble autrefois habité par les Modlins.

Le dispositif utilisé est d’une simplicité déconcertante mais frappe par son efficacité et son côté hypnotique. Oksman pose les unes après les autres, dans un ordre chronologique, les photos de la famille Moldin sur un cadre noir et nous conte en voix off le récit de leur(s) vie(s). Quasiment à la façon d’un flipbook au ralenti, les images défilent et forment une suite passionnante d’événements à priori anodins mais qui prennent ici une dimension toute autre.

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Chaque membre de la famille devient ainsi un personnage. Le père, aspirant acteur rongé par l’échec est comme effacé, dominé par le caractère suffocant de cette mère, peintre et sculptrice qui fait poser son fils adoré en espérant qu’il puisse un jour réussir là où son père a échoué. C’est l’installation de la famille à Madrid qui semble précipiter ce trio vers la chute. Les volets de l’appartement restent fermés toute la journée et c’est dans ce huis clos que se joue la partie la plus intéressante du film.

Margaret Moldin, la mère, enchaîne les tableaux bibliques grand format qu’elle ne montre pas et qu’elle ne vendra jamais. Nelson, le fils, pose pour sa mère. Ephèbe aux cheveux bouclés et blonds, il ressemble à ces statues antiques qu’elle affectionne tant. Lorsqu’il décide de fuir le domicile familial vers l’Amérique du sud il grossit et devient quasiment quelqu’un d’autre, comme ci jusqu’ici il avait été préservé, modelé par le désir de ses parents.

Le cinéaste trouve également une cassette vidéo dans le carton qui contenait les archives de la famille, celle ci montre le couple dans son appartement décrivant à deux amies les tableaux religieux accrochés aux murs. Cette arrivée soudaine de l’image en mouvement montrant les Moldin âgés et quelque peu illuminés intervient comme un choc. On découvre leurs voix et leur vie dans cet endroit énigmatique et ce qui était jusqu’ici un enchaînement de photos devient instantanément réel, palpable.

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Cette « réalité » reste malgré tout constamment questionnée. L’auteur insiste dès son introduction sur le fait qu’il va nous raconter l’histoire des Modlins « comme il le souhaite » (« who would piece it together just as he pleased »). On peut en effet se demander si les faits relatés sont le fruit de son imagination ou s’ils relèvent de vérifications. On pencherait volontiers pour la première option tant cette « histoire pour les Modlins » est bien celle qu’Oskman semble leur offrir, leur créer, la rendant certainement plus romanesque qu’elle ne le fut. Jusqu’où alors la fiction empiète sur la réalité ? Nul indice n’est donné et le film tire sa force de cette incertitude et de ce balancement constant.

On pense bien évidemment au travail de Jonathan Caouette (« Tarnation », « Walk Away Renée ») qui ,en documentant sa vie sur vidéo, livrait un patchwork passionnant mais aussi plus récemment aux recherches de Sébastien Lifshtiz qui collectionnant les photos anciennes vendues en lot sur les brocantes, illustrant les vies d’inconnus, en avait fait le matériau de départ pour son film « Les Invisibles ».

« A Story for the Modlins »  est un peu comme cette boîte posée sur le trottoir de la capitale espagnole : un objet inattendu, incongru que l’on s’approprie avec un plaisir rare.

Amaury Augé

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