Cases où je ne suis pas un monstre d’Hannah Letaïf

Une rémunération « généreuse et garantie » est promise pour une expérience (réalisée à La Cambre, sélectionnée en compétition nationale à Média 10-10). Six heureux élus – aucun lien de parenté apparent avec les classes politiques recensées – sont choisis parmi les candidats : une jeune femme, une plante, un couple hétérosexuel, un homme, encore un homme. Plutôt jeunes (25 ans de moyenne d’âge environ). De race blanche à l’exception de la plante dont les couleurs varient avec le panache d’une varicelle. Tous non fumeurs et visiblement détenteurs de la pleine validité de leurs membres et de leurs organes. Tous plutôt calmes – surtout la plante – et, bien sûr, volontaires et disponibles.

La jeune femme, la plante, le couple, l’homme et l’homme sont chacun installés dans une case – cinq cases au total – où ils ont à vivre leur espace et leur temps avec, selon les cas, de la nourriture, un ordinateur performant type Mac, un lit, une raquette de tennis et une balle, de la lumière. Et ce, à volonté.

Le cloisonnement des cobayes et notre regard sur eux nous installent bien devant une expérience – aujourd’hui banalisée – de téléréalité : même si le « Cases où je ne suis pas un monstre » d’Hannah Letaïf est un court métrage d’animation dont les protagonistes restent indifférents au monde extérieur, son bouche-à-bouche avec la téléréalité actuelle et future ne fait aucun doute.

« Cases où je ne suis pas un monstre » durant 3 minutes et 43 secondes, c’est en accéléré que nous assistons à la maturation de l’expérience. Premier constat : dans son enfance, Hannah Letaïf a dû beaucoup aimer jouer à la pâte à modeler ; son court métrage est un abysse frontal ou un pouls métrage mutant sorti du maréchal ferrant en même temps que Le Cri de Munch.

Ses personnages, en acceptant cette expérience, ont peut-être été guidés par cette première phrase du titre « Happiness » du groupe reggae Black Uhuru : « What I am longing for is some happiness… ». Mais qui souhaite être heureux doit, au choix, savoir refuser l’expérience, avoir une conscience et une imagination active. Dépourvus de ces attributs, nos « volontaires » sont aussi, vraisemblablement, nos doubles oubliés, adoubés-fascinés par les huis-clos cautérisant de la bouffe, de la sexualité, de l’informatique et du sport, soit quatre des générateurs principaux de nos activités occupationnelles d’êtres supérieurs.

cases

L’écoute de la bande-son de « Cases où je ne suis pas un monstre » composée par Mathieu Adamski est tout autant nutritive ; l’équivalent d’un gong au son grave se rapproche quatre fois puis s’efface devant des sonorités aiguës qui nous amènent d’abord Annie, jeune femme plutôt désirable et svelte. Ensuite, l’habitacle sonore nous entraîne vers les autres personnages mais aussi vers des croisements de bruits de bouche qui déglutissent et mastiquent, des cliquetis de doigts sur un clavier d’ordinateur, un raclement de gorge et un sifflement embarrassés, des phrases souvent absentes – il y en a deux – et gommées par des onomatopées.

Isolés ou ensemble (le couple), les gens ne savent pas parler. La parole est un brasier ; ils ignorent comment s’y prendre avec elle ou n’éprouvent pas le besoin de la faire. Il y a peut-être du « May » (long métrage de Lucky Mckee) en eux ? Néanmoins, gargouillements, gargarismes, babillements de bébé, phallus filaire et itinérant, fécondité instantanée, clameurs de sortie des classes, mélodie musicale synthétique de type New Wave des années 80 d’abord lancinante puis visqueuse, impact de balle de tennis contre un mur, mutation disgracieuse des corps… tout dans « Cases où je ne suis pas un monstre » est fait pour nous maintenir – il est difficile de s’en extraire – avachis devant le spectacle de cette déliquescence mécanique, dynamique et hypnotique. Jusqu’à la frénésie qui condamne l’appui de la mélodie synthétique pour la transformer en une note à cri amplifié. Un battement de cœur remplace alors le gong initial. L’expérience se termine sur quelques notes adoucies. Nous voici retournés en deçà au stade du bébé car nous ne faisons aucun apprentissage de nos expériences. Nous sommes juste bons pour croiser les doigts ou les insérer dans la prise. Seule solution : nous débrancher. « Oh ! Oh ! C’est mieux comme ça ».

Franck Unimon

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