Semaine de la Critique : le court en DVD

Créée en 1962, la Semaine de la Critique (SIC) offre chaque année à Cannes une plate-forme aux premières et aux deuxièmes œuvres de jeunes cinéastes novateurs et non conventionnels. Un indice de l’importance de cet événement : au fil de ses quarante-huit éditions, la Semaine a lancé la carrière de cinéastes tels que  Bernardo Bertolucci, Ken Loach, Wong Kar Wai, Jacques Audiard, Gaspar Noé, Arnaud Desplechin, François Ozon et Gonzalez Iñarritu. Un effort très louable, d’autant plus qu’il nous éloigne momentanément du méga-événement stellaire qu’est le Festival de Cannes. Autre mérite de l’événement : en imposant systématiquement un court métrage avant chaque long, il met en avant le petit genre, qui jouit d’une excellente visibilité à Cannes.

De 2006 à 2008, la SIC a fait équipe avec Chalet Pointu pour l’édition d’un DVD reprenant une sélection de ses courts métrages, primés ou non lors du festival. En 2008, le duo a collaboré avec la Quinzaine des Réalisateurs pour sortir un double disque. Revue globale des trois numéros.

Semaine de la Critque - DVD

45e Semaine Internationale de la Critique – Cannes 2006

Le premier DVD contient cinq courts métrages de la sélection 2006 ainsi que deux courts de l’année précédente en guise de bonus. « Iron » (Fer à repasser) de Hiroyuki Nakano (Japon) est le récit hilare et absurde mais néanmoins hautement poétique d’un jeune Japonais zen et spirituellement éveillé, dont la philosophie de vie est gouvernée par l’acte de repassage. Dans la même veine « obsessionnelle », on trouve le petit sketch humoristique « Kvinna vid Grammofon » (Femme avec phonographe) du duo Suédois Johannes Stjärne Nilsson et Ola Simonsson.  La protagoniste assure à tout prix la continuité d’un accompagnement musical sur son tourne-disque, montrant ainsi la distinction subtile, mais parfois difficile à établir, entre la mélomanie et la manie tout court !

Plus sérieux, « L’Ecluse » d’Olivier Ciechelski (France) est une histoire de relations et de tensions familiales traversée par la découverte d’un cadavre. Sur un ton plus léger, « Alguma Coisa Assim » (Quelque chose comme ça) de Esmir Filho (Brésil) raconte une nuit dans la vie de deux jeunes amis confrontés aux exigences croissantes de l’âge adulte, dont les questions d’identité, d’appartenance et d’amour. La seule animation de la sélection apparaît sous le titre de « Printed Rainbow » de Gitanjali Rao (Inde), le récit minimaliste d’une femme âgée basculant quotidiennement entre la routine terne et grise, et l’évasion gaie et colorée offerte par sa collection de boîtes d’allumettes. Un film touchant, embué autant d’humanisme que de recherche esthétique, triple lauréat à la Semaine (Prix Découverte Kodak du meilleur court métrage, Prix de la (Toute) Jeune Critique et le Petit Rail d’Or du court métrage).


46e Semaine Internationale de la Critique – Cannes 2007

Le disque de 2007 est composé de cinq courts métrages originaux sur le plan scénaristique et technique. Deux films « hypersensoriels », brésiliens tous deux, se démarquent d’ores et déjà : « Um Ramo » (Un Rameau) de Juliana Rojas et Marco Dutra et « Saliva », de réalisateur Esmir Filho, déjà présent sur le DVD 2006. Le premier raconte la transformation sanglante, explicite et inexplicable d’une femme à un état plus végétal, tandis que le deuxième, tout comme « Quelque chose comme ça » de l’année précédente, explore la naissance des pulsions sexuelles chez des adolescentes par le biais d’un portrait ruisselant et visqueux de leur rapport avec la salive !

« Both » (Tous les deux), une coproduction anglo-libanaise signée Bass Bréche, est un film subtil et complexe. Très intelligemment construit, ce puzzle visuel prend place dans un quartier populaire de Londres, habité par un éventail de personnages carnavalesques, et a comme particularité d’offrir le plan subjectif d’une machine à laver, peut-être le seul dans l’histoire du cinéma.

La complexité se fortifie avec « La Route la nuit » de Marine Alice Le Du (France). En une dizaine de minutes quasiment totalement statiques, ce court livre un photomontage remarquable et retrace, par le procédé de mise en abîme, la conception d’un film personnel, ressenti, à la manière de Chris Marker ou de Chantal Akerman.

chambre-616

Le bonus de la collection, « Chambre 616 » de Frédéric Pelle est une comédie noire française qui rappelle la Nouvelle Vague par son sujet policier et par la qualité de son image en noir et blanc. Film choral (à une époque où le genre avait le vent en poupe), il a pour sujet une tentative de suicide ratée et les très nombreux contrecoups de cette action sur les habitants et les employés d’un quartier de banlieue. Le film parvient sans prétention, et en dépit de sa surcharge narrative, à faire un portrait réussi de la nature et des relations humaines, avec des tonalités tantôt absurdes, tantôt très réalistes.

47e Semaine Internationale de la Critique  – Cannes 2008

Présenté en tandem avec celui de la Quinzaine, le dernier DVD de la Semaine propose quatre courts métrages. La réduction en nombre par rapport aux éditions précédentes n’est heureusement pas accompagnée d’une perte de qualité, bien au contraire. Entre démultiplication à l’infini d’une forme féminine et syndrome de Stendhal, « La Copie de Coralie » du Français Nicolas Engel, déjà chroniqué sur notre site, évoque le mélodrame au sens propre, rythmée par le bruit des machines de photocopie et le côté recitativo entraînant de son dialogue mi-chanté mi-parlé.

« Ahendu Nde Sapuka » (I Hear You Scream), premier film du jeune cinéaste prometteur Pablo Lamar (Paraguay-Argentine), livre le portrait solennel d’une cérémonie de deuil, sur un registre terne et en temps réel. À travers son plan séquence, qui est par ailleurs un plan fixe d’une douzaine de minutes, ce film jouit d’une grande poésie picturale, avec la silhouette de son cortège funèbre devant un paysage crépusculaire et un chant funèbre soulignant la gravité du sujet.

Dans la même logique du macabre, la Brésilienne Fernanda Teixeira présente « A Espera » (L’Attente), film muet dont le protagoniste âgé n’a qu’une seule attente : sa propre mort. En compagnie de son chien, il exécute une série d’activités quotidiennes, parmi lesquelles figurent la lecture de la rubrique nécrologique du journal et la suppression progressive dans son agenda, des noms de ses connaissances décédées. Enfin, « Les filles du feu » de Jean-Sébastien Chauvin (France) est la description sulfureuse d’une relation amoureuse entre deux filles. Si le sujet paraît audacieux, le travail technique, lui, tend à réduire la brutalité de l’image numérique hyperréaliste et crée une certaine distanciation en embrouillant la piste chromatique, par l’inversion de tons chauds et froids. Le résultat est un film fort, passionnel et curieusement sobre.

Adi Chesson

45e Semaine de la Critique 2006, 46e Semaine de la Critique 2007, Double DVD Spécial Cannes 2008 : Quinzaine des réalisateurs /Semaine de la Critique. – Éditions : Chalet Pointu

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